Communication / Elus - "No go zones" : Paris tente sa chance en diffamation
Anne Hidalgo a annoncé, le 5 février, son intention de porter plainte pour diffamation dans l'affaire des "no go zones". Elle demandera pour cela un vote du conseil de Paris, le 10 février, afin de l'autoriser à engager cette action en justice. A l'origine de cette plainte, un reportage fantaisiste d'un journaliste de la chaîne américaine Fox News - pas spécialement réputée pour la finesse de ses analyses - montrant, après les attentats du 7 janvier, une carte des "zones interdites" en plein cœur de Paris, dans lesquelles il serait impossible pour les Blancs de se rendre, où s'appliquerait la charia et dans lesquelles tous les jeunes porteraient des t-shirts à l'effigie d'Oussama Ben Laden...
Une plainte contre X
Dans son communiqué, la maire de Paris indique qu'"il a notamment été imputé à la ville de Paris de laisser se développer sur son territoire, par laxisme ou indifférence, ces zones de non-droit interdites aux non-musulmans dans lesquelles la loi française ne serait pas appliquée et où des incitations à commettre des crimes, c'est-à-dire des infractions pénales, seraient autorisées ou dont la commission serait enseignée". Elle estime "ces propos [...] d'autant plus inadmissibles qu'ils laissent croire que la ville de Paris aurait renoncé à assurer la sécurité des personnes, mettant délibérément en danger non seulement ses résidents mais aussi ses visiteurs, ce qui est contraire à toutes les mesures de précaution de surveillance et de maintien de l'ordre auxquelles Paris, en lien étroit avec les services de l'Etat, a recours".
Sur un plan juridique, la voie choisie est celle d'une plainte avec constitution de partie civile contre X pour diffamation publique à l'égard d'un corps constitué, déposée auprès du tribunal de grande instance de Paris.
Des chances de succès très limitées
Si la démarche est spectaculaire - et le coup de com réussi -, ses chances d'aboutir sont en revanche des plus faibles. Tout d'abord, la chaîne Fox News et son "journaliste" se sont platement excusés. La chaîne a ainsi reconnu avoir "commis de regrettables erreurs concernant les musulmans d'Europe, en Angleterre comme en France. Il n'existe pas de telles zones et il n'y a pas de lieux où des populations seraient exclues en raison de leur religion". De même, le délit éventuel a été commis aux Etats-Unis, ce qui laisse peu de chance à l'aboutissement de la plainte.
Ensuite, la justice française s'est toujours montrée réticente à donner raison aux collectivités qui s'estiment diffamées par un reportage. C'est également le cas des demandes d'intervention déposées auprès des autorités régulatrices, comme le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Marseille, qui s'est estimée diffamée par plusieurs reportages, pourrait en témoigner.
Une décision QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 25 octobre 2013 du Conseil constitutionnel donne certes aux collectivités la possibilité de mettre elles-mêmes en mouvement l'action publique lorsqu'elles s'estiment victimes d'injure ou de diffamation (voir notre article ci-contre du 28 octobre 2013). Mais cette décision ne préjuge pas de la position au fond. Les juges sont en effet très attachés à la liberté de la presse et la médiocrité ne constitue pas un délit pour un journaliste...
Pour savoir ce qu'il en sera, encore faut-il que la plainte aille jusqu'à son terme. Or, dans bon nombre d'affaires de diffamation réelle ou supposée de collectivités, la plainte finit pas se perdre dans les sables...
En attendant, certains ont pris le contrepied de l'affaire, que ce soit en proposant à des Parisiens de jouer les guides touristiques dans les quartiers concernés (Belleville, Porte de Clignancourt, abords du boulevard Magenta...), en mettant en ligne leurs listes de bonnes adresses (restaurants, boutiques...) ou en publiant de jolies photos des rues concernées et de leurs habitants. Ou quand la pseudo "no go zone" devient "the place to be".