La lutte contre le narcotrafic reste une priorité du nouveau gouvernement

En déplacement au Havre ce 13 janvier, le ministre de l’Intérieur continue de faire de la lutte contre le narcotrafic une priorité. Son projet de loi en la matière, présenté sous Michel Barnier, sera examiné ce 28 janvier en séance publique au Sénat. Sur la même longueur d’ondes, le ministre de la Justice annonçait la veille son intention de regrouper les "100 plus gros narcotrafiquants" dans une prison de "haute sécurité" d’ici l’été.

Le changement de Premier ministre n’aura pas remis en cause la volonté du ministre de l’Intérieur de faire de la lutte contre la drogue "un combat national comparable [à celui mené contre] le terrorisme". Sans surprise, puisque le narcotrafic représente à ses yeux "une menace désormais existentielle", qui "à travers la corruption peut gangrener notre démocratie" et "ébranler nos institutions".

Une explosion des saisies, une "Cross" dédiée au port du Havre

En déplacement ce 13 janvier au Havre pour continuer de creuser ce sillon, Bruno Retailleau y a annoncé la création d’une cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) dédiée au port, "avec un renfort en termes de police, de gendarmerie et bien entendu les douanes". Il est vrai que le port du Havre constitue sans doute la principale porte d’entrée de la cocaïne en France – avec la voie aérienne qui passe par la Guyane (voir notre article du 11 janvier 2024 et l’encadré de celui du 4 octobre 2022). Pour preuve, le ministre enseigne que "Le Havre, c’est 78% des saisies portuaires de cocaïne en 2024". Dernièrement, 2 tonnes de cocaïne y ont été saisies le 30 décembre dernier. Et encore plus de 200 kg la veille même de ce déplacement ministériel.

Des saisies qui ne cessent de progresser dans toute la France : "47 tonnes en 2024, alors que c’était 23 tonnes un an avant", constate le ministre. Une "trajectoire exponentielle" qui n’affecte pour autant en rien le trafic. "Le prix [de la cocaïne] ne bouge quasiment pas, ce qui signifie qu’il y a toujours plus de marchandises qui débarque sur le sol français", analyse-t-il. "C’est la raison pour laquelle il faut changer de braquet", note Bruno Retailleau. D’autant que d’autres menaces planent, comme celle du Fentanyl, responsable de milliers de morts outre-Atlantique. "Nous n’en sommes pas à une invasion comme peut le connaître le continent américain, mais on est très précautionneux", confesse le ministre, après avoir indiqué que "ce type de produit" avait été saisi sur le sol français "il y a quelques semaines".  

Coup d’envoi de l’examen de la loi anti-drogue le 28 janvier

Pour inverser la tendance, le ministre compte sur le projet de loi "visant à sortir la France du piège du narcotrafic", présenté sous Michel Barnier (voir notre article du 8 novembre) et qui sera examiné en séance publique au Sénat à compter du 28 janvier prochain. Soulignant que la "drogue dure" est désormais disponible "partout" et "tout le temps" en France, le ministre appelle en outre à la mobilisation générale, évoquant "le continuum de sécurité" et citant le rôle de la police municipale dans ce combat. "C’est en s’alliant, en nous unissant, en présentant un seul et même front que nous aurons une efficacité", insiste-t-il.

Il met par ailleurs en avant le fait que "cette lutte contre la criminalité organisée vise d’abord à protéger ceux qui sont en première ligne". Et notamment les salariés du port. "Je sais combien les dockers sont inquiets, parce qu’ils savent parfaitement qu’ils sont soumis aux pressions, aux menaces", observe le maire du Havre et ancien Premier ministre, Édouard Philippe. Dans le chapitre "Le conteneur ou Le Havre de la cocaïne" de son ouvrage Drugstore (voir notre entretien du 13 mai), le chercheur Michel Gandilhon décrit ainsi "un processus de criminalisation d’une partie du personnel portuaire […] à l’œuvre non seulement au Havre, mais aussi à Fort-de-France, la ligne maritime reliant les deux escales étant une des plus activement en cause dans le trafic de cocaïne"*.

Une prison "haute sécurité" pour les "100 plus grands narcotrafiquants" 

Un phénomène qui ne concerne malheureusement pas que les travailleurs portuaires. "La bataille contre la corruption de basse intensité est perdue avec l’administration pénitentiaire", estimait notamment le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, lors de l’audition par le Sénat des chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Marseille, le 5 mai dernier. Le procureur y avait notamment plaidé pour "des prisons de haute sécurité comme aux États-Unis et en Italie", avec "un régime pénitentiaire spécifique, très dur, sous forme de quartier de sécurité sans communication avec l'extérieur. À défaut, en l'état, nous sommes dépassés", avouait-il. Il aura visiblement été entendu, puisque le ministre de la Justice a annoncé ce 12 janvier, sur TF1, qu’il allait d’ici à l’été "prendre une prison française, la vider des personnes qui y sont" pour y mettre, "puisqu'on l'aura totalement isolée, totalement sécurisée avec des agents pénitentiaires particulièrement formés, anonymisés, les 100 plus gros narcotrafiquants" de France (ceux arrêtés, du moins). En effet, comme le relevait lors de la même audition sénatoriale la responsable du service "Jirs Criminalité organisée" du parquet marseillais, Isabelle Fort, en l’état actuel "la détention ne met plus fin aux activités des têtes de réseau, qui, malgré un à dix mandats de dépôt criminel, continuent de commanditer des assassinats ou gèrent leurs points de deal comme si elles étaient à l'extérieur".

Féminisation du trafic

Pour Gérard Darmanin, "pas besoin de loi" pour mener à bien cette opération. Laquelle ne fait toutefois pas l’unanimité. Des doutes s’élèvent sur sa faisabilité, tant juridique qu’opérationnelle. Elle est en revanche approuvée par son collègue de l’Intérieur : "Je n’en pense que du bien", a lancé au Havre Bruno Retailleau, interrogé sur la pertinence de l’initiative. Dans tous les cas, la solution ne saurait être une panacée. Toujours lors de son audition au Sénat, Nicolas Bessone dénonçait "un autre phénomène préoccupant" : celui de la féminisation du trafic. "Jusqu'à présent, les femmes étaient en effet cantonnées à des rôles de 'nourrices' ; or elles occupent désormais d'autres fonctions, dans le cadre d'une dérive similaire à celle qu'avait connue la Camorra napolitaine au milieu des années 2000. Dans un tel processus, les femmes prennent la relève une fois les hommes derrière les barreaux, en étant parfois plus dures encore", alertait-il.

* Il cite une étude réalisée à Anvers selon laquelle le coordinateur d’un terminal de conteneurs pourrait toucher 225.000 euros en échange de sa collaboration. "Le simple déplacement d’un conteneur chargé de cocaïne à l’endroit opportun peut rapporter de 25.000 à 75.000 euros, tandis que le ramassage d’un sac contenant 1 kg de cocaïne par un docker peut être rémunéré́ 1.000 euros". Au Havre, "un badge pour entrer sur un terminal se loue 5.000 euros", indique sur BFMTV l’avocate Valérie Giard.

› L’Ofast aura bientôt son nouveau patron

Bruno Retailleau a profité de ce déplacement pour officialiser la nomination, le 1er février prochain, d’un "nouveau patron" de l’Office anti-stupéfiants (Ofast), sans tête depuis le départ de Stéphanie Cherbonnier à l’été dernier. C’est Dimitri Zoulas, qui a notamment été chef du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) à la direction centrale de la police judiciaire, qui lui succédera.

 

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis