Mise en oeuvre du zéro artificialisation nette : les décrets "d’ajustement" sont parus
Moins d’une semaine après la clôture du Congrès des maires, la publication, ce 28 novembre, de deux décrets (n° 2023-1096 et n° 2023-1097) destinés à corriger certains blocages dans l’application de l’objectif de "zéro artificialisation nette" (ZAN), et en particulier de sa territorialisation, met fin à l’attente des élus. Un troisième décret (n° 2023-1098) relatif à la nouvelle commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols pour les projets d’envergures vise plus particulièrement à traduire les adaptations déjà introduites par la loi du 20 juillet 2023.
La parution, ce 28 novembre, de deux textes réglementaires présentés comme des "ajustements" et "compléments" aux décrets du 29 avril 2022 pris en application de la loi Climat et Résilience dans le cadre de la mise en œuvre de l'objectif de "zéro artificialisation nette" (ZAN) suffira-t-elle à apaiser les esprits ? Pas si sûr tant les élus, qui vont devoir décliner cet objectif dans leurs documents de planification, appréhendent de passer aux travaux pratiques. Pour preuve le point info organisé en ouverture du dernier Congrès des maires visant à en décrypter les modalités d'application a fait salle comble (voir notre article du 23 novembre 2023).
Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires se veut pédagogue. Des notices très détaillées accompagnent donc ces deux décrets correctifs. D’autant que depuis leur mise en consultation publique en juin dernier (voir notre article du 15 juin 2023), la loi du 20 juillet 2023 a apporté son lot d’adaptations, contraignant les textes réglementaires à se mettre au diapason - raison pour laquelle plusieurs versions ont d’ailleurs été fusionnées - (lire nos articles des 21 juillet et 26 juillet 2023). Le ministère lui-même y perd son latin…et quelques erreurs se sont ainsi glissées dans les explications censées améliorer la lisibilité des textes. Il est par exemple vain d’y rechercher un nouvel article R.141-7-1 du code de l’urbanisme, comme le mentionne la notice du décret (n°2023-1097). Rappelons également que pour pimenter le tout le Conseil d’Etat a entre-temps censuré, le 4 octobre, une partie du décret du 29 avril 2022 portant sur la "nomenclature" de l'artificialisation des sols (voir notre article).
Mieux assurer la territorialisation des objectifs
Le premier décret (n° 2023-1097) vise à "mieux assurer la territorialisation des objectifs de sobriété foncière et l’équilibre entre le niveau d’intervention de la région d’une part, et d’autre part du bloc communal via les documents d’urbanisme", relève la notice. On en retrouve la traduction dans le renforcement des critères à considérer dans le rapport d’objectifs du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) "en faisant, à l’instar de la loi, mention explicitement à la prise en compte des efforts passés, et en indiquant qu’il convient de tenir compte de certaines spécificités locales telles que les enjeux de communes littorales ou de montagne et plus particulièrement de ceux relevant des risques naturels prévisibles ou du recul du trait de côte".
Exit la fixation obligatoire d’une cible chiffrée d’artificialisation à l’échelle infrarégionale dans les règles générales du Sraddet. Le ministère entend privilégier "une approche plus proportionnée et qualitative du rôle de la région et ne pas conduire à contraindre de façon excessive les documents infrarégionaux".
La région pourra définir des règles différenciées afin d'assurer la déclinaison des objectifs entre les différentes parties du territoire régional qu’elle a identifiées, en tenant compte du périmètre d'un ou de plusieurs schémas de cohérence territoriale (Scot) existants, de façon à ne pas méconnaître les compétences des échelons infrarégionaux.
Le texte s'appuie sur la loi du 20 juillet 2023 s’agissant de l'enveloppe minimale d’artificialisation de 1 hectare garantie à chaque commune (sans condition de densité) dans le cadre de la première période décennale 2021-2031. La déclinaison territoriale doit permettre de garantir la surface minimale de consommation d'espaces naturels, agricoles ou forestiers, tant au niveau du Sraddet que du Scot. Et pour les territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, leur permettre de favoriser des projets de recomposition spatiale en tenant compte des relocalisations rendues nécessaires par son évolution.
Le décret adapte également la faculté de mutualisation de la consommation ou l’artificialisation emportée par certains projets d’envergure régional qui font l’objet d’une liste dans le fascicule des règles du Sraddet, dans le cadre d'une part réservée au niveau régional à ces projets. Cette liste sera au moins transmise pour avis aux établissements publics de Scot, aux EPCI compétents et aux maires ainsi qu’aux présidents du conseil départemental concernés par ces projets.
Le texte précise en sus que les mesures mises en place pour les Sraddet sont mobilisables pour la fixation et le suivi des objectifs dans le schéma directeur de la région Île-de- France (Sdrif), les schémas d’aménagement régional (SAR) et le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc).
Ajout d’un critère pour le maintien des activités agricoles
L’équilibre entre la lutte contre l’artificialisation des sols et la préservation des espaces dédiés aux activités agricoles fait partie des points de vigilance. Ainsi, le décret ajoute un critère de territorialisation pour le maintien et le développement des activités dans ce domaine. Il prévoit en outre la possibilité de mettre en place une part réservée de l’artificialisation des sols pour des projets à venir de création ou d’extension de bâti agricole et ce notamment pour contribuer aux objectifs et orientations prévus dans les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles.
Chaque région pourra "opter via son document de planification pour réserver par avance une enveloppe destinée à de tels projets et qui sera donc mobilisée en tant que de besoin pour la période qu’elle couvre", explique la notice. "Ce mécanisme permet de mieux prendre en compte cet enjeu après 2031", relève-t-elle. Sachant que pour la première tranche de dix ans (2021-2031), les constructions ou installations à destination d’exploitation agricole qui sont réalisées dans les espaces agricoles ou naturels n’emportent généralement pas de création ou d’extension d’espaces urbanisés et donc de consommation de ces espaces. Un point est accentué : une autorisation d'urbanisme conforme aux prescriptions d'un document d'urbanisme en vigueur et ayant fixé des objectifs chiffrés de lutte contre l'artificialisation des sols "ne peut être refusée au motif qu'elle serait de nature à compromettre le respect de ces objectifs". En particulier, une autorisation d'urbanisme relative à une construction ou installation nécessaire à une exploitation agricole "ne saurait être refusée au seul motif que sa délivrance serait de nature à compromettre de tels objectifs".
Nomenclature des surfaces artificialisées et non artificialisées
C’est l’objet du deuxième décret (n°2023-1096) relatif à l'évaluation et au suivi de l'artificialisation des sols. Il s’agit ici "de mieux répondre aux enjeux de préservation et de restauration de la nature en ville, du renouvellement urbain et de développement des énergies renouvelables", selon la notice. Point important : le texte précise que la qualification des surfaces est seulement attendue pour l'évaluation du solde d'artificialisation nette des sols (flux) dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs des documents de planification et d'urbanisme. Pour cette évaluation, les surfaces sont qualifiées dans les catégories de la nomenclature "selon l'occupation effective du sol observée et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d’urbanisme", ajoute-t-il.
Des précisions sont adjointes pour répondre aux griefs du Conseil d’État. L'occupation effective est ainsi mesurée à l'échelle de polygones, dont la surface est définie "en fonction de seuils de référence" fixés dans la nomenclature annexée au décret selon les standards du Conseil national de l'information géolocalisée.
Le texte clarifie que les surfaces entrant dans les catégories 1 à 4 de la nomenclature, qui sont "en chantier ou à l’abandon", sont également considérées comme artificialisées (à savoir les surfaces dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d'un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites ainsi que les surfaces végétalisées herbacées et qui sont à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures). Il confirme que les surfaces à usage de culture agricole, et qui sont en "friches", sont bien qualifiées comme étant "non artificialisées". Le texte dissocie en outre les surfaces à usage agricole de celles végétalisées à usage sylvicole "pour une mesure plus fine de ces types de surfaces".
Quant aux surfaces végétalisées à usage de parc ou jardin public, elles pourront être considérées comme étant non artificialisées. De même pour les surfaces végétalisées sur lesquelles seront implantés des panneaux photovoltaïques (sous réserve du respect de conditions techniques garantissant que ces installations n’affectent pas durablement les fonctions écologiques du sol ainsi que son potentiel agronomique).
Sont également intégrés en annexe les seuils de référence à partir desquels pourront être qualifiées les surfaces. Pour rappel, cette nomenclature ne s'applique pas pour les objectifs de la première tranche de dix ans de la trajectoire.
Rapport local de suivi
Le décret n° 2023-1096 a également pour objet d’intégrer le troisième décret ZAN relatif au rapport local de suivi de l’artificialisation des sols, soumis à consultation en mars 2022 mais jamais publié. Le nouvel article L.2231-1 du code général des collectivités territoriales - introduit par l'article 206 de la loi Climat et Résilience - prévoit que les communes ou EPCI compétents, dès lors que leur territoire est couvert par un document d’urbanisme, établissent un rapport tous les trois ans sur le rythme de l’artificialisation des sols et le respect des objectifs déclinés au niveau local. Le premier rapport doit en principe être réalisé trois ans après l’entrée en vigueur de la loi. Le décret détaille les indicateurs et les données devant y figurer. Le choix a été fait de ne mentionner qu’un socle minimal de quatre indicateurs simples, "afin de ne pas alourdir la charge de travail des communes ou intercommunalités", relève le ministère.
Le rapport s’appuie sur des données que possèdent l’ensemble des communes ou qui leur seront mises facilement à disposition, en particulier sur le site internet de l’observatoire de l'artificialisation des sols, dont le décret précise également le rôle.
Ce document pourra comprendre "toutes les informations que la commune ou l’intercommunalité souhaite apporter quant à l’évolution et au suivi de la consommation des espaces et l’artificialisation des sols. Dès lors qu’elle dispose d’un observatoire local, elle peut le mobiliser en ce sens". Une disposition transitoire est toutefois prévue pour les indicateurs que les communes ou intercommunalités ne pourraient pas être en mesure de remplir, en l’absence de données durant les prochaines années, notamment compte tenu des échéances prévues à l’article 194 de la loi.
Commission régionale de conciliation sur les projets d’envergure
Un troisième décret (n°2023-1098), paru concomitamment, précise les modalités de fonctionnement de la nouvelle commission de conciliation sur l’artificialisation des sols, instituée dans chaque région, pour assurer la prise en compte des priorités de développement local. S’agissant des projets d'envergure nationale ou européenne présentant un intérêt général majeur, le compromis traduit dans la loi du 20 juillet 2023 permet que la liste en reste définie, après consultations, par l’État (arrêté ministériel), tout en prévoyant un droit de proposition des régions.
Pour la première tranche de dix ans (2021-2031), leur consommation d'espaces naturels, agricoles ou forestiers sera comptabilisée et mutualisée au niveau national, dans le cadre d'un forfait de 12.500 hectares, dont 10.000 pour les régions couvertes par un Sraddet. En cas de désaccord persistant sur la liste de projets, la commission régionale de conciliation pourra être saisie à la demande de la région.
Celle-ci comprend à parts égales trois représentants pour la région et trois pour l’État, dont le préfet et le directeur régional chargé de l’environnement et de l’aménagement. Et sa présidence est assurée par un magistrat administratif. Des représentants du bloc communal pourront y être conviés à titre consultatif dès lors qu’un projet les concerne. "La présence du maire et du président d'un établissement public de coopération intercommunale est tout particulièrement recommandée dans le cas de projets ayant une implantation concentrée sur un périmètre communal et intercommunal bien circonscrit", insiste la notice. La commission pourra en outre associer à ses travaux d’autres acteurs, et notamment ceux compétents en matière d'aménagement foncier, d'urbanisme ou d’environnement. Les propositions de la commission, formulées dans le délai d’un mois à compter de sa saisine, seront notifiées, à la diligence du préfet, au ministre chargé de l’urbanisme. S’il ne suit pas cet avis, le ministre devra informer les membres de la commission des motifs de sa décision.
Deux projets de textes (un décret et un arrêté) sur les modalités de prise en compte des installations photovoltaïques sont encore dans les tuyaux (voir notre article du 6 mai 2022).
Références : décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023 relatif à l'évaluation et au suivi de l'artificialisation des sols ; décret n° 2023-1097 du 27 novembre 2023 relatif à la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols ; décret n° 2023-1098 du 27 novembre 2023 relatif à la composition et aux modalités de fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols, JO du 28 novembre 2023, textes n° 17, 18 et 19. |