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Modèle économique des transports collectifs : le rapport Duron publié

Philippe Duron a remis, la veille de la fête nationale, son rapport attendu sur "le modèle économique des transports collectifs", riche d'une cinquantaine de recommandations qui ne devraient pas manquer d'alimenter les débats, bien au-delà de la prochaine loi de finances.

Rendu public le 13 juillet, le rapport sur "le modèle économique des transports collectifs" de Philippe Duron – co-président du think tank TDIE, ancien parlementaire, ancien maire socialiste de Caen, ancien président de la région Basse-Normandie, de l'Afitf ou encore du Conseil d'orientation des infrastructures – ne devrait pas rester longtemps sans réaction. Ce ne sera pas le premier (v. notre article). 
Commandé par Jean-Baptiste Djebbari afin de prendre initialement la mesure des conséquences de la crise du covid sur les transports en commun urbains hors Île-de-France et d'analyser la pertinence des mesures de soutien prises ou à prendre, son objet avait dans un second temps été élargi aux transports, notamment ferroviaires, sous la responsabilité des régions. Sur la cinquantaine de recommandations émises, plus ou moins originales – plusieurs ont été récemment proposées dans le cadre de l'examen du projet de loi Climat & Résilience –, un certain nombre ne devraient pas manquer d'ouvrir de multiples fronts, mettant tour à tour aux prises État, collectivités, entreprises, contribuables ou usagers.

Les AOM régionales, les plus affectées

Sans surprise, le rapport confirme en premier lieu "l'impact majeur" de la crise sur la situation des autorités organisatrices de mobilités (AOM) et les opérateurs en 2020. D'abord avec la baisse drastique de la fréquentation  - 31% pour les transports collectifs urbains, gérés par les AOM, et plus de 40% pour les AOM régionales (AOMR) qui gèrent les TER, "cassant pour ces derniers une dynamique de forte croissance" (l'avis de la Fnaut/FUB/UFC Que choisir) – et par suite des recettes (27% pour les recettes tarifaires, moins de 5% pour le produit du versement mobilité). Estimant que ces impacts devraient rester "significatifs" en 2021 alors "que la crise sanitaire se poursuit", les auteurs préconisent le maintien du dispositif de soutien, sous une forme revue : poursuite du "filet de sécurité́" aux collectivités en matière de ressources fiscales et domaniales, maintien du dispositif d’avances remboursables pour les pertes directes, éventuellement remplacé en partie par des aides directes.
Et pour les AOMR, "encore plus affectées" – baisse de 43% des recettes commerciales et une baisse des coûts limitée du fait du maintien de la plus grande partie de l'offre, qui devraient se traduire par un déficit d'exploitation en 2021 de 350 millions d'euros pour les seuls TER, et de 60 millions d'euros pour les transports interurbains et scolaires –, ils proposent la mise en place "d'un dispositif d'avances remboursables [12 ans, avec un différé de paiement de 3 ans], éventuellement mixées avec des aides directes", sous réserve que les régions s'engagent à maintenir un niveau d'investissement élevé.

"L'impact des nouveaux comportements de mobilité"

Plus encore, et même si les auteurs soulignent qu'il est encore particulièrement difficile de se projeter, ils appréhendent à plus long terme l'impact de la perte de confiance envers les transports publics induite par la gestion de la crise et la diversification des modes de déplacement, vélo en tête. "Alors même que l'offre est revenue rapidement à la normale ou à un niveau proche de celle-ci, la fréquentation ne retrouvera pas son niveau d’avant la crise avant des mois et plus probablement des années", est-il présumé. Philippe Duron pointe également "les nouveaux comportements de mobilité, comme ceux induits par le télétravail et les relocalisations de domicile". La mission propose en conséquence plusieurs recommandations, ayant trait aux vitesses commerciales, à l'enchainement des modes de transport, au cadencement, etc.

Faire face aux besoins d'investissements

Elle met également en exergue les "très importants" besoins d'investissements du secteur, évalués à près de 20 milliards d'euros pour 36 AOM représentant 25% de la population citadine. Pour y faire face, la mission préconise notamment de stabiliser, voire d'inverser la tendance des dernières années à la diminution de la part du financement apportée par les usagers eux-mêmes, sensiblement plus faible que dans les autres pays européens (Louis Nègre, président du Gart et co-président de TDIE, soulignait au contraire il y a peu que la chute des fréquentations redonnait du grain à moudre aux partisans de la gratuité). La mission propose même à l'État d'instituer un plafond du versement mobilité – "ressource stable que la mission recommande de pérenniser" – pour les AOM qui ne font pas contribuer les usagers et pour les AOM de plus de 200.000 habitants quand le ratio de recettes sur dépenses est inférieur à 30%.
Parmi d'autres mesures, la mission recommande de baisser à 5,5% la TVA sur les transports publics (tout récemment rejetée), de flécher une partie de la TICPE (qui pourrait à long terme être remplacée par une redevance kilométrique) vers les AOM, la mise en œuvre par les régions d'une écotaxe poids lourds comme déjà décidée par  l'Alsace ou encore de taxer les livraisons des plateformes de vente par internet. "La taxation des colis est souhaitable tout à la fois pour donner un signal prix sur une pratique très déstabilisante pour le commerce et l’attractivité des centres-villes mais aussi pour intégrer dans le coût complet du colis une partie des externalités négatives qu’il génère", souligne le rapport qui indique qu'1,3 milliard de colis ont été distribués en 2020. Autres recommandations à l'égard des AOM, "délibérer pour créer une zone d'aménagement différé dès qu'elles ont l'intention d'y créer des transports communs en site propre (TCSP)" afin de "capter la plus-value", ou à tout le moins ne pas subir les effets de la hausse des prix immobiliers induite par un tel projet, et négocier, avant de décider un tel projet de TCSP, avec les autorités chargées de l'urbanisme une intensification de l'urbanisation autour des gares/stations.

Gouvernance : renforcer les coopérations

En matière de gouvernance, la mission suggère, entre autres propositions, de "renforcer les coopérations", par exemple en conditionnant les aides d'État (notamment la DSIL) à l'inscription des projets soutenus à des "contrats opérationnels de mobilité", en invitant les élus locaux à doter l'échelon intercommunal de la compétence voirie et à lui transférer le pouvoir de police. Le transfert aux AOM de la compétence de stationnement est également préconisé, après étude de sa faisabilité et des compensations financières vis-à-vis des communes. Autant de mesures qui ne devraient pas laisser les collectivités indifférentes.

Le gouvernement au pied du mur

De son côté, le ministère indique qu'il "étudiera durant l'été avec la plus grande attention" ces préconisations, qui "seront partagées avec les associations d'élus et les parties prenantes d'ici la fin de l'année". 
Sans attendre, l'association France urbaine s'est, elle, félicitée que le rapport "lève tous les obstacles" à "l'inscription, dans la prochaine loi de finances, de dispositions trop longtemps attendues par les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles". "Le gouvernement avait conditionné le réexamen des mesures de compensations de l'impact de la crise aux AOM non franciliennes aux conclusions de ce rapport", rappelle l'association dans un communiqué. Et de souligner que ledit rapport recommande d'une part, que "par souci d'équité, les dispositions de soutien de l'État en 2021 soient homogènes sur l'ensemble du territoire, au moins au niveau des principes" – actant ainsi le fait que "l'accompagnement de l'État a été moins favorable pour les AOM non franciliennes que pour Île-de-France Mobilités" –, et d'autre part de prévoir "un dispositif spécifique au versement mobilité et [de] l'appliquer également en 2020 de façon rétroactive", actant l'insuffisance des compensations issues de la 3e loi de finances rectificative pour 2020. L'association se réjouit également du fait que le rapport ait établi "l'insuffisance des mesures de relance fléchées sur la mobilité urbaine", en recommandant de "doubler l’enveloppe de l’appel à projets en cours en faveur des transports en commun en site propre et des pôles d’échanges multimodaux".