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Aménagement - Loi Littoral : exiger un meilleur garde-fou

La sénatrice socialiste du Morbihan Odette Herviaux et le sénateur UMP de la Manche Jean Bizet ont présenté le 29 janvier un rapport qui, alors même qu'elle est réputée être intouchable et sanctuarisée, préconise un toilettage de la loi Littoral. Le but ? Revenir à l'esprit d'origine de cette loi sans remettre son bien-fondé en cause. Et en finir avec la logique de contentieux et une application sujette à de fortes interprétations.

C'est à un sujet sensible que se sont attelés Odette Herviaux et Jean Bizet, membres de la commission développement durable du Sénat. Et trop peu abordé au niveau parlementaire : le précédent rapport sénatorial sur le sujet remonte à dix ans. Après un travail d'un an, des déplacements, auditions et rencontres avec une centaine d'élus du littoral, ils ont dévoilé le 29 janvier un rapport répondant à une forte demande du terrain et notamment des maires. Car si dans certains territoires, la loi Littoral, presque trentenaire, ne fait guère jaser, dans d'autres, son application, très hétérogène, fait des vagues voire soulève des raz-de-marée ! Parmi les départements les plus concernés figurent la Manche, le Var, les Côtes-d'Armor et la Charente-Maritime. "L'exaspération des élus est due au fait que le juge est souvent laissé seul maître de son interprétation. Le contentieux est abondant, tant avec les collectivités qu'avec des personnes privées. Ajoutez à cela les recours abusifs de certaines associations locales et vous avez tous les ingrédients d'une situation explosive", insiste Jean Bizet, sénateur UMP de la Manche.

D'avant-garde donc mal comprise ?

Adoptée à l'unanimité en 1986, "soit en pleine vague de décentralisation", précise Odette Herviaux, cette loi s'est révélée un précieux atout pour lutter contre le bétonnage des côtes et gérer la forte pression s'exerçant sur le littoral. Ses apports sont donc indéniables. Les sénateurs ne les remettent pas en cause mais tentent de revenir à l'esprit initial de la loi. "Ce n'est pas une loi de protection de l'environnement mais avant tout une loi transversale d'aménagement et de mise en valeur des activités, dite de vision car elle n'a de sens qu'à condition de savoir ce que l'on souhaite comme littoral. Surtout, cette loi géographique fut écrite pour être territorialisée, ce ne fut malheureusement jamais le cas", décrypte Jean Bizet. Le rapport insiste sur son application "à géométrie variable". Eclatée dans de nombreux codes dont ceux de l'urbanisme, de l'environnement mais aussi le Code général des collectivités territoriales, ses dispositions auraient perdu en lisibilité. Cette loi se retrouve également stigmatisée "alors qu'elle n'est pas toujours à l'origine des difficultés rencontrées". Ses incohérences vis-à-vis d'autres dispositions législatives existent : le rapport cite l'exemple de la mise aux normes d'installations agricoles rendue impossible en zone littorale alors qu'en restant en l'état elles nuisent d'autant plus à l'environnement. La rigidité de son champ d'application, calqué sur les limites communales, est source de "situations ubuesques", mettant à mal l'équité territoriale. Pour rétablir celle-ci, les sénateurs avancent la possibilité de remplacer ce critère du découpage communal par celui de la distance au rivage. Mais étant également source de difficultés, la piste n'est pas si bonne, mieux vaut donc s'en tenir malgré ses faiblesses au découpage actuel. Autre défaut souvent pointé mais qui n'en pas forcément un aux yeux des sénateurs : le cumul de la loi Littoral avec la loi Montagne sur huit lacs dont celui du Bourget, en Savoie. Au travers d'une rapide analyse des dispositions de la loi - notamment celui, très sensible, qui a fait du principe de continuité le bras armé de la maîtrise de l'urbanisme littoral – mais aussi de sa jurisprudence et de ses dérogations, les sénateurs font un point très pédagogique et éclairant.

Les élus face à l'administration

Les sénateurs sont sévères envers l'administration et les services de l'Etat, qui auraient fait du texte une "loi de revanche administrative" en pleine époque de décentralisation. "Ils ne font pas confiance aux élus locaux pour l'exercice de leur compétence d'urbanisme sur le littoral. L'administration veut mener le jeu et utilise le 'porter à connaissance' pour imposer aux élus une certaine lecture de la loi, souvent restrictive, car elle craint le contentieux", lit-on ainsi dans le rapport. Le retard des décrets d'application n'a pas facilité les choses. "Il aura fallu attendre dix-huit ans pour que les décrets les plus importants, concernant notamment le champ d'application de la loi, soient enfin adoptés, après une injonction sous astreinte du Conseil d'Etat. D'autres décrets, comme celui sur les rus et les étiers, sont toujours attendus." En l'absence de documents d'interprétation et de décrets d'application, c'est le juge administratif qui est en première ligne pour appliquer les principes de cette loi : "Presque systématiquement a prévalu une protection conservatrice de l'environnement sur toute autre considération." Les sénateurs rapportent que cette inflation contentieuse et cette "lecture à sens unique" a engendré des difficultés financières pour les petites communes littorales.

Confier son interprétation aux élus locaux

Le rapport rappelle qu'à l'origine, le législateur avait prévu que des "prescriptions régionales puissent préciser les dispositions de la loi, pour prendre en compte les spécificités propres à chaque territoire". Une possibilité jamais explorée car les régions venaient à peine de naître. Partant de là, ils proposent, sans modifier le socle de la loi, la création d'un instrument optionnel s'inspirant de ces prescriptions initialement prévues, à savoir des "chartes régionales d'aménagement du littoral [à même de] permettre une application véritablement décentralisée de la loi". Optionnel pour ne pas créer de contrainte supplémentaire, ce dispositif ne pourrait être déployé que "là où l'application de la loi Littoral est mal vécue". L'élaboration de ces chartes serait confiée aux régions, sous le contrôle du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML). Par rapport aux schémas de cohérence territoriale (Scot), peu opérants sur le volet littoral, ces chartes seraient opposables, auraient force de loi. Cette proposition des sénateurs a aussi pour but de combler les lacunes d'un autre dispositif, celui des directives territoriales d'aménagement (DTA), qui vise également à décliner la loi Littoral à l'échelle géographique. "Mais qui n'a pas connu le succès escompté : seules six DTA dont quatre littorales ont été adoptées." Les sénateurs prescrivent également d'autres ajustements, notamment pour autoriser la densification des hameaux en zone littorale, ou pour renforcer le volet économique de la loi. Ils suggèrent aussi d'introduire plus de solidarité financière entre les communes littorales "en intégrant un indicateur d'artificialisation des sols dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement". Mais aussi d'"élargir la gamme d'intervention du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL)" et de "mettre l'accent sur la formation des agents publics et élus aux règles de l'urbanisme littoral".