Social / Economie - Maintien à domicile des personnes âgées : la Creuse mise sur la domotique
Avec 35% de personnes âgées de 60 ans et plus, dont 15% d'au moins 75 ans, la Creuse est le département le plus âgé de France. "Alors que cette situation est souvent conçue comme un handicap, nous nous sommes demandés comment en faire un atout," explique Jean-Luc Léger, vice-président du conseil général de la Creuse en charge des dépendances et de l’autonomie. Créer des opportunités économiques tout en s'attaquant au défi du vieillissement, c'est l'objectif poursuivi par la démarche partenariale "Domotique et santé", portée par la Communauté de communes de Guéret Saint-Vaury - devenue Communauté d'agglomération du Grand Guéret - (voir ci-contre l'expérience Mairie-conseils) et labellisée en 2006 Pôle d'excellence rurale (PER). Dans ce cadre, le département a expérimenté sur une quinzaine de foyers un pack domotique visant à sécuriser et faciliter le quotidien de personnes âgées en perte d'autonomie. Déployée plus largement à partir de 2010, la démarche a depuis conduit à équiper 2.700 domiciles de services de téléassistance, dont un millier dans le cadre de "packs domotique".
Eviter les chutes et contribuer au maintien du lien social
Ce dernier comprend, outre la téléassistance, des détecteurs de fuite de gaz et de fumée, un détecteur de températures extrêmes et un "chemin lumineux", un éclairage automatique de la chambre aux toilettes destiné à prévenir les chutes liées aux déplacements nocturnes. "Une étude en cours du CHU de Limoges démontre les bienfaits de ce dispositif sur la santé, cela permet d'éviter des chutes et donc des hospitalisations et autres conséquences difficiles," précise Jean-Luc Léger. "On évite ainsi des placements prématurés en institution," ajoute Christelle Sartiaux, chef de projet domotique à domicile au conseil général de la Creuse. Le service de téléassistance comprenant des "appels de convivialité" aux personnes âgées (pour prendre des nouvelles, souhaiter un anniversaire, etc.), le dispositif constitue un "soutien psychologique", contribue au "maintien du lien social", précise Christelle Sartiaux. La plateforme de téléassistance détecte parfois des évolutions dans les situations des personnes, informations par la suite transmises aux équipes sociales et médico-sociales du département.
"Odyssée 2023": la revanche de la Creuse
Outre l'enjeu du maintien à domicile des personnes, le développement de la domotique en Creuse et, plus globalement, dans le Limousin, suscite une dynamique économique et universitaire. Alors que l'entreprise Legrand fabrique les équipements domotiques à Limoges, une petite coopérative artisanale d'électriciens s'est montée à Guéret pour installer les packs dans les domiciles creusois. Le pôle domotique et santé "Odyssée 2023" comprend en outre un incubateur et une pépinière d'entreprises, destinés à soutenir l'innovation - et la création d'emplois - dans ce domaine. Par ailleurs, une offre de formation "domotique et autonomie des personnes" se développe à Guéret, avec un BTS, une licence professionnelle et prochainement un master. Pour Jean-Luc Léger, cette filière constitue une opportunité pour "retenir nos jeunes". Et, à défaut, d'attirer de nouveaux habitants, la Creuse, désormais perçue comme un territoire en pointe sur la thématique du vieillissement, reçoit les visites d'acteurs d'autres régions. "Pour une fois, la Creuse a une longueur d'avance", se réjouit Jean-Luc Léger.
Des packs plus modulables pour accroître la demande
Les visiteurs cherchent notamment à en apprendre davantage sur l'envers du décor de la démarche. Outre les aspects techniques, le déploiement de tels équipements et services nécessite des efforts de coordination importants. "Initialement, nous avons sensibilisé l'ensemble des partenaires, tant les travailleurs sociaux, appelés à préconiser le pack domotique, que les installateurs électriques, amenés à travailler auprès de personnes fragiles", explique Christelle Sartiaux. D'un point de vue organisationnel, la Creuse a jusqu'à présent opté pour une délégation de service public (DSP), attribuée à la société SIRMAD Téléassistance (Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité), tout en maintenant une "cellule domotique" au conseil général chargée de traiter les demandes et d'effectuer les diagnostics préalables des habitations. Pour un coût global de 5,7 millions d'euros sur cinq ans, dont 1,5 million à la charge du département, que complètent des participations de l'Europe (Feder), de la région et de l'Etat.
S'apprêtant à lancer une prochaine DSP pour une durée de 10 ans, le département réfléchit à la manière de "rendre le pack plus modulable", précise Christelle Sartiaux, pour "agir encore plus sur le volet prévention de la dépendance" et répondre aux besoins de publics plus divers (personnes âgées peu dépendantes ou encore personnes handicapées). Le pack domotique concerne en effet encore majoritairement les bénéficiaires de l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA), dont le plan d'aide couvre l'abonnement mensuel de 38,27 euros par mois.
Maison intelligente contre solitude ?
En attendant, la deuxième génération de packs domotique est à l'étude. Une tablette devrait faire office de "cahier de liaison numérique", afin d'améliorer le lien entre les différents intervenants à domicile. Sur les aspects purement technologiques, d'autres projets en France semblent aller plus loin. Ainsi l'expérience "Gerhome" (GERontology at HOME) développée par une équipe de chercheurs pilotée par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) à Sophia-Antipolis cherche à inventer une "maison intelligente". Une maison suffisamment outillée pour vérifier que son occupant se lève, s'alimente, se lave... Alors qu'une étude récente de la Fondation de France nous apprend que 27% des personnes âgées de plus de 75 ans sont isolées (voir notre article du 8 juillet), tout le défi de la domotique semble être de s'assurer que ces technologies, assorties d'une meilleure coordination des "moyens humains", contribuent bien à réduire la solitude plutôt qu'à ne l'accroître.
Caroline Megglé
Promotelec propose aux collectivités son expertise sur la domotique
L'association Promotelec, qui regroupe 24 membres issus de la filière électrique (EDF, GDF-SUEZ), du bâtiment (Anah, Capeb, CSTB, USH) et des associations de consommateurs (Confédération générale du logement notamment) sur les "usages durables de l'électricité", propose un appui aux collectivités désireuses d'investir le champ de la domotique. Il s'agit d'"informer et de sensibiliser sur l'existence de solutions validées par nos membres", pour Damien Hasbroucq, directeur de Promotelec. "Notre rôle est de faire un filtre sur ce qu'il nous semble pertinent de déployer."
En région limousine par exemple, l'association soutient l'étude "Domolim" du CHU de Limoges et relaie le département dans la communication de ses actions. L'association apporte son appui à d'autres collectivités (notamment Nîmes Métropole et plusieurs départements de Midi-Pyrénées, Bourgogne et Franche-Comté), dans la mise en place de référentiels ou de chartes des bonnes pratiques, dans l'organisation de "salons domotique" ou encore dans la structuration d'une filière professionnelle. De façon plus globale, Promotelec organise en novembre prochain des
journées nationales de la domotique.
"La domotique a longtemps été mal présentée", estime Damien Hasbroucq, "on parlait avant tout de technique et non d’usages et de bénéfices pour les utilisateurs". Selon lui, la domotique destinée aux personnes en perte d'autonomie doit pouvoir miser sur une "combinaison intelligente de solutions techniques, de bonne coordination et de contact humain". Si ce secteur représente bien un marché appelé à se développer, Damien Hasbroucq insiste sur l'importance de la proximité et de la coordination des professionnels, pour éviter que la personne ne se retrouve piégée par des "entreprises peu scrupuleuses".
C.Me.