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Martial Bourquin : il faut "une loi qui privilégie les centres-villes sur les périphéries"

Pour Martial Bourquin, sénateur du Doubs et co-rapporteur du groupe de travail sénatorial visant à ressusciter les centres-villes, il est grand temps de prendre conscience de l’état avancé de dévitalisation de nos centres-villes. On pourrait avoir affaire à des situations irréversibles dans les villes les plus fragilisées, dont un quart des locaux commerciaux est inutilisé.
"Ce qui caractérise le plus la périphérie, c’est l’extrême solitude. Au contraire, les centres-villes favorisent la sociabilité, insiste Martial Bourquin qui propose notamment une fiscalité incitative pour les centres. Mesure qui figurera dans la proposition de loi qu'il prépare avec le sénateur du Cher Rémy Pointereau. Le texte devrait être déposé au mois de mai. Premiers aperçus pour Localtis.

Localtis - Vous proposez d'inscrire dans la loi le principe d'une "culture des centres-villes", comment codifier cette disposition symbolique ?
Martial Bourquin -
Le problème est de passer du symbole aux actes concrets. Depuis une trentaine d'années, on met en place une culture de l'étalement urbain et de la périphérie, qui touche à la fois le commerce, l'habitat et les services.
Il est temps de prendre conscience de l'état de dévitalisation de nos centres-villes, et pour commencer, d'en faire les lieux privilégiés et prioritaires de l'urbanisme commercial. Secondement, il nous faut veiller à ce que tous les projets en périphérie soient gelés, afin que les équipements structurants (services publics, équipements culturels) restent au centre-ville. Cela doit être inscrit noir sur blanc dans une loi qui privilégie les centres-villes sur les périphéries.

Dans un rapport publié en février 2017 sur la revitalisation des centres historiques en déclin, Yves Dauge avait identifié 600 villes petites et moyennes nécessitant un travail de fond dans une approche multisectorielle. Aujourd'hui, le Programme Action Coeur de Villes aborde le problème avec une cible de 150 à 200 villes sur cinq ans. Comment appréhendez-vous cette dynamique, et vous paraît-elle répondre aux défis actuels de la dynamisation des centres-villes ?
Je veux rendre hommage à Yves Dauge qu'on doit auditionner dans les prochaines semaines. Son rapport était d'un très haut niveau et il cernait bien le problème des centres-villes. Depuis sa parution, la situation s'est aggravée avec des millions de m² de surfaces commerciales qui sont en attente ou qui ont été construites, mais aussi avec l'e-commerce.
La nouvelle orientation du gouvernement est à la fois intéressante (c'est la première fois qu'on aborde le problème de cette façon) et incomplète car la dévitalisation touche l'ensemble du territoire : non seulement les villes moyennes mais aussi les centres-bourgs.
Si l'on ne fait que des actions correctives sans mettre en place une politique structurante qui fait de la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs une priorité, inévitablement les mêmes causes vont provoquer les mêmes effets.
Par le passé, les outils correctifs comme le Fisac (Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, ndlr) n'ont pas empêché la dévitalisation.
Il nous faut inverser les flux de consommation par une action structurante : il s'agit de renverser le processus avec une fiscalité plus avantageuse dans le centre-ville que dans la périphérie, et des politiques d'urbanisme qui privilégient les services et les commerces dans le centre-ville.

A Avignon, où l'idée d'un moratoire sur les centres commerciaux était une promesse de campagne municipale, c'est finalement le syndicat de Scot (Schéma de cohérence territoriale) qui a pris les choses en main en limitant plus sobrement les zones réservées au développement commercial (sur le sujet, voir ci-dessous notre article du 8 février 2018). Comment voyez-vous la montée en puissance de l'échelon intercommunal (Scot, PLUi) dans l'aménagement commercial ?
Le vrai problème aujourd'hui, c'est que lorsqu'un maire refuse l'implantation d'une grande surface, un autre élu, à 5 ou 10 km de là, ne résiste pas à la promesse du nombre d'emplois créés par cette même implantation. L'urbanisme commercial devrait permettre de réguler ces formes de chantage à l'emploi en empêchant l'élu voisin d'accepter un projet de centre commercial.
Je crois profondément que les Scot doivent être prescriptifs sur l'urbanisme commercial en indiquant des espaces réservés à l'aménagement commercial. Aujourd'hui le Scot pose des références pour l'implantation commerciale, demain il faudra des obligations. D'un point de vue réglementaire, il suffit de faire des ajouts au code de l'urbanisme pour y parvenir, ce n'est pas très compliqué à mettre en oeuvre. Les zones commerciales devront être tracées au sol et il ne devra pas y avoir d'exceptions : c'est ce qui se fait au Royaume-Uni et en Allemagne, avec un succès manifeste.
De ce point de vue les Scot et les PLUi ont un rôle essentiel à jouer pour renverser la culture de la périphérie ; il faut également envisager une action inter-Scot sur le sujet, car l'aire de chalandise d'un centre commercial dépasse parfois l'échelle du Scot.

Comment traiter les espaces périphériques déjà artificialisés, et bien souvent dédiés à l'activité commerciale ?
Les mètres carrés artificialisés en périphérie le sont de manière irréversible, et l'on parle désormais de la dévitalisation des surfaces commerciales. Il faut d'urgence considérer leur reconversion. On peut reconquérir ces mètres carrés, mais en aucun cas les reconstruire. D'autres services peuvent y être amenés, par exemple dans le domaine de la santé qui va devenir primordial dans les prochaines années.
Dans cette même frange périphérique, la question des surfaces agricoles est essentielle : on est allé au bout de la culture intensive et l'on va vers une culture extensive, à la périphérie des villes, parfois dans la ville. Le maraîchage va reprendre une nouvelle ampleur : ces surfaces agricoles sont très utiles, alors qu'on a trop de surfaces commerciales.

Vous abordez ainsi le problème de la destination des sols : comment la collectivité peut-elle s'impliquer dans l'organisation du foncier ?
La reconquête des centres-bourgs ne se fera pas si les élus ne maîtrisent pas le foncier. Lorsque la propriété foncière est privée, les opérations sont freinées, voire compromises, par les capacités limitées de la collectivité à mobiliser le foncier.
Il faut raccourcir les DUP (déclarations d'utilité publique, ndlr) pour donner aux collectivités les moyens de lancer des grandes opérations sur plusieurs hectares, traitant les problématiques de l'habitat, du commerce et des services. Les établissements publics fonciers ont un rôle très important à jouer auprès des élus dans cette mission.

Quelles sont vos propositions, sur le plan de la fiscalité, pour intervenir sur la politique commerciale et l'implantation des services publics ?
La question financière est tout à fait centrale : les commerçants entrepreneurs qui quittent le centre-ville expliquent qu'il leur revient tout simplement moins cher de s'installer en périphérie. Mon choix est de renchérir les périphéries afin de donner une bouffée d'oxygène aux centres-villes : il faut revoir la fiscalité pour rendre plus attractif le centre-ville.
On a déjà monté en France des zones franches dans les périphéries urbaines : ça a été un désastre. Des professions libérales, des avocats et médecins, ont rejoint les périphéries pour bénéficier d'une défiscalisation massive. La moindre des choses serait de faire aujourd'hui l'inverse. Pour des situations avancées de dévitalisation, il faudra des mesures très fortes en mettant en place des zones franches en plein centre-ville, pour qu'il ne soit plus dissuasif de s'y installer.
Le commerce c'est quand même du business. Si on n'aborde pas ce problème on passe à côté de l'essentiel. On demandera une expertise forte de la commission des finances du Sénat pour consolider notre position et présenter une proposition de loi équilibrée, entre les coûts et les recettes de cette fiscalité des centres-villes.

Souhaitez-vous aborder, dans votre proposition de loi, la problématique de l'e-commerce ?
C'est en effet une question centrale que nous souhaitons traiter dans notre proposition de loi. Nous proposons d'abord une taxation des Gafa (les géants du web, à l'instar d'Amazon, ndlr) qui soit au niveau de leur chiffre d'affaires, alors qu'ils sont aujourd'hui encore largement épargnés par la fiscalité.
Ensuite, nous voulons donner la possibilité à tous les centres-villes d'avoir des plateformes d'e-commerce, celles-ci n'étant pas réservées aux Gafa. L'e-commerce est l'avenir des commerçants indépendants et des services de centre-ville. Nous veillerons à ce que les managers de centre-ville soient au service de la présence digitale des commerçants de centre-ville, pour que ces derniers puissent proposer leurs produits sur le net.

L'animation des centres-villes est essentielle dans leur plan de revitalisation, comment l'abordez-vous ?
La culture a une place tout à fait originale dans l'animation des centres-villes, qui doivent être conviviaux, et esthétiques. Cette convivialité est un maître mot : elle permet de multiplier les rencontres, et ainsi d'assurer l'attractivité du centre-ville. Il faut des bars à vin, des concerts publics, de nombreux points de restauration : tout ce qui fait qu'on se sent bien dans les centres-villes.

Où en est la rédaction de votre proposition de loi ?
Nous continuons les auditions pour aborder la rédaction de la proposition de loi en avril. On sent aujourd'hui les tendances lourdes de ce qu'on va proposer. Il faudra être concret et précis sur les questions financières, sinon, on pourra uniquement faire dans le symbolique.
Un tel travail va représenter beaucoup de réunions, et une expertise extrêmement fine pour faire en sorte que la proposition de loi que nous allons déposer au mois de mai soit la plus précise possible, et pas seulement un "coup de com" supplémentaire.