Industrie - Malgré les chiffres, une étude de Bercy continue de croire aux relocalisations
Le mouvement de "relocalisations" n'a concerné que 70 emplois industriels en 2013, alors que la désindustrialisation ne cesse de s'amplifier. C'est ce qui ressort des derniers chiffres de l'observatoire de l'investissement Trendeo, publiés le 27 janvier, qui montrent que le solde entre investissements et désinvestissements reste très défavorable à la France : 263 usines ont fermé l'an dernier (presque autant qu'en 2012) quand à peine 124 ont été créées, soit une chute de 28% en un an (pour les tendances régionales, voir encadré ci-dessous).
Aussi peu pourvoyeuses en emplois, les relocalisations n'en sont pas moins une priorité du gouvernement qui s'attend à un changement d'échelle. L'Elysée a parlé d'introduire une clause de relocalisation dans les contreparties liées au Pacte de responsabilité… S'inspirant des Etats-Unis et du "reshoring", le ministre du Redressement productif a même lancé, en juillet dernier, un moteur de calcul www.colbert2-0.fr pour aider les entreprises à calculer leurs coûts de production et à choisir leur lieu d'implantation en connaissance de cause. Il a aussi installé en octobre une équipe de 22 "référents uniques pour les investissements", sortes de mousquetaires des relocalisations. Communicant talentueux, Arnaud Montebourg n'avait pas hésité, il y a quelques mois, à enfourcher un Solex électrique pour saluer la relocalisation d'une partie de sa production à Saint-Lô (Basse-Normandie). "Relocaliser, c'est possible, car la régionalisation des échanges rapproche les activités de production au plus près des lieux de consommation et car de nombreuses industries reviennent des logiques low cost qui ont pu mener à des impasses", peut-on lire sur le site Colbert 2.0. Mais pour l'heure, une centaine de cas seulement ont été recensés au cours des quatre dernières années...
Un mouvement "considéré comme prometteur"
Pourtant, cet optimisme est partagé par la DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services) et la Datar dans une étude sur les "Relocalisations d'activités industrielles en France" réalisée auprès d'une trentaine d'entreprises ayant fait ce choix. Cette étude a été confiée à un groupement comprenant les cabinets Sémaphores (qui a participé à la conception du site Colbert 2.0), le groupe Alpha et l'université Paris Dauphine. L'objectif affiché est de "doter la puissance publique d'outils opérationnels pour agir sur les relocalisations". "Le mouvement de relocalisation, sans être massif, n'est pas marginal, et il peut même être considéré comme prometteur", veulent croire les auteurs. A l'avenir, une centaine de cas pourraient avoir lieu chaque année, avait récemment déclaré le responsable du cabinet Sémaphores. Mais cette prévision repose sur une condition de taille : une "reprise nette et durable de la croissance européenne" qui entraînera un mouvement de "régénération des avantages comparatifs". Les relocalisations seraient alors une composante d'un "rééquilibrage des chaînes de valeur", souligne l'étude. En somme, l'accès aux ressources (marchés, matières premières, approvisionnements, compétences, capacités d'innovation) deviendrait au moins aussi important que le critère des coûts salariaux.
Cartographie des cent dernières relocalisations
L'étude distingue trois cas de figure. Les "relocalisations d'arbitrages", opérées par de grands groupes, comparant "à froid" les différents sites envisageables pour le lancement d'un nouveau projet. Les "relocalisations de retour", consécutives à des délocalisations. C'est par exemple le cas du spécialiste des arts de la table Geneviève Lethu qui, dès 2005, avait décidé de rapatrier une partie de sa production asiatique en Auvergne et dans les Vosges… Enfin, les "relocalisations de développement compétitif", celles des entreprises pour qui le retour au bercail est surtout envisagé comme une "étape de maturité et d'approfondissement" des positions de marchés établies à l'étranger.
Quel que soit le cas de figure, le choix de l'entreprise repose sur un "cocktail" alliant l'investissement, l'immobilier, le financement, l'organisation, la chaîne de réactivité, la qualité, la sécurité juridique, l'intégration dans un écosystème créatif et productif, le repositionnement de gamme, l'innovation, le développement de services associés à la production (service après-vente)…
L'étude a permis d'établir une cartographie inédite des 100 dernières relocalisations. Celles-ci se répartissent sur l'ensemble du territoire, à l'exception notable du quart Sud-Ouest. Ainsi, les relocalisations sont proches des zones intenses en centres cognitifs (recherche, design, publicité, etc.). Ces territoires attractifs offrent des "écosystèmes" propices à l'innovation, à l'excellence.
Vingt zones d'emplois particulièrement fragiles
Presque la moitié des relocalisations ont lieu dans les zones industrielles (45,2%), à égalité entre les zones industrielles rurales et les zones de "performance extérieure" tournées vers l'international. Les autres relocalisations concernent principalement les zones de services urbaines (48%). Elles attirent essentiellement des groupes dont le siège est à Paris mais dont "la relocalisation peut se situer ailleurs sur le territoire".
A côté de ces territoires attractifs, les auteurs invitent les pouvoirs publics à surveiller les "zones industrielles mono-spécialisées" afin d'anticiper les mutations et reconversions qui s'y annoncent (politiques de formation, reconversions, orientations...). Selon la "revue de littérature" de l'étude, qui compile les contributions des différents chercheurs, une vingtaine de zones d'emplois seraient particulièrement fragiles. Dispersées et isolées, elles subissent de plein fouet la concurrence des pays à bas salaire. "Il est urgent de repenser les interventions publiques face à la nouvelle division internationale du travail", avertissent les auteurs pour qui les aides publiques n'ont pas prouvé leur efficacité. L'étude invite à "viser les facteurs de production" : travail, formation, recherche et innovation, qui sont des "sources de reconquête d'avantages compétitifs par rapport aux pays à bas salaires".
Michel Tendil
La déSindustrialisation s'est poursuivie en 2013
Pour la première fois depuis 2009, le nombre d'emplois supprimés en France en 2013 n'est pas compensé par le nombre d'emplois créés. D'après les chiffres de l'observatoire de l'emploi et de l'investissement de Trendeo, société de veille et de conseil, publiés le 27 janvier 2013, 119.952 emplois ont ainsi été supprimés contre 98.758 créations d'emplois, soit un solde négatif de 21.194 emplois nets supprimés.
L'industrie manufacturière a perdu à elle seule 23.204 emplois entre 2013. "Depuis 2009, l'industrie manufacturière n'a créé des emplois que pendant deux trimestres, fin 2010 et début 2011", précise la note. Au total, près de 150.000 emplois ont été supprimés dans ce secteur depuis janvier 2009, dont le tiers dans le secteur automobile. Parmi les grandes annonces de suppressions d'emplois de 2013 : Renault (7.500 postes), EADS (1.440), Goodyear (1.250 postes). Cela dit, l'industrie manufacturière reste le premier secteur pour les créations d'emplois en 2013 avec 27% du total des créations d'emplois brutes recensées, soit 26.254, devant le commerce et les technologies de l'information et de la communication.
Durant l'année 2013, il y a eu 263 fermetures d'usines, un chiffre en très légère diminution par rapport à 2012 (267 usines fermées). "Cependant, comme les créations d'usines ont baissé dans le même temps de 28% passant de 172 à 124, la contraction du tissu industriel se poursuit, sur un rythme légèrement réduit par rapport à 2012", indique Trendeo. Les délocalisations ne représentent quant à elles qu'à peine 7% des suppressions d'emplois dans l'industrie manufacturière depuis 2009, et seulement 4% en 2013. Les relocalisations pèsent aussi très peu : 0,3% seulement (soit 70 emplois seulement) dans l'industrie en 2013.
La baisse des créations d'emplois au niveau national d'environ 33% se répercute globalement au niveau régional. Mais certaines régions "ont un comportement atypique", précise Trendeo. C'est le cas de l'Ile-de-France, qui a subi une baisse des créations d'emplois de grande ampleur (- 44%), mais qui reste pourtant en première position en matière de créations d'emplois. Les Pays de la Loire et le Nord-Pas-de-Calais, qui se situent respectivement en deuxième et quatrième positions, sont dans la même situation. Certaines régions progressent en matière de créations d'emplois : Languedoc-Roussillon, avec 42% de créations, la Réunion (33%) et la Bretagne (2%).
Pour 2014, Trendeo ne s'attend pas à une amélioration. "Le risque est grand que l'année 2014 soit, au mieux, une année de stagnation", précise ainsi le bilan. Parmi les signes négatifs : la faiblesse des investissements et de l'emploi dans les activités vertes et la recherche et développement. En 2013, pour la première fois depuis 2009, les activités de R&D ont supprimé plus d'emplois qu'elles n'en ont créé : 1.165 contre 1.027…
Emilie Zapalski