Lutte contre les narcotrafics : les maires seront mieux informés

Les sénateurs ont adopté à l'unanimité, mardi, la proposition de loi transpartisane "visant à sortir la France du piège du narcotrafic". La version sortie du Sénat prévoit d'informer "systématiquement" les maires des procédures impactant leur commune.

Un texte "fondateur" qui "dans un combat vital, mais trop souvent inégal (…) donne des armes à la justice, aux forces de sécurité intérieure". C’est en ces termes que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a salué, mardi 4 février, l’adoption à l’unanimité par le Sénat de la proposition de loi "visant à sortir la France du piège du narcotrafic" ainsi que la proposition de loi organique "fixant le statut du nouveau procureur national anticriminalité organisée". Deux textes déposés à l’été 2024 par les sénateurs Étienne Blanc (LR, Rhône) et Jérôme Durain (Ser, Saône-et-Loire) et inspirés de leur rapport d’enquête qui avait alerté sur une véritable "submersion" du narcotrafic touchant tous les territoires, y compris les zones rurales. Pour Bruno Retailleau, cette unanimité "donnera une impulsion décisive pour le passage du texte à l'Assemblée nationale" où le texte est attendu à partir du 17 mars, même si le clivage risque d’y être plus marqué.

Jérôme Durain a pour sa part résumé sans détour l’ampleur du phénomène : "Partout en France, dans les centres-villes ou dans les campagnes, les élus locaux font face à la violence et à la mort. Le terrorisme fracasse la société, le narcotrafic la ronge : victimes humaines, territoires sous emprise, menace démocratique", a-t-il posé.

Nouvelle architecture

La proposition de loi instaure une nouvelle architecture judiciaire dans la lutte contre les narcotrafics, inspirée de la lutte antiterrorisme, avec la création parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), remplaçant le "parquet national antistupéfiants" initialement envisagé par les deux sénateurs. Une façon de souligner les "liens forts, voire inextricables, entre le narcotrafic et les autres formes de criminalité organisée", comme le souligne l’objet d’un amendement des deux rapporteurs Jérôme Durain et Muriel Jourda (LR, Morbihan) adopté en ce sens, en commission. Le Pnaco, dont le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, espère qu’il puisse voir le jour en janvier 2026, coordonnera l’action des parquets locaux sur l’ensemble du territoire et sera lui-même compétent pour les affaires les plus lourdes. Son siège n’est pas fixé, mais l’idée de l’installer à Marseille – d’où sont partis les travaux des sénateurs – n’est pas exclue. À noter que la Junalco (juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée) qui aurait fait double emploi est supprimée. Le Pnaco s’appuiera sur service d’enquête spécialisé regroupé dans un état-major criminalité organisée (Emco).

Le texte fait de la lutte contre le blanchiment la "mère de toutes les batailles", pour reprendre l’expression de ses auteurs, avec la volonté de frapper les narcotrafiquants au "portefeuille" par la systématisation des enquêtes patrimoniales ou le recours à une nouvelle procédure d'"injonction pour richesse inexpliquée", l’idée étant d’obliger les suspects à justifier leur train de vie inexpliqué. Plusieurs dispositions intéressent directement les élus. Les sénateurs ont acté le dispositif de fermeture administrative, sur signalement du maire au préfet, des établissements soupçonnés d’agir comme "blanchisseuse", tout en faisant passer de six mois à un an la durée maximale de la mesure. "Élus locaux, nous connaissons ces magasins sans produits ni clients. L'administration pourra désormais fermer ces blanchisseuses", s’est félicitée Muriel Jourda.

Une plus grande coopération au sein des CLSPD

Alors que le texte prévoyait diverses mesures pour faciliter le partage d’informations entre les services et juridictions, un amendement défendu par le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche vise à mieux informer les maires des procédures en cours sur le périmètre de leur commune. Ainsi le maire sera "systématiquement informé par le procureur de la République des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites, des poursuites engagées, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions liées au trafic de stupéfiants". Il sera également "systématiquement informé par le représentant de l’État dans le département des mesures de fermetures administratives". Cette mesure permettra "une plus grande coopération avec les autorités judiciaires ou préfectorales au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance", espère le sénateur. Une mesure qui va dans le sens de la volonté d’Étienne Blanc et Jérôme Durain qui, dans leur rapport, appelaient à sécuriser le rôle de "vigie" des maires mais aussi des bailleurs sociaux.

Le texte donne par ailleurs de nouveaux outils aux juridictions et aux enquêteurs, avec la possibilité d’une "infiltration civile" des informateurs, ou l’activation à distance d’appareils fixes et mobiles ; il met en place un régime d’immunité pour les "repentis" sur le modèle de la loi antimafia italienne. Il donne aux préfets la possibilité de prononcer une interdiction de paraître pour empêcher les dealers et leurs "petites mains" de fréquenter les points de deal. Il comporte enfin des mesures pour lutter contre la corruption. Sur ce volet "nous aurions pu aller plus loin, notamment sur les obligations de prévention dans certaines collectivités", a estimé Guy Benarroche. Ce dernier a également regretté que "rien n'apparaisse dans le texte sur le volet prévention", ni "sur l'urgence d'en faire une grande cause nationale à l'attention des consommateurs". Un choix justifié par Jérôme Durain car le sujet aurait ravivé les clivages : "Certains appellent à la légalisation, d'autres à une plus forte pénalisation", a-t-il rappelé.

Alors que la demande de cocaïne n'a jamais été aussi forte en France avec plus d'un million de consommateurs, selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), le ministère de l’Intérieur présentera une campagne de sensibilisation ce jeudi.