Lutte contre les maltraitances faites aux adultes vulnérables : une stratégie sera présentée en novembre

Rendues publiques ce 2 octobre, 70 propositions issues des états généraux des maltraitances alimenteront une stratégie de lutte gouvernementale en la matière, qui sera présentée en novembre. Aurore Bergé souhaite la mise en place d’une coopération territoriale entre tous les acteurs concernés, avec la création d’un "point d'entrée unique" géré par l’agence régionale de santé et une répartition des responsabilités entre département – maltraitances à domicile – et l’ARS – maltraitance en établissement – pour le traitement.

"Ne pas détourner le regard." C’est, en substance, le message qui a été passé, le 2 octobre 2023 au ministère des Solidarités, lors de la restitution des états généraux des maltraitances vis-à-vis des adultes vulnérables – démarche qui avait été lancée en mars dernier (voir notre article). Dans le cadre de 69 "débats autoportés" à l’initiative d’acteurs divers, "près de 1.600 personnes ont participé à des échanges, avec des profils variés : personnes concernées, étudiants, bénévoles, familles et professionnels", selon le rapport des états généraux. D’autres contributions ont été élaborées par différentes instances, dont le Haut-Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, le Comité national consultatif des personnes handicapées et le Haut-Conseil du travail social. Et des auditions "ont permis d’entendre des représentants de tous les champs concernés par la maltraitance", dont la police et la justice, la santé, le médicosocial et l’enseignement. Issues de ces travaux, "les 70 propositions viendront nourrir la stratégie de lutte contre les maltraitances que nous présenterons dès le mois prochain", a assuré Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles.

Des responsabilités clarifiées entre ARS et département

Cette dernière "souhaite que cette dynamique se poursuive au niveau de chaque territoire", autour d’un "rendez-vous régulier [qui] rassemblera les acteurs" que sont les agences régionales de santé (ARS), les préfets, les maires, les départements, les forces de l’ordre, les parquets, les bénévoles – notamment ceux du 3977, le numéro national dédié – et les professionnels. La coopération entre ces acteurs est selon la ministre "indispensable à un traitement des situations et surtout à la mise en place d’une véritable politique de prévention".

La future stratégie impliquera la mise en place d’un circuit formalisé de signalement des maltraitances, qui n’existe pas aujourd’hui en ce qui concerne les personnes âgées et les adultes en situation de handicap. Les nombreux acteurs impliqués "ne se parlent pas suffisamment", selon Aurore Bergé qui annonce qu’"un point d'entrée unique sera créé dans chaque département". Ce point d’entrée sera "placé sous l'autorité de l'ARS (…), relié au système d’alerte téléphonique et adossé à un système d’information dédié", décrit la ministre. Concernant le traitement, les responsabilités seront clarifiées : au département de réagir "s’il s’agit d’une maltraitance envers une personne au sein de sa famille" - à domicile -, à l’ARS d’intervenir "s’il s’agit d’une personne accueillie en établissement". Certaines situations impliquant à la fois le domicile et l’établissement pourront être traitées conjointement par le département et l’ARS, éventuellement en lien avec d’autres partenaires.

Faire en sorte que "le domicile ne soit pas une zone de non-droit"

Ce circuit doit permettre la mise en place de "mesures adaptées" : recours à la justice "lorsque les faits révèlent une situation pénale", enquête sociale à domicile, mesure de répit pour un aidant, demande de mise sous protection juridique, action d’inspection inopinée ou encore mise sous administration provisoire d’un établissement, énumère la ministre.

Aux personnes qui ne souhaitent pas porter plainte trop vite, notamment celles qui vivent à domicile et qui peuvent craindre de se retrouver complètement isolées suite à une action en justice, il sera proposé de documenter ce qu’elles vivent dans "un carnet de bord sécurisé pouvant accueillir tous les éléments d’une future procédure lorsque et si la personne est prête à le décider". Il s’agirait d’une adaptation du "mémo de vie", un outil déjà utilisé pour accompagner les femmes victimes de violences et qui ne fonctionnerait – notamment dans le cas de personnes handicapées ou dépendantes - qu’avec la contribution de proches, de voisins ou de bénévoles de confiance. L’enjeu, pour Aurore Bergé, est de faire en sorte que "le domicile ne soit pas une zone de non-droit et donc d’abandon des personnes les plus vulnérables".

"Une crise jumelle entre les difficultés de recrutement et la maltraitance"

"Nous allons construire un véritable plan de contrôle des établissements et des services médico-sociaux" avec la Haute Autorité de santé (HAS), la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), promet par ailleurs Fadila Khattabi, ministre déléguée en charge des personnes handicapées. "Le respect des bonnes pratiques professionnelles doit progresser", poursuit-elle, indiquant que le ministère des Solidarités avait obtenu 10 ETP supplémentaires dans les ARS "pour répondre aux premières urgences". "Cela peut paraître peu", mais le but est de "confirmer" cette trajectoire l’année prochaine…

"L’amélioration des conditions de travail et des rémunérations passera notamment par la construction d’une convention collective unique étendue", ajoute Fadila Khattabi. Concernant les établissements et services médicosociaux (ESMS), "il y a un lien très fort entre les enjeux de formation et d’organisation du travail et des situations de maltraitance, et il y a une sorte de crise jumelle entre les difficultés de recrutement que l’on a dans le métier et la maltraitance dont sont parfois victimes des personnes accueillies", avait réagi plus tôt Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale, à la lecture des propositions des états généraux.

L’un des sept objectifs mis en exergue à l’issue des états généraux est en effet d’"inscrire les professionnels dans une dynamique de prévention et de pouvoir d’agir". Il est en particulier proposé de "définir un ratio minimal d’encadrement en fonction des ESMS et des besoins des personnes", à la fois pour "accroître le temps de présence et d’accompagnement auprès des personnes" et pour "augmenter le temps des encadrants pour la régulation de proximité".

Auxiliaires de vie à domicile : une carte professionnelle délivrée après le suivi de formations

Parmi les autres propositions : "renforcer le soutien psychologique des personnes et des professionnels", mieux reconnaître les professionnels "notamment en terme salarial" ou encore "subordonner l’exercice du métier d’auxiliaire de vie à domicile à l’obtention d’une carte professionnelle". Cette dernière serait attribuée à certaines conditions – présentation de l’extrait de casier judiciaire et suivi de modules de formation, notamment sur la maltraitance.

Les autres objectifs mis en exergue dans le rapport sont de : mieux informer les adultes vulnérables de leurs droits et des possibilités de recours, aider les professionnels à "mieux repérer, mieux comprendre et mieux intervenir", rendre les recours plus accessibles, mieux "mobiliser et articuler les ressources en charge de répondre aux maltraitances sur les territoires", mieux accompagner les personnes victimes et "créer le socle d’un nouveau contrat social avec les personnes vulnérables".

Outre le plan gouvernemental promis par Aurore Bergé, la proposition de loi sur le bien-vieillir, qui devrait faire son retour à l’Assemblée le 20 novembre prochain, contient plusieurs mesures sur la maltraitance, dont la création d’une instance de recueil et de traitement des signalements (voir notre article du 14 avril 2023).

Présentes également ce 2 octobre, trois autres membres du gouvernement – Bérengère Couillard sur l’égalité femmes-hommes, Charlotte Caubel sur l’enfance et Agnès Firmin-Le Bodo sur l’organisation territoriale et les professions de santé – ont également fait état des travaux en cours dans leurs champs respectifs. L’occasion d’apprendre, en particulier, qu’un plan de lutte contre les violences faites aux enfants sera présenté fin novembre par Charlotte Caubel. Cette dernière a souligné l’importance de "conserver la spécificité du combat" relatif aux enfants, tout en appelant à "collectivement accepter de regarder en face les vérités les plus dérangeantes".