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Transports - Mobilité : le clivage s'accentue entre les grandes agglomérations et le reste du territoire

L'Insee a publié le 11 juillet dans sa revue "Economie et statistique" une série de huit articles sur les transports dont deux traitent directement des enjeux environnementaux liés à la mobilité. Le premier, intitulé "Des mobilités plus homogènes ou plus diversifiées ?", rédigé par Richard Grimal, du service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements du ministère de l'Ecologie, s'intéresse à l'évolution des comportements de mobilité entre les deux dernières enquêtes nationales sur les transports menées respectivement en 1993-1994 et en 2007-2008. Une période au cours de laquelle des "transformations profondes" se sont opérées, constate l'auteur. "Il y a quinze ans, les mobilités se différenciaient d'abord par leur intensité et opposaient en second lieu les actifs aux inactifs, explique-t-il. Si les niveaux de mobilité quotidienne se sont homogénéisés mécaniquement avec la diffusion de la voiture et le glissement générationnel, en revanche les moyens de transport utilisés font apparaître un clivage de plus en plus net entre les grandes agglomérations, qui ont amorcé un virage vers les modes alternatifs, et le reste du territoire. Cette transition, dont les causes sont sans doute multiples, souligne en même temps le manque persistant d'alternatives à la voiture dans les petites villes et les espaces périurbains." La diffusion de la voiture "se poursuit sous la forme du multi-équipement" dans les petites agglomérations, les communes périurbaines ou encore à la campagne. Dans le même temps, le recours à la voiture diminue dans les grandes agglomérations et les villes de coeur d'agglomération, "au profit de la marche et des transports en commun".

Inégalités sociales marquées

Les inégalités sociales sont aussi prégnantes en termes de mobilité. "Les profils caractérisés par une utilisation intensive de la voiture et une forte mobilité à longue distance se recentrent sur les plus de quarante ans, les groupes à fort pouvoir d'achat et les personnes les plus dépendantes de l'automobile, en raison de leur lieu de vie (habitants des espaces d'urbanisation diffuse) ou de leur programme d'activités (notamment l'accompagnement scolaire), note Richard Grimal. A l'inverse, les profils caractérisés par une mobilité faible ou le recours aux modes alternatifs comprennent une part croissante de jeunes mais aussi d'habitants des espaces d'urbanisation diffuse fragilisés par l'augmentation du prix des carburants." Ce qui n'empêche pas des "dynamiques contrastées selon les moyens de transport", relève l'auteur de l'étude. Ainsi, la marche est davantage plébiscitée par les classes moyennes et supérieures tandis que le recours aux transports en commun est de plus en plus caractéristique de l'agglomération parisienne où il concerne une population de plus en plus pauvre.
En résumé, les différences de comportements se resserrent au regard des contraintes socio-démographiques (position dans le cycle de la vie, niveau de vie…) mais s'accentuent "selon le type de zone de résidence, entre les espaces densément urbanisés et les espaces d'urbanisation diffuse". Cette baisse de la "mobilité et/ou de l'usage de la voiture dans les grandes agglomérations, accompagnée d'un report vers les modes alternatifs, constitue une rupture historique", souligne Richard Grimal. Il en ressort également une "efficacité des alternatives à la voiture dans les territoires densément urbanisés". Mais "ces nouvelles tendances nous questionnent sur la capacité des systèmes de transport en commun des grandes agglomérations à prendre en charge une demande croissante". "A contrario, elles mettent l'accent sur la nécessité de rechercher des solutions alternatives dans les espaces d'urbanisation diffuse où la voiture a encore étendu son empire, que ce soit au travers de nouveaux réseaux de transport collectif ou de services de transport adaptés à la demande", selon l'auteur de l'étude. Cette question sera d'ailleurs "critique", "quelle que soit l'évolution future du coût de la mobilité", estime-t-il. Si les prix des carburants baissent, "les trafics pourraient reprendre leur croissance jusqu'à saturation des besoins, produisant une forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre, des consommations énergétiques et des congestions". A l'inverse, "une forte augmentation des prix des carburants pourrait fragiliser une partie des classes moyennes qui seraient alors confrontées à des difficultés accrues pour assurer leurs besoins de déplacements".

Forte hausse des émissions de CO2 sur les déplacements locaux

Un autre article paru dans la revue Economie et statistique de l'Insee vise à appréhender les facteurs socioéconomiques explicatifs des émissions de CO2 résultant de la mobilité des personnes, ainsi que leurs évolutions au cours des dernières années, en s'appuyant lui aussi sur les dernières enquêtes nationales transports de 1994 et 2008. Principal enseignement : "Si les émissions progressent de 14% entre 1994 et 2008, les tendances ne sont pas les mêmes" pour les mobilités quotidiennes que sur celles plus lointaines. Là encore, l'article note une "forte opposition" en matière de mobilité locale entre les évolutions "dans les zones centrales denses et les autres zones". Dans les premières, les émissions par tête des résidents baissent "de façon marquée (- 35 à - 40% chez les étudiants et les inactifs, - 25 à - 30% chez les actifs) ", cette diminution s'expliquant par "un abandon relatif de l'usage de l'automobile". A l'opposé, la progression de la dépendance à l'automobile "se poursuit dans les zones moins denses, avec un nombre de déplacements en voiture par personne qui se maintient mais, surtout, une croissance de leur portée et une tendance à l'individualisation de l'usage de la voiture", soulignent les auteurs de l'article, Jean-Pierre Nicolas et Zahia Longuar (Laboratoire d'économie des transports, ENTPE, Université de Lyon) et Damien Verry (Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques – Certu).
Sur la longue distance, les émissions unitaires ont décru de 10% au cours de la période étudiée. A cela, deux explications, selon l'Insee : le poids grandissant du train, et surtout du TGV, et surtout les améliorations enregistrées au niveau de l'avion (meilleurs taux de remplissage et progrès technique). Pris dans leur globalité, les grands déplacements ont vu leurs émissions de CO2 croître de 8% mais cela reflète principalement la croissance de la population (+6%).
Pour les déplacements locaux, la progression "très nette" des émissions de CO2 (+ 17% entre 1994 et 2008) "est tirée notamment par la poursuite de l'étalement urbain alors que les habitants des espaces centraux diminuent leurs mobilités et leurs émissions", soulignent les auteurs de l'article. Les facteurs de cette augmentation résident "essentiellement dans les contraintes liées aux déplacements domicile-travail des actifs, ainsi que dans des changements générationnels tels que la forte augmentation des effectifs des seniors et leur propension plus forte que celle de la génération précédente à utiliser la voiture", indiquent-ils.