Mise en oeuvre du ZAN : un premier bilan d’application de la loi, suspendu à la liste définitive des projets d’envergure nationale
Un rapport d’information de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale dresse l’état des lieux de l’application de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de "zéro artificialisation nette" (ZAN) au cœur des territoires. Un premier bilan "globalement satisfaisant", malgré quelques points de vigilance concernant notamment les référents territoriaux - pas tous opérationnels - et le décompte des zones d’aménagement concertées. La plus vive attention est également portée au recensement des projets d’envergure nationale ou européenne (Pene) d’intérêt général majeur, pour lesquels l’arrêté n’est toujours pas publié.
Alors que le gouvernement vient d’ouvrir à consultation publique le projet d'arrêté relatif à la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) des projets d’envergure nationale ou européenne (Pene) d’intérêt général majeur (voir nos articles des 11 et 15 avril 2024), comme le prévoit la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN), la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a établi un premier bilan d’application de ce second volet législatif relatif à la lutte contre l’artificialisation des sols. Les corapporteurs - Bastien Marchive (RE/Deux-Sèvres) et Mathilde Hignet (LFI-Nupes/Ille-et-Vilaine) - ont largement centré leurs propos sur le recensement de ces projets structurants pour l’élaboration des trajectoires des différents échelons de collectivités.
Une fois publié l’arrêté listant les Pene qui présentent un intérêt général majeur, plus aucune mesure réglementaire ne sera d’ailleurs attendue pour la bonne mise en œuvre du ZAN. Seules deux mesures réglementaires d’application sont explicitement prévues dans la loi du 20 juillet 2023, à son article 3 (un décret et un arrêté). Le décret (n° 2023-1098) fixant la composition et les modalités de fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols a été pris, il y a quelques mois, en novembre dernier. Des précisions réglementaires sur la territorialisation des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols dans les documents de planification et d’urbanisme ont par ailleurs été apportées concomitamment par un autre décret (n° 2023-1097) du 27 novembre 2023 et, plus récemment, par la voie d’une circulaire en date du 31 janvier 2024.
Publier au plus vite l’arrêté "Pene"
La loi crée un décompte au niveau national, sur la période 2021-2031, de la consommation d’Enaf liée à certains grands projets d’envergure nationale ou européenne présentant un intérêt général majeur, pour ne pas peser sur les trajectoires régionales et locales. L’arrêté en dressant la liste devrait être publié au plus tard fin mai. Une publication très attendue aux vues des conséquences importantes pour la territorialisation des objectifs du ZAN.
Le projet de texte recense 167 projets, représentant une consommation d’Enaf de 11.870 ha, et permet donc à ce stade de respecter le forfait national fixé par la loi à 12.500 ha. Cette mutualisation au niveau national conduit, après péréquation, à un objectif de réduction de la consommation d’Enaf de 54,5% pour les régions couvertes par un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), par rapport à la période 2011-2021, contre 50% auparavant. "La publication de cet arrêté est donc une étape critique pour permettre aux différents échelons de collectivités de respecter les délais prévus par la loi pour l’entrée en vigueur des documents de planification et d’urbanisme [révisés] tenant compte des objectifs du ZAN", insiste le rapport, qui appelle à une finalisation de la liste de Pene "dans les meilleurs délais". La transmission tardive de la liste de ces projets structurants complique d’autant cet exercice…
C’est aussi en raison de la brièveté des délais impartis, qu’une majorité de régions a renoncé à une composition ad hoc pour la conférence régionale de gouvernance du ZAN (art. 2 de la loi).
Des commissions régionales de conciliation dans les starting-blocks
Les commissions de conciliation, qui auront un rôle à jouer en cas de désaccord sur l’identification des Pene, sont bien "en cours d’installation". L’État a adressé aux présidents de région la liste de propositions de Pene, par courrier ce 10 avril. Sur saisine de la région, la commission régionale de conciliation aura alors un mois pour statuer.
Les différents projets de Pene recensés font inévitablement l’objet de critiques et d’interrogations sur les critères qui ont présidé à leur sélection, voire sur le calcul des emprises foncières associées. Les régions sont en outre très diversement concernées par ces Pene, et certaines d’entre elles s’estiment un peu lésées. C’est notamment le cas de la région Bretagne, "où seuls 30 ha sont imputés sur l’enveloppe nationale dans le projet de liste de ces Pene, alors que l’effort supplémentaire qui lui est demandé au titre de la péréquation liée à cette enveloppe est de 807 ha", note le rapport. Pour les rapporteurs, " il est donc essentiel que dans la réponse prévue par l’État aux présidents de région (…) les critères de sélection soient bien explicités et le choix des projets suffisamment motivé".
Encore peu de référents territoriaux
La circulaire diffusée fin janvier invitait en particulier les préfets à désigner, avant le 9 février, un référent territorial pour la mise en œuvre du ZAN, notamment pour suivre l’évolution des documents de planification et d’urbanisme. Deux mois après, ces référents "ne sont pas tous identifiés ou opérationnels", relève le rapport. La Nouvelle-Aquitaine, la Corse et la Guadeloupe n’ont ainsi pas encore nommé de référent. Quant aux référents départementaux, ils sont pour l’heure seulement au nombre de 13 sur les 101 nominations attendues.
Le rapport remonte "un besoin manifeste d’ingénierie et d’accompagnement des territoires" dans la déclinaison des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, et invite les services de l’État à être au rendez-vous. Pour répondre à ces besoins, la circulaire prévoit entre autres plusieurs dispositifs de formation, ainsi que la mobilisation du réseau "planif territoires". Intercommunalités de France et France Urbaine s’interrogent par exemple, sur l’absence de définition précise de ce que constitue une opération de renaturation dans la nomenclature des sols fixée dans le décret n°2023-1096. Des clarifications seraient également bienvenues sur la mise en œuvre de la "garantie communale" (d’une surface minimale fixée à 1 ha pour la période 2021-2031), qui soulève "certaines difficultés", notamment pour la mutualisation de ces hectares à l’échelle intercommunale. D’autres nouveaux outils à la main des collectivités, comme le droit de préemption urbain et le sursis à statuer spécifiques aux enjeux de lutte contre l’artificialisation des sols, ont donné lieu à des fiches élaborées par la DHUP à destination des services instructeurs.
Un certain flou sur le décompte des ZAC
C’est un autre point de vigilance soulevé par les rapporteurs. La circulaire précise que l’élément déclencheur de la comptabilisation d’Enaf "n’est pas l’acte administratif de création ou de réalisation d’une ZAC [zone d'aménagement concerté], mais le démarrage effectif des travaux". Une position en "contradiction manifeste", souligne Bastien Marchive, avec ce qui avait été évoqué lors des débats parlementaires, "de permettre une comptabilisation de la consommation d’Enaf engendrée par une ZAC créée sur la période 2011-2021 non à compter du démarrage effectif des travaux liés à celle-ci, mais dès son acte de création, compte tenu des délais souvent très longs de réalisation des ZAC et de leur caractère structurant à l’échelle d’un territoire, de tels projets étant ici potentiellement fragilisés dans leur faisabilité".
Autre sujet abordé : celui des données utilisées pour retracer la consommation d’Enaf et l’artificialisation des sols. La mise en place du portail de l’artificialisation est saluée, car il s’avère être "un outil utile". Cependant, des différences de décompte de la consommation d’Enaf entre les données du Cerema et celles obtenues au niveau local sont relevées. Et FédéSCoT s’interroge sur "la sécurisation des documents d’urbanisme qui utilisent les données régionales ou locales pour fixer et suivre la trajectoire foncière dans leur document de Scot et de PLUi".
Enfin, les rapporteurs, qui appellent la publication "dans les meilleurs délais" du rapport (prévu à l’article 9 de la loi) relatif à la fiscalité comme outil de lutte contre l’artificialisation des sols, souhaitent "que des réflexions soient engagées sur la nécessaire évolution de la fiscalité foncière qui, à ce jour, soutient la rétention et la spéculation".