Locations meublées : la CJUE donne raison à Airbnb, les grandes villes européennes se mobilisent

La CJUE a rendu une décision importante. Elle considère que l'activité d'Airbnb et des plateformes ne relève pas de l'activité d'agent immobilier - avec les contraintes afférentes - mais constitue un "service de la société de l'information", régi par la directive commerce électronique. Huit métropoles européennes, dont Paris et Bordeaux, ont aussitôt lancé une déclaration commune demandant "une révision radicale" de cette directive.

 

Dans une décision du 19 décembre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) fait à nouveau pencher la balance du côté des plateformes de locations meublées, dans une affaire qui opposait notamment Airbnb et l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP). En l'espèce, cette dernière avait déposé une plainte avec constitution de partie civile contre Airbnb, pour "exercice d'une activité d'entremise et de gestion d'immeuble et de fonds de commerce sans carte professionnelle au titre de la loi Hoguet" (loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce).

Les plateformes ne sont pas des agents immobiliers...

Pour justifier cette plainte, l'AHTOP faisait notamment valoir qu'Airbnb "ne se contente pas de mettre en relation deux parties grâce à la plateforme éponyme, mais offre des services complémentaires qui caractérisent une activité d'intermédiaire en opérations immobilières" (canevas de définition de l'offre, service photo, assurance optionnelle, transfert des fonds...). Considérant qu'Airbnb exerce ainsi une activité d'agent immobilier sans détenir la carte professionnelle rendue obligatoire en France par la loi Hoguet, l'association demandait donc l'assimilation de l'activité des plateformes à celle d'un agent immobilier, avec les contraintes afférentes. Pour sa part, Airbnb faisait valoir que son activité constitue un "service de la société de l'information", régi par la directive 2000/31 sur le commerce électronique. Saisi de la plainte, le tribunal de grande instance de Paris avait décidé de saisir la CJUE d'une question préjudicielle.

La Cour donne raison à Airbnb et aux plateformes, en jugeant "qu'un service d'intermédiation qui a pour objet, au moyen d'une plateforme électronique, de mettre en relation, contre rémunération, des locataires potentiels avec des loueurs professionnels ou non professionnels proposant des prestations d'hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de prestations accessoires à ce service d'intermédiation, doit être qualifié de 'service de la société de l'information' relevant de la directive 2000/31".

... mais fournissent un instrument de présentation et de recherche des logements meublés

Pour justifier le caractère dissociable de l'activité des plateformes d'intermédiation au regard de celle d'agent immobilier, la CJUE retient notamment que "ce service ne tend pas uniquement à la réalisation immédiate de telles prestations, mais consiste pour l'essentiel en la fourniture d'un instrument de présentation et de recherche des logements mis à la location, facilitant la conclusion de futurs contrats de location. Dès lors, ce type de service ne saurait être considéré comme constituant le simple accessoire d'un service global d'hébergement". La Cour relève aussi que le service rendu par les plateformes "n'est aucunement indispensable à la réalisation de prestations d'hébergement, les locataires et les loueurs disposant de nombreux autres canaux à cet effet, dont certains existent de longue date". De même, les services accessoires rendus par Airbnb "ne permettent pas de remettre en cause ce constat, ces diverses prestations étant simplement accessoires au service d'intermédiation fourni par cette société?".

Point intéressant soulevé par la CJUE : contrairement à la décision rendue dans une affaire concernant la société Uber France, l'arrêt considère qu'en l'espèce, "ni ce service d'intermédiation, ni les prestations accessoires proposées par Airbnb Ireland ne permettent d'établir l'existence d'une influence décisive exercée par cette société sur les services d'hébergement auxquels se rapporte son activité, s'agissant tant de la détermination des prix des loyers réclamés que de la sélection des loueurs ou des logements mis en location sur sa plateforme".

Huit grandes villes en appellent à une révision de la directive sur le commerce électronique

Cet arrêt de la CJUE est d'une grande importance. Il constitue une victoire incontestable pour Airbnb et les plateformes, dans la mesure où il ferme la porte à toutes les mesures qui seraient fondées, en l'état du droit, sur une assimilation de leur activité à celle des professions immobilières. A l'inverse – et même si elles n'étaient pas parties prenantes à l'affaire –, il constitue une défaite pour les grandes villes, qui tentent de limiter la progression des meublés touristiques afin de préserver l'offre de logements pour les habitants permanents.

Dans une déclaration commune datée du 20 décembre, soit le lendemain du jugement, huit grandes métropoles européennes – Paris, Bordeaux, Amsterdam, Vienne, Bruxelles, Berlin, Munich et Barcelone – réclament "une révision radicale de la directive 'commerce électronique'". Donnant de l'arrêt de la CJUE une interprétation très personnelle et qui ne correspond pas vraiment au contenu de la décision, elles estiment que celui-ci "vise à alerter l'Union européenne de l'urgence de réviser la réglementation relative aux locations de courte durée proposées par les plateformes sur internet". Parmi leurs demandes, les villes signataires entendent notamment avoir accès aux données des plateformes, sans lesquelles "il nous est quasiment impossible de faire respecter les réglementations existantes sur des questions telles que le nombre maximal de jours de location, les taxes de séjour et les normes de sécurité". Une demande à laquelle est pourtant déjà supposé répondre le décret du 30 octobre 2019 "relatif aux demandes d'information pouvant être adressées par les communes aux intermédiaires de location de meublés de tourisme" (voir notre article ci-dessous du 4 novembre 2019).

Références : Cour de justice de l'Union européenne, arrêt C390/18 du 19 décembre 2019, YA et Airbnb Ireland UC contre Hôtelière Turenne SAS et Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP) et Valhotel.

 

 

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