Commande publique - Méthode de notation : le Conseil d'Etat précise la frontière entre pouvoir du juge et liberté de l'acheteur public
Par deux arrêts du 22 octobre et 3 novembre 2014, le Conseil d'Etat se livre à une démonstration pratique des limites de l'étendue du pouvoir d'appréciation des juges administratifs concernant la méthode de notation. Afin d'évaluer les critères de sélection des offres qui lui sont proposées, le pouvoir adjudicateur définit librement une méthode de notation. Cependant, cette liberté a des limites et le juge administratif peut intervenir dans certains cas précis.
La question est alors de savoir quelle est l'étendue du pouvoir du juge, dans le contrôle du respect des principes de la commande publique et de la liberté du pouvoir adjudicateur dans le choix de l'offre.
La méthode de notation doit respecter les principes de la commande publique
Dans l'affaire du 3 novembre 2014, la commune de Belleville-sur-Loire avait conclu quatre contrats avec la société Milan Paysages dans le cadre d'un marché à bons de commande pour l'entretien des espaces verts. Le préfet du Cher a déféré ces contrats devant le tribunal administratif d'Orléans, qui a prononcé leur annulation au motif que la méthode de notation était irrégulière. La cour administrative d'appel de Nantes a confirmé cette décision et la commune a donc décidé de saisir le Conseil d'Etat.
Ce dernier a lui aussi jugé que la méthode de notation était entachée d'irrégularités. Les juges du Palais Royal rappellent tout d'abord la liberté dont bénéficient les pouvoirs adjudicateurs dans le choix de la méthode de notation. Toutefois, ils précisent que ces méthodes "sont entachées d'irrégularités si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération". La méthode de notation choisie par le pouvoir adjudicateur doit conduire à une évaluation précise des offres selon les critères de sélection, aboutissant à l'attribution de la meilleure note à la meilleure offre ou le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse. En l'occurrence, la méthode utilisée a eu "pour effet de neutraliser les écarts entre les prix" et "était ainsi susceptible de conduire à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie".
Le juge administratif a donc le pouvoir de sanctionner une telle méthode de notation non conforme. La liberté des pouvoirs adjudicateurs dans la définition de la méthode de notation est conditionnée au respect des principes de la commande publique. Si la collectivité se conforme à ces principes, le pouvoir du juge sera largement restreint.
La qualité de l'offre évaluée avec une méthode de notation régulière échappe au contrôle du juge
Dans cette seconde affaire datant du 22 octobre 2014, la commune de Saint-Louis avait lancé un appel d'offre ouvert pour un marché d'exploitation et de maintenance des installations de chauffage, de production d'eau chaude sanitaire et de ventilation des bâtiments communaux. Le marché a été attribué à la société EBM Thermique. La société Dalkia, candidate évincée s'estimant lésée, décide alors de saisir le juge du référé précontractuel. Elle avance notamment une mauvaise utilisation de la méthode de notation du prix. L'ordonnance rendue annule la procédure de passation du marché. La commune et la société EBM Thermique décident donc de se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat. Ce dernier décide alors d'annuler l'ordonnance, au motif qu'un juge ne peut apprécier les offres en elles-mêmes si la méthode de notation utilisée est correcte.
La Haute Juridiction rappelle en premier lieu que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'indiquer la méthode de notation des offres qu'il utilise. Cette absence d’information ne constitue pas un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence.
En outre, alors que la société évincée soutient que la méthode appliquée n'a pas conduit à "l'attribution de la meilleure note à l'offre la moins chère ", le Conseil d'Etat considère pourtant cette méthode régulière car ayant permis de sélectionner, par le jeu des variantes, l'offre la mieux-disante.
Pour ces raisons, les juges de cassation concluent en indiquant "qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, à l'issue de la consultation, sur les mérites respectifs des offres". Si elle est régulière, la méthode de notation et l'appréciation des offres qui en découle sont des éléments dépendants du pouvoir discrétionnaire de la personne publique et ne sont donc pas soumis au contrôle du juge.
L'Apasp
Références :
CE, 3 novembre 2014, 373362 ; CE, 22 octobre 2014, 382495