Menace ou accélérateur, la proposition de loi sur la qualité des réseaux oblige le secteur à agir
La proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements à la fibre a provoqué beaucoup de remous dans le milieu des télécoms ces derniers jours. Le colloque de l'Avicca qui s'est tenu les 16 et 17 mai a été l'occasion de repréciser les points de vue. Avec une évidence : la nécessité d'avancer rapidement sur ce problème de la qualité des réseaux FTTH.
Si l'objectif de Patrick Chaize était de placer la qualité des réseaux au cœur du débat, l'objectif parait atteint. L'adoption de sa proposition de loi le 4 mai 2023 au Sénat (voir notre article du 3 mai 2023) a en effet fait l'effet d'une bombe dans le microcosme des réseaux très haut débit. Les opérateurs commerciaux réunis au sein de la FFTelecom, dans la foulée de son communiqué incendiaire (voir notre article du 26 avril 2023), avaient du reste décidé de boycotter le Trip de printemps de l'Avicca, organisé les 16 et 17 mai à Paris. Si les deux camps n'ont pas encore trouvé la voie moyenne, il parait déjà acquis que les choses vont bouger d'ici l'arrivée du texte à l'Assemblée, annoncée pour septembre.
Répondre aux questions de l'usager
Le président de l'Avicca, Patrick Chaize, a tenu à rappeler ce qui l'avait conduit à déposer ce texte. Il a fait valoir des problèmes liés à la sous-traitance des raccordements identifiés "dès 2017". Or six ans après, malgré la multiplication des plans, chartes et contrats, la situation ne s’améliore guère. "D’engagements en engagements fermes, en janvier 2024, les plats de nouilles seront sûrement al dente...", a ironisé le sénateur. "Exaspérés, les adhérents à l'Avicca me poussaient à interdire totalement le mode Stoc. Je ne les ai pas suivis, j’ai pris un risque", a-t-il souligné. Et d’ajouter que "l’unanimité ce n’est pas rien", sachant que plus de 140 sénateurs de toutes tendances politiques avaient cosigné la proposition de loi. Le sénateur a aussi appelé à un "respect mutuel", les représentants des Rip ayant particulièrement mal vécu que les opérateurs d’infrastructures soient accusés par le gouvernement d’être à l’origine de 90% des problèmes. "C’est l’arbre qui cache la forêt", a-t-il dénoncé, citant les nombreux incidents qui ne peuvent à l'évidence être imputés aux réseaux accidentogènes. "L'ambition de ce texte est d'apporter des réponses simples et claires à l'usager qui se contrefiche de savoir s'il est en zone Amii, dense, RIP ou Amel", a fait valoir le sénateur. L'élu de l'Ain soutient aussi que l'article 1 du texte n'est ni plus ni moins que la reprise du plan qualité des opérateurs : "Qu'est-ce qui les gêne de voir leurs engagements inscrits dans la loi ? S'ils ne sont pas d'accord, ils n'ont qu'à me proposer des amendements !".
Des résultats avant l'adoption du texte ?
Le président d'Infranum, Philippe Le Grand, a "remercié" Patrick Chaize d'avoir porté ce dossier de la qualité. "Il n'y a plus du tout de déni", a-t-il soutenu. Mais son association marche sur des œufs, en comptant parmi ses membres des opérateurs d’infrastructure (OI), convoqués ce mercredi 17 mai à Bercy, qui refusent de porter la totalité du chapeau des dysfonctionnements, et des opérateurs commerciaux vent debout contre la proposition de loi. Philippe Le Grand a surtout déploré l'absence de chiffres, chacun venant avec des indicateurs de qualité qui seraient "tous faux". "Il faut parler le même langage", "donner à l'Arcep le pouvoir de quantifier", a-t-il plaidé, concédant que les initiatives mises en place par la filière, application "e-intervention" et nouveaux contrats, tardaient à produire leurs effets. Il a cependant alerté sur le fait que la loi n'allait rien résoudre à court terme : "Cela va prendre du temps et en attendant on fait quoi ?". Et de conclure : "Elle va nous forcer à avancer, nous allons produire des résultats avant que la loi ne soit adoptée". Une affirmation accueillie par un sourire en coin de Patrick Chaize. Car au fond ce dernier ne se dit pas plus attaché que cela à sa loi, "du moment que ça avance".
Le ministre sur ses positions
Le ministre délégué aux télécommunications, Jean-Noël Barrot, n’a pas souhaité poursuivre dans l'enceinte du Trip les débats du Sénat. Il s'est contenté de rappeler les objectifs du gouvernement en matière de réseaux. Il a ainsi réitéré son souhait d'avancer sur la "complétude" FTTH, promettant aux collectivités que les opérateurs ayant signé des engagements (en zone Amii et Amel) "devraient les respecter". L’accord global évoqué récemment avec les opérateurs (voir notre article du 8 mars 2023) ne concernera donc que les quelques communes en zones très denses. Pas un mot en revanche, côté gouvernement comme côté Arcep, sur l'éventualité de sanctions sur les zones Amii, l'Autorité s’étant pour le moment limitée à des mises en demeure. Sur la qualité, le ministre comme la présidente de l'Autorité ont simplement rappelé les engagements pris par les opérateurs à l'automne 2022. Le ministre a cependant précisé que "les indicateurs de qualité devaient pouvoir être partagés", soutenant ainsi la disposition de la proposition de loi sur le volet régulation de la qualité des réseaux. Il a surtout appelé à un "dialogue" entre opérateurs d’infrastructures et opérateurs commerciaux. Sur la question du cuivre enfin, il a appelé les opérateurs à proposer des offres ne comprenant que le téléphone, à prix abordable, pour s'aligner sur ce qui existe aujourd'hui sur le cuivre. Car en l'état, cette absence pèse sur la migration des abonnés cuivre vers des offres FTTH.
41,5 millions de lignes cuivre à fermer
L'édition 2022 de l’observatoire du THD, portée par Infranum et l'Avicca avec le soutien de la Banque des Territoires, a été dévoilée à l'occasion du Trip. La France confirme ainsi son leadership en atteignant 34,5 millions de locaux raccordables, soit 4,8 millions de plus qu'en 2021, pour atteindre plus de 80% des locaux raccordables, en phase avec les objectifs du plan THD. Et alors que les déploiements de la fibre ralentissent dans les zones privées, ils restent très dynamiques dans les zones RIP avec comme perspective d’atteindre 98% en 2025.
Si le pic des déploiements est désormais dépassé, les enjeux se déplacent sur la complétude, la résilience des réseaux – objets d’un projet de "Good Deal" (notre article du 15 mars 2023) – mais aussi l'arrêt du cuivre. 41,8 millions de locaux sont concernés, selon les chiffres de l'Observatoire. À ce jour, seulement 11.600 lignes cuivre ont été fermées, 1 million de lignes cuivre étant programmées d'ici 2025. Pour atteindre l'objectif de 2030, il faudra donc en fermer plus de 10 millions par an à partir de 2028. Un enjeu dont les Français sont aujourd’hui peu conscients, la priorité des élus comme des industriels étant d’accélérer sur la communication.