Logement / Hébergement : que change l'allongement de la trêve hivernale ?
Une nouvelle base légale va être donnée par le projet de loi d'urgence au report de la date de fin du sursis pour toute mesure d'expulsion locative. Explications. Parallèlement, d'autres mesures sont prises par le gouvernement.
Dans son allocution du 12 mars, Emmanuel Macron a annoncé le report de deux mois de la trêve hivernale, qui devrait donc prendre fin le 31 mai prochain. Cette mesure, réclamée par les associations, n'est toutefois qu'une composante d'un dispositif plus large, visant à prendre en charge, dans un contexte sanitaire exceptionnel, les personnes sans abri ou logées dans des conditions très précaires. Dès le lendemain de l'intervention du chef de l'État, Julien Denormandie a donc précisé les contours du dispositif.
Un sursis à exécution, en attendant l'ordonnance
Le ministre en charge de la ville et du logement a ainsi indiqué qu'il transmettrait aux préfets une instruction leur demandant de surseoir à tout concours de la force publique pour la mise en œuvre d'expulsions locatives, si une solution de relogement pérenne n'a pas été trouvée en amont. Selon Julien Denormandie, interrogé sur RTL, cette mesure pourrait concerner "4.000 à 5.000 familles, qui se trouvent protégées et ne vont pas finir à la rue".
Sur le plan juridique, il s'agit toutefois d'une mesure provisoire de sursis, car la durée de la trêve hivernale est déterminée par la loi : d'abord celle du 3 décembre 1956, obtenue grâce au combat de l'abbé Pierre, et qui a fixé la trêve hivernale du 1er novembre au 15 mars, puis la loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) du 24 mars 2014, qui a décalé la fin de la trêve au 31 mars.
Une nouvelle base légale sera donc donnée par le "projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19", présenté au conseil des ministre du 18 mars (voir notre article ci-dessous du même jour). L'un des nombreux articles d'habilitation de ce projet de loi prévoit en effet que le gouvernement pourra prendre une ordonnance "adaptant les dispositions de l'article L.115-3 du code de l'action sociale et des familles, notamment pour prolonger le délai fixé à son troisième alinéa, et reportant la date de fin du sursis à toute mesure d'expulsion locative prévue à l'article L.412-6 du code des procédures civiles d'expulsion [lire en réalité "du code des procédures civiles d'exécution", ndlr] pour l'année 2020". Le troisième alinéa de l'article L.115-3 du code de l'action sociale et des familles vise, pour sa part, la suspension des résiliations de contrats par les fournisseurs d'électricité, de chaleur et de gaz.
La question de l'indemnisation
Par ailleurs, le régime général de la trêve hivernale n'est pas modifié. En particulier, si elle gèle les mesures d'exécution, elle n'interrompt pas en revanche les procédures judiciaires. Il reste donc possible, durant cette période, de lancer une procédure judiciaire en délivrant un commandement de payer ou d'assigner le locataire devant le juge. Ce dernier peut d'ailleurs délivrer un titre exécutoire durant la trêve hivernale, mais la force publique ne prêtera pas son concours avant son achèvement.
Enfin, la loi Elan (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 exclut, en principe, du bénéfice de la trêve hivernale les occupants "sans droit, ni titre", autrement dit les squatteurs. Le changement est toutefois minime puisque ceux-ci pouvaient déjà difficilement être considérés comme des locataires de bonne foi.
Il reste maintenant la question d'une éventuelle indemnisation. En ramenant à cinq mois (du 1er juin au 31 octobre 2020) la période durant laquelle un propriétaire peut obtenir une expulsion locative, la future ordonnance pourrait prêter le flanc à un problème constitutionnel de rupture d'égalité devant la loi. Dans son intervention sur RTL, Julien Denormandie a d'ailleurs rappelé que "s'il y a une décision de justice portant expulsion et qu'il n'y a pas d'utilisation de la force publique, l'État engage sa responsabilité et doit indemniser le propriétaire".
La prolongation de deux mois de la trêve hivernale n'est pas la seule mesure prise. Dans un communiqué du 13 mars, le ministre de la Ville et du Logement a ainsi annoncé que, dans le même esprit, "les 14.000 places d'hébergement d'urgence ouvertes pour la période hivernale sont maintenues deux mois supplémentaires, afin d'éviter toute remise à la rue de personnes hébergées". Au-delà du 31 mai, la moitié de ces places supplémentaires ouvertes pour la période hivernale seront transformées en places pérennes d'hébergement, ouvertes tout au long de l'année. Dans un second communiqué du 18 mars, après une réunion avec les associations la veille, Julien Denormandie a également annoncé un certain nombre de mesures supplémentaires en faveur des publics les plus fragiles (voir notre article ci-dessous du 18 mars 2020) Et a en outre indiqué ce 19 mars que le gouvernement a commencé à réquisitionner des chambres d'hôtel afin de permettre aux sans-abri de se confiner (voir notre article de ce jour).