Lutte contre l'artificialisation des sols : la liste des projets d’envergure nationale ou européenne fixée par arrêté
Après consultation des régions, la liste des projets d’envergure nationale ou européenne (Pene) qui seront retranchés de la consommation d’espace imputable aux collectivités pour la période 2021-2031 vient d’être officialisée par arrêté. Ces projets - au nombre de 175 - relevant de l’énergie, des infrastructures de transport et de la relance industrielle, totalisent déjà à ce stade 11.870 hectares sur les 12.500 hectares du forfait national.
L’arrêté recensant les projets d’envergure nationale ou européenne (Pene), qui présentent un intérêt général majeur, est paru au Journal officiel ce 9 juin. Transmis aux régions fin décembre 2023, le texte a ensuite été soumis à consultation publique jusqu'au 2 mai (voir nos articles des 11 et 15 avril 2024). Sur les 18 régions consultées, 14 ont transmis un avis. Le collège des élus du Conseil national d’évaluation des normes (Cnen) s’est de son côté abstenu sur ce texte "au regard de la complexité du dispositif envisagé et de la nécessité de se prononcer rapidement afin de ne pas retarder le processus" (voir la délibération n°24-05-03370).
Pour rappel, la loi Climat et Résilience a fixé l'objectif d'atteindre le "zéro artificialisation nette" (ZAN) des sols en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente. Cette trajectoire progressive est à décliner territorialement dans les documents de planification et d’urbanisme.
La consommation d’espaces résultant des Pene ainsi recensés par arrêté, en fonction des neuf catégories définies par la loi et après des échanges nourris par les remontées des régions, sera comptabilisée dans le cadre d’une enveloppe nationale de 12.500 hectares (pour la décennie 2021-2031), de sorte de ne pas peser sur les trajectoires régionales et locales, comme le prévoit la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN. En réservant à ce titre un forfait national de 10.000 ha pour les régions couvertes par un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), le plafond de consommation (hors Pene) est de 102.000 ha, soit une réduction "de l’ordre d’au moins 54,5%" (sur la période 2021-2031 par rapport à leur consommation constatée pour la période 2011-2021), détaille l’arrêté.
Le texte précise au passage la catégorie relative aux opérations de construction ou d’aménagement de postes électriques de tension supérieure ou égale à 220 kilovolts. Pourront être intégrés les postes de transformation du réseau public de transport, mais aussi des postes de répartition et des stations de conversion, sous réserve du niveau de tension mentionné dans la loi.
Deux listes distinctes en fonction du degré de maturité des projets
Le texte recense (en annexe I) les 175 projets suffisamment "matures" pour emporter effectivement une consommation d’espace entre 2021 et 2031. Des informations relatives à ces projets, notamment leur localisation (communes), sont par ailleurs accessibles via une cartographie mise en ligne par le Cerema sur l’observatoire de l’artificialisation des sols.
Plusieurs domaines significatifs sont concernés par cette première vague de projets, tels que l’énergie, les infrastructures de transport (pour moitié) - à l’exemple de la controversée autoroute A69, de l’axe ferroviaire Lyon-Turin, de l’extension de l'aéroport de Nantes-Atlantique, du réseau de transport public du Grand Paris ou du grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) Bordeaux-Toulouse - et la relance industrielle (pour près d’un tiers), dans la continuité des dispositions portées par la loi Industrie verte- notamment la gigafactory d’électrolyseurs en Bourgogne-Franche-Comté ou l'EPR de Penly en Normandie. Les aménagements portuaires (grands ports maritimes de Dunkerque pour 718 ha et de Marseille pour 709 ha), routiers ou du Canal Seine Nord (855 ha) sont parmi les projets les plus consommateurs d’Enaf.
Figurent également "à titre indicatif" (en annexe II) des projets (au nombre de 257) pour lesquels les informations disponibles à ce jour ne permettent pas leur inscription en liste I, notamment au regard d’incertitudes quant à leur nature, la réalisation effective du projet ou la consommation d’espaces qu’ils emportent sur la période 2021-2031.
Le compte est-il bon ?
La liste de projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur totalise à ce stade déjà 11.870 ha sur le forfait de 12.500 ha. Mais l'enveloppe n’est pas figée et pourra parfaitement être "dépassée". Il est toutefois rappelé que "en cas de dépassement du forfait susmentionné, le surcroît de consommation ne peut être imputé sur l’enveloppe des collectivités territoriales ou de leurs groupements".
Les régions sont très diversement concernées par ces Pene. Et le collège des élus du Cnen pointe la méthode de calcul, craignant "l’apparition de problématique de comptabilisation de la consommation d’espace naturel au niveau local". Il considère que le seuil retenu initialement "n’est pas suffisamment élevé et que cet objectif est dès lors inatteignable". Il précise également être en désaccord avec le décompte initial. Un "risque contentieux" n’est pas à exclure, souligne le Cnen, qui s’interroge plus particulièrement sur la valeur juridique de l’annexe II "notamment en cas de dépôt de recours contentieux". La présence de cette deuxième liste suscite en effet un certain nombre d’interrogations…
La Fédération nationale des Scot (FédéScot) a aussi relayé le constat d’un déséquilibre important pour certains territoires entre l’effort supplémentaire de réduction de la consommation d’Enaf demandé sur la période 2021-2031 et le faible nombre de Pene présentant un intérêt général majeur. Par exemple pour la région Bretagne, où seuls 30 ha sont imputés sur l’enveloppe nationale dans la liste de ces Pene, alors que l’effort supplémentaire qui lui est demandé au titre de la péréquation liée à cette enveloppe est de 807 ha.
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Révision au fil de l’eau
Cet arrêté ministériel peut être "révisé à tout moment et en tant que de besoin", indique la notice du texte. La liste a donc vocation à être actualisée régulièrement, a minima une fois par an, pour intégrer de nouveaux projets qui émergeront au cours de la décennie. L'État assurera en outre le suivi de la consommation effective emportée par ces projets dans le cadre du rapport quinquennal (en application de l'article 207 de la loi Climat et Résilience).
L’arrêté couvre la période 2021-2031, et certains projets sont d’ailleurs déjà en cours. En revanche, les projets qui se "décaleraient" dans le temps, après 2031, "n’ont pas vocation à être comptabilisés au titre de cet arrêté".
La publication de cet arrêté est une étape critique pour permettre aux différents échelons de collectivités de respecter les délais prévus par la loi pour l’entrée en vigueur des documents de planification et d’urbanisme tenant compte des objectifs du ZAN. Et notamment aux régions, qui doivent faire évoluer les Sraddet, le schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif), le schéma d’aménagement régional (SAR) et le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc), avant le 22 novembre 2024, délai imparti par la loi du 20 juillet 2023.
Référence : arrêté du 31 mai 2024 relatif à la mutualisation nationale de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d'envergure nationale ou européenne d'intérêt général majeur, JO du 9 juin 2024, texte n°24. |