Lutte contre les maltraitances : après les Ehpad, tous les établissements du secteur du handicap seront contrôlés

Au lendemain de la diffusion d’un reportage dénonçant des situations de maltraitance dans le secteur du handicap, la ministre en charge des personnes âgées et des personnes handicapées a présenté la stratégie de lutte contre les maltraitances faites aux adultes vulnérables. Un plan de contrôle des plus de 9.000 établissements accueillant des enfants et adultes handicapés sera mis en œuvre entre 2025 et 2030. D’autres mesures visent à faciliter les signalements, à mieux coordonner les acteurs via une cellule pilotée par l’ARS et à sensibiliser et former l’ensemble des professionnels concernés.

Le monde du handicap n’est pas épargné par les situations de maltraitance, comme vient de l’illustrer un reportage "Zone interdite" diffusé par M6 le 24 mars 2024, deux ans après le scandale Orpéa sur les Ehpad (voir notre article). L’accent y est notamment mis sur les conditions d’accueil problématiques d’enfants dans certains instituts médico-éducatifs (bâtiments délabrés), sur des dysfonctionnements de l’école inclusive et sur des plaintes pour maltraitances déposées à l’encontre de foyers pour adultes. Le manque de places en établissement spécialisé et le manque de personnels, laissant de nombreuses familles sans solution, est également pointé comme une défaillance en soi, mais aussi comme un facteur de risque supplémentaire sur la qualité de l’accueil. Puisque les places sont chères, mieux vaudrait ne pas se plaindre – outre le fait que les enfants et adultes handicapés ne sont pas toujours en mesure de raconter à leurs proches ce qu’ils peuvent subir.

Appelant à "ne pas jeter l’anathème sur tout un secteur" et à reconnaître l’engagement des professionnels, Fadila Khattabi, ministre des personnes âgées et des personnes handicapées, a réagi sur France info ce 25 mars 2024 : "Le reportage est absolument choquant et je comprends la douleur des familles." Dans un communiqué, le ministère revient sur les situations évoquées dans le reportage, notamment sur les suites des contrôles des établissements mis en cause. Concernant un autre point soulevé dans le reportage, le fait que les familles reversent à l’établissement l’allocation de logement social (ALS) perçue, en plus de leur reste à charge, le ministère confirme que la pratique est légale. 

Contrôle des établissements : une circulaire à destination des ARS en 2024

Ces situations de maltraitance sont "minoritaires certes, mais bien réelles" et appellent à "de saines révoltes", a poursuivi Fadila Khattabi ce jour devant une cinquantaine d’acteurs, lors de la présentation de la stratégie gouvernementale de lutte contre les maltraitances faites aux adultes vulnérables. Cette stratégie avait été préparée dans le cadre d’états généraux des maltraitances (voir notre article) et fait également l’objet de dispositions dans la proposition de loi (PPL) sur le bien vieillir.

La ministre annonce en particulier le lancement d’"un nouveau plan de contrôle qui concernera à terme tous les établissements sociaux et médicosociaux accueillant des personnes en situation de handicap". Une circulaire diffusée aux agences régionales de santé (ARS) d’ici la fin du premier semestre 2024 viendra préciser les objectifs de ces contrôles. 9.300 établissements – IME, maisons d’accueil spécialisées ou encore foyers d’hébergement – seront concernées entre 2025 et 2030. Ces contrôles seront majoritairement inopinés, selon la ministre. Dans le reportage de M6, il est montré que les contrôles dits "inopinés" ne le sont en pratique pas toujours. Selon l’économiste de la santé Frédéric Bizard, il faudrait pour plus d’efficacité séparer le financement et l’appui à la gestion opérationnelle des établissements et l’évaluation de la qualité de ces derniers.  

Initié en 2022, le plan de contrôle des Ehpad a jusqu'ici été déployé dans la moitié des 7.500 établissements concernés. "L’objectif est de finaliser ces contrôles fin 2024", peut-on lire dans le dossier de presse. Cela pour que les 130 inspecteurs mobilisés sur ces contrôles puissent ensuite se pencher sur les ESMS du handicap. 

La stratégie de lutte contre les maltraitances prévoit également la généralisation, à horizon 2026, du contrôle des antécédents judiciaires des professionnels et bénévoles intervenant auprès de personnes âgées et/ou handicapées. Une attestation de l’administration pourra être délivrée aux personnes ne faisant pas l’objet de condamnations ni de mises en examen (article 5 bis de la PPL). 

Un "point d’entrée unique" pour signaler les maltraitances 

Également inscrite dans la PPL sur le bien vieillir (article 4), une instance de recueil, traitement et évaluation des alertes de maltraitance sera mise en place dans chaque département. Pilotée par l’ARS, cette solution doit être un "point d’entrée unique", avec un numéro de téléphone national unique (le "3977"), permettant ensuite la remontée des signalements vers les instances concernées - ARS, État, département - pour évaluation et traitement. Un "rendez-vous annuel de transparence" sur les alertes de maltraitance se tiendra dans le cadre de la conférence régionale de la santé et de l’autonomie. 

La stratégie vise plus globalement à "renforcer la collaboration des autorités compétentes, à toutes les échelles", notamment dans le cadre du comité local d'aide aux victimes (Clav) coprésidé, au niveau départemental, par le préfet et le procureur de la République. Les forces de l’ordre seront sensibilisées à ce sujet et devront elles-mêmes "sensibiliser les professionnels du secteur médicosocial à l’importance du signalement des délits". Des professionnels au contact des personnes vulnérables, tels que les médecins, les mandataires judiciaires et les banquiers, seront encouragés à faire preuve de vigilance et à signaler des situations jugées suspectes. 

Tout un axe de la stratégie vise par ailleurs à "faire respecter les droits des personnes", à travers plusieurs leviers : campagnes d’information, renforcement du rôle des conseils de la vie sociale des établissements et des associations d’usagers, outils améliorés pour communiquer avec les personnes qui ne parlent pas, diffusion d’un référentiel de la Haute Autorité de santé concernant l’évaluation par les professionnels des départements des situations de maltraitance intrafamiliale à domicile.

  • Le gouvernement annonce par ailleurs une campagne de contrôles de groupes de crèches et une révision du cadre des micro-crèches

Le gouvernement va lancer une campagne de contrôles des grands groupes de crèches, comme l'avaient recommandé les inspecteurs de l'Igas l'an dernier, a de son côté indiqué, également ce lundi 25 mars, la ministre chargée de l'Enfance et des Familles, Sarah El Haïry.

"Je vais lancer dès cette semaine des contrôles par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans des groupes, qu'ils soient privés, associatifs ou régies publiques. L'ensemble des groupes a vocation à être contrôlé", a déclaré la ministre déléguée à l'AFP. "Je ne souhaite pas une affaire Orpea des crèches et ma main ne tremblera pas pour protéger les enfants", a-t-elle assuré, en référence au scandale ayant touché le groupe privé d'Ehpad après la sortie en 2022 du livre-enquête "Les Fossoyeurs".

Concernant les crèches, les inspections ne pouvaient jusqu'à présent porter que sur les structures, mais la récente loi sur le plein emploi permet des contrôles au niveau des groupes. Missionnée après la mort d'un bébé dans une crèche privée à Lyon en 2022, l'Igas avait recommandé l'an dernier de renforcer le contrôle des crèches, publiques et privées (voir notre article d'avril 2023).

La ministre veut par ailleurs aligner le cadre réglementaire des micro-crèches (moins de douze berceaux) sur les petites crèches, comme le recommande un autre rapport, de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF), publié ce lundi. Les micro-crèches représentent la moitié des créations d'établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) entre 2010 et 2020, et 13% des places en 2020, selon ce rapport (accessible en ligne ici). Conçues initialement pour développer une offre de garde dans des zones rurales, elles bénéficient d'un cadre réglementaire moins exigeant. Ces dérogations conduisent à "fonctionner avec des personnels faiblement qualifiés et peu encadrés", selon la mission Igas-IGF.

Cette mission recommande aussi la "suppression" du crédit d'impôt famille (Cifam), qui permet à des entreprises privées de bénéficier de financements publics lorsqu'elles réservent des berceaux pour leurs salariés. "Le Cifam renforce les inégalités d'accès à la crèche", regrette Sarah El Haïry. La ministre déléguée "souhaite le réformer mais pas le supprimer", soulignant qu'il manque 200.000 places de modes de garde.

Deux livres-enquêtes parus en septembre - "Le prix du berceau" et "Babyzness" - ont mis au jour le mode de fonctionnement de certaines structures privées, mettant en cause une course au rendement au détriment des enfants.
    AFP