L'Ordre des géomètres-experts livre ses propositions "pour une stratégie d'optimisation du foncier efficace et durable"
À l'issue des Assises nationales de la sobriété foncière, qu'il a organisées début juillet, l'Ordre des géomètres-experts a formulé 17 propositions "pour faire de la lutte contre l'étalement urbain une réalité". De la définition juridique du sol à la formation des acteurs de l'aménagement du territoire et du cadre de vie, ces mesures issues de trois groupes de travail ont été compilées dans un document spécifique.
Dans le cadre de ses Assises nationales de la sobriété foncière, qui se sont tenues en simultané les 3 et 4 juillet à Fort-de-France, Aix-en-Provence, Épernay et La Rochelle en présence de plus de 1.500 participants, l'Ordre des géomètres-experts (OGE) a mandaté trois groupes de travail. Leur mission : "proposer des outils concrets pour mettre en oeuvre une stratégie d'optimisation du foncier efficace et durable à l'échelle de l'ensemble des territoires". Le premier groupe a traité des sols vivants, étudiant leurs qualités, leurs fonctionnalités et leurs valeurs, le deuxième a abordé l’aménagement et la restructuration du parcellaire foncier, tandis que le troisième s’est consacré à la renaturation et à la désartificialisation des espaces urbanisés, ainsi qu’à la recomposition urbaine et au bâti. Leurs 17 propositions ont été validées à l'unanimité par le Conseil supérieur de l'OGE et ont été compilées et détaillées dans un document spécifique.
Les sols, tout un univers à (re-)découvrir
Alors que la question de la santé des sols se trouve aujourd'hui au cœur de nombreuses politiques publiques (voir notre article du 15 décembre 2023), l'OGE propose de soumettre au débat une définition juridique du sol en conformité avec les dispositions du code de l'environnement et de mettre en oeuvre une démarche globale et une méthodologie de connaissance des sols, de ses prévisions de mutation et de ses capacités à évoluer. Il estime aussi nécessaire d'intégrer les sols dans le contenu de l’évaluation environnementale des documents de planification et des projets et dans les autres autorisations environnementales notamment le dossier loi sur l’eau. Il faudrait aussi "redonner une fonction nourricière aux sols urbanisés" (agriculture urbaine), avance-t-il, "à l'échelle de la planification et à l'échelle du projet" et "rendre lisible le lien avec l'obligation de gestion à la source des déchets alimentaires et l'amélioration de la qualité des sols". Par des actions de communication et de sensibilisation, l'OGE propose aussi de faire découvrir ou redécouvrir au public les multiples fonctions et intérêts des sols.
Il préconise également de mettre en place les dispositions financières, à l’échelle de la planification, "pour permettre aux collectivités de se saisir de façon pertinente et qualitative de cette question (…), voire pour inclure un bonus "sol" dans la Dotation globale de décentralisation des collectivités locales" et d'intégrer un volet "sol" dans le cahier des charges de l’élaboration des documents d’urbanisme.
Autre proposition : anticiper la renaturation des zones à risque, qu’elle soit spontanée ou du fait de l’homme, et intégrer leur utilisation dans la mise en œuvre du "nette" du ZAN. Cela peut se faire en quatre étapes : identifier dans les Scot les zones à risques urbanisées, autrement dit le potentiel de renaturation ; croiser cette identification avec la qualité des sols vivants et prévoir la mise en œuvre de la démarche Améliorer Eviter Réduire Compenser (AERC) ; évaluer financièrement les biens concernés ; identifier les zones sans risque, c'est-à-dire le potentiel foncier ; mettre en place une servitude de compensation d'artificialisation dans les PLU et PLUi afin de prendre en compte le coût global (englobant l'achat, la destruction, la renaturation et la revente du terrain naturel).
Artificialisation : un "bonus-malus inversé"
La séquence AERC pourrait en outre être améliorée, avance l'OGE, "avec le A imposé aux territoires sur-artificialisés via un bonus-malus inversé". Alors qu'il y a eu ces dix dernières années une grande concentration de l’artificialisation dans les zones littorales et autour des métropoles et que la législation sur le ZAN permet à l’horizon 2030 de consommer 50% de l’espace artificialisé entre 2011 et 2021, "il y a un risque important de récompenser les 'mauvais élèves' des décennies précédentes en leur donnant encore plus de droits à construire, sans quota minimal d’espace de nature à créer dans leurs quartiers et/ou villes", alerte l'OGE. Selon lui, il faut réussir à mettre en œuvre une "densification réfléchie basée sur une dynamique économique et démographique dans les villes moyennes et territoires ruraux".
"Ces territoires peu artificialisés doivent avoir la possibilité de recevoir un 'bonus' d’artificialisation tant qu’ils continuent à proposer un aménagement durable et une artificialisation dans la moyenne nationale, estime-t-il. Ce 'bonus' peut provenir de la renaturation de zones urbaines denses ou très imperméabilisées. Cette renaturation permettra également de rendre plus résilientes nos métropoles face aux changements climatiques à venir." Car "sans vision d’ensemble, les territoires métropolitains bénéficieront une nouvelle fois d’un maximum de droits à construire, ne seront pas préparés aux changements climatiques à venir et les problèmes de déplacements pendulaires ne seront pas solutionnés", souligne l'OGE. La solution qu'il propose consisterait donc à mettre en place un coefficient moyen d’artificialisation et d’espaces de nature à l’échelle nationale, ces coefficients devant "correspondre à la vision d’une ville-quartier 'idéale', mais surtout durable et adaptée aux changements climatiques."
Cette donnée pourra être reportée sur les documents graphiques des Scot ou des PLU, PLUi. "En l’associant à l’identification des grandes zones commerciales à transformer (estimées à 1.500), on pourra donner des objectifs de densification, et surtout de renaturation, répondant à des enjeux supérieurs à la seule unité foncière, vision communale, soutient l'OGE. Une artificialisation réfléchie dans les villes moyennes et territoires ruraux pourra donc être compensée par une renaturation des métropoles, créant ainsi une approche plus juste et solidaire entre les territoires".
Opérations d’aménagement foncier agricole forestier et environnemental (Afafe)
L'OGE suggère aussi de repenser la maîtrise d’ouvrage des opérations d’aménagement foncier agricole forestier et environnemental (Afafe) en l'élargissant "à l'intercommunalité ou, le cas échéant, à la commune". "Ceci favorisera une meilleure approche à la fois du territoire et des enjeux locaux, et dynamisera la motivation des collectivités locales à agir pour l'environnement", notamment en réponse aux enjeux de la loi Climat et Résilience ainsi qu'aux objectifs de compensation imposés par le ZAN, justifie-t-il. La procédure d'Afafe elle-même pourrait être adaptée "pour que l'environnement en devienne un fait générateur". Les collectivités territoriales pourraient donc s'appuyer sur cet outil opérationnel pour mettre en œuvre sur leur territoire des projets tels que des réserves foncières à but environnemental ou des opérations liées à la protection de l'eau, de la biodiversité, etc. Pour s'assurer que les aménagements environnementaux issus des procédures d'Afafe perdurent une fois la procédure clôturée, l'OGE propose en outre que la clôture de cette procédure ne puisse être prononcée qu'à la condition que les obligations réelles environnementales soient publiées au service de la publicité foncière ou au livre foncier.
Contenu des PLU modifié
Pour permettre les échanges et favoriser la restructuration foncière au service de l'urbanisme et de la ruralité, l'OGE défend la création d'un nouvel outil, l’association foncière urbaine de compensation environnementale (AFU-CE) multisite. Son objectif sera de "proposer un bilan environnemental vertueux dans les futurs aménagements urbains".
Le contenu des plans locaux d’urbanisme (PLU) pourrait aussi être modifié "afin de permettre une adaptativité aux opportunités foncières et recréer de véritables quartiers ou petites villes".
Dans une optique de "densification douce" des zones périurbaines, l'OGE soutient l'introduction dans le PLU d'une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) "Cœur d’îlot" dans laquelle l'association foncière urbaine autorisée pourrait être constituée sur la base d'une double majorité réduite (au moins la moitié des propriétaires possédant ensemble au moins la moitié de la surface).
Autre proposition, pas toujours bien acceptée : accélérer la surélévation des immeubles existants pour répondre aux enjeux environnementaux de respect du ZAN et d’isolation des bâtiments. L'OGE est aussi favorable à l'allègement et à l'assouplissement des règles de majorité applicables à la modification des cahiers des charges des lotissements existants, "lorsque la décision vise à mobiliser le foncier vacant pour respecter la trajectoire de sobriété foncière".
Enfin, il juge nécessaire de mettre en place "un parcours de formation complet et certifiant, sur les nouvelles méthodes et la vision de la ville nouvelle, et ouvert aux professionnels de la filière de l’aménagement des territoires et du cadre de vie".