Avec la fin de la trêve hivernale, les expulsions reviennent sur le devant de la scène

La fondation Abbé-Pierre égrène les chiffres relatifs aux expulsions et avance plusieurs propositions en faveur d'"une véritable prévention". Le ministère de la Cohésion des territoires assure qu'il s'emploie à cette prévention : le nombre des expulsions, après une hausse de près de 50% en dix ans, commencerait timidement à baisser.

Alors que la trêve hivernale s'est achevée le 31 mars, la question des expulsions locatives refait surface, comme chaque année. À cette occasion, la fondation Abbé-Pierre a mené une action symbolique en déployant, devant l'entrée du ministère de la Cohésion des territoires, un paillasson géant "Bienvenue dans la rue : la trêve hivernale menace plus de 30.000 personnes d'expulsion". Le ministère a répondu par un communiqué du 1er avril rappelant les actions engagées. Comme dans le cas de la récente polémique sur les crédits consacrés à l'hébergement (voir notre article ci-dessous du 6 mars 2019), la vérité se situe entre les deux thèses...

Le concours de la force publique accordé plus de 15.500 fois en 2017

La fondation Abbé-Pierre "exige une action forte" et "fait un triste constat : 15.547 ménages - soit plus de 30.000 personnes - ont été expulsés avec le concours de la force publique en 2017 : un record historique". En dix ans, ce chiffre a progressé de 46%. Pour leur part, les décisions de justice ordonnant une expulsion - qui peuvent être exécutées "spontanément" ou avec le concours de la force publique ou restées inappliquées faute de ce dernier - sont passées de 109.993 en 2007 à 125.971 en 2017 (+15%). La fondation précise aussi que 95% des procédures sont consécutives à des impayés de loyers, contre seulement 3% qui font suite à un congé donné par le propriétaire et 2% pour d'autres causes.

La fondation dresse aussi le bilan de sa plateforme téléphonique "Allo prévention expulsions", mise en place il y a dix ans. Au cours de cette décennie, 14.200 personnes, dont 55% vivant en Île-de-France, ont été conseillées et informées sur leurs droits. Pour la fondation, ces chiffres mettent en évidence "la précarisation croissante de la population et la hausse des coûts des logements".

Les appels à la plateforme interviennent, pour 50%, avant l'audience au tribunal. Si 39% des appelants ont un emploi - et ne sont donc pas sans ressources -, 86% d'entre eux se retrouvent en difficulté à la suite d'une perte d'emploi, d'une séparation, d'un problème de santé ou d'une situation de surendettement. Une fragilité qui s'explique aussi par le fait que 70% des appelants sont des personnes seules (dont 30% de familles monoparentales).

Les propositions de la fondation

Face à ces chiffres, la fondation Abbé-Pierre estime que "l'État n'est pas à la hauteur de la situation", car "une véritable prévention des expulsions est en effet incompatible avec l'austérité budgétaire de la politique du logement actuelle, qui se traduit aujourd'hui par des coupes massives sur les APL et le monde HLM". Pour la fondation, la multiplication des expulsions n'est pas non plus compatible avec la politique du "Logement d'abord" promue par le gouvernement : "Reloger davantage de personnes à la rue ne suffit pas si, dans le même temps, les préfectures en délogent toujours plus".

La fondation Abbé-Pierre avance donc plusieurs propositions : doublement des aides au maintien du fonds de solidarité logement (FSL), triplement du fonds d'indemnisation des bailleurs en cas de refus d'accorder le concours de la force publique, renforcement de la prévention des expulsions, engagement d'une réflexion sur la création d'un "statut transitoire" post résiliation du bail…

Un nombre d'expulsions locatives qui "commence à diminuer"

Dans son communiqué du 1er avril. 2019, consacré à la pérennisation de 6.000 places d'hébergement d'urgence, le ministère de la Cohésion des territoires indique qu'"en matière de prévention des expulsions, l'objectif du gouvernement demeure inchangé : faire diminuer de manière pérenne le nombre de décisions judiciaires d'expulsion sur le territoire national". Pour cela, "de nombreuses actions sont développées pour prévenir le plus tôt possible les ruptures pouvant conduire les personnes à la rue en proposant dès les premiers impayés de loyer des solutions d'accompagnement adaptées".

Le ministère rappelle aussi que "la mise en œuvre du second plan d'actions interministériel a été lancée le 9 mars 2018. Il prévoit notamment la réforme de l'articulation des procédures d'expulsion et de surendettement, inscrite dans la loi Elan" (loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique).

Dans une récente interview au quotidien La Croix (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019) Julien Denormandie expliquait aussi qu'après une hausse de près de 50% en dix ans - que ne conteste pas le ministère -, le nombre d'expulsions locatives commence à diminuer, même si le mouvement est encore modeste. Entre 2016 et 2017, le nombre de procédures d'expulsion est ainsi passé de 164.000 à 157.000 et celui des décisions de 129.000 à 125.000, tandis que les expulsions réalisées avec le concours de la force publique se sont stabilisées autour de 15.500 depuis trois ans (après avoir augmenté de plus de 50% en quatre ans).