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Locations touristiques : le Conseil constitutionnel limite le pouvoir de contrôle des agents municipaux

Le Conseil constitutionnel a considéré que le fait, pour des agents municipaux, dans le cadre du contrôle des meublés touristiques de type Airbnb, de procéder à la visite d'un logement en l'absence de son occupant et sans son accord, méconnaît "le principe d'inviolabilité du domicile".

Les décisions judiciaires se multiplient dans le conflit qui oppose certaines grandes villes - à commencer par Paris - aux plateformes de location touristique - à commencer par Airbnb - et la balance de la Justice semble aujourd'hui pencher en faveur de ces dernières. Après la récente décision du tribunal de grande instance (TGI) de Paris déboutant la mairie qui l'avait saisi en référé, afin d'obtenir la condamnation d'Airbnb pour avoir publié sur son site plus d'un millier d'annonces jugées illégales (voir notre article ci-dessous du 8 mars 2019), c'est au tour du Conseil constitutionnel de se prononcer, à travers une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Des pouvoirs de contrôle très étendus

La question portait sur la constitutionnalité des articles L.651-4, L.651-6 et L.651-7 du code de la construction et de l'habitation (CCH), qui donnent des pouvoirs très étendus aux agents assermentés des services municipaux de logement et notamment celui de "visiter les locaux à usage d'habitation situés dans le territoire relevant du service" (sous réserve d'"être munis d'un ordre de mission personnel ainsi que d'une carte d'identité revêtue de leur photographie" et d'intervenir entre 8h et 19h). Les textes prévoient même qu'"en cas de carence de la part de l'occupant ou du gardien du local, l'agent assermenté du service municipal du logement peut, au besoin, se faire ouvrir les portes et visiter les lieux en présence du maire ou du commissaire de police".

La QPC avait été transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation, elle-même saisie par le TGI de Paris. Dans sa transmission, la Cour de cassation se montrait particulièrement sévère sur les dispositions contestées, en expliquant que "la question posée présente un caractère sérieux, dès lors que ces dispositions reconnaissent aux agents assermentés du service municipal du logement le pouvoir de pénétrer dans des lieux à usage d'habitation en l'absence et sans l'accord de l'occupant du local, sans y avoir été préalablement autorisés par le juge judiciaire, qu'elles ne comportent pas de précisions suffisantes relatives aux conditions d'exercice des visites des locaux et d'accès aux documents s'y trouvant et ne prévoient pas de voies de recours appropriées permettant de faire contrôler par un juge la régularité des opérations" (voir notre article ci-dessous du 19 janvier 2018).

Une méconnaissance du principe d'inviolabilité du domicile

Dans sa décision du 5 avril, le Conseil constitutionnel suit pour partie ce raisonnement en prononçant une non-conformité partielle. Le Conseil déclare en effet non conforme à la Constitution le sixième alinéa de l'article L.651-6 du code de la construction et de l'habitation. Comme le plaidait la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel juge en effet qu'"en prévoyant ainsi que les agents du service municipal du logement peuvent, pour les motifs exposés ci-dessus, procéder à une telle visite, sans l'accord de l'occupant du local ou de son gardien, et sans y avoir été préalablement autorisés par le juge, le législateur a méconnu le principe d'inviolabilité du domicile". Le Conseil estimant qu'aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité, celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, et donc à l'affaire pendante devant le TGI de Paris.

En revanche, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L.651-7 du CCH, prévoyant que les agents assermentés du service municipal du logement "sont habilités à recevoir toute déclaration et à se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants des lieux toute pièce ou document établissant ces conditions". Il juge en effet que le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser (prévu par l'article 9 de la Déclaration de 1789) "ne fait pas obstacle à ce que l'administration recueille les déclarations faites par une personne en l'absence de toute contrainte". Et qu'"en outre, le droit reconnu aux agents assermentés du service municipal du logement de se faire présenter des documents tend non à l'obtention d'un aveu, mais seulement à la présentation d'éléments nécessaires à la conduite d'une procédure de contrôle du respect de l'autorisation d'affectation d'usage du bien".

Et maintenant la CJUE...

Même si elle vise surtout des éléments de principe, la décision du Conseil constitutionnel peut difficilement passer pour une victoire juridique de la ville de Paris, dans la mesure où elle restreint les possibilités d'investigation – effectivement exorbitantes du droit commun – des agents assermentés de son service du logement dans la lutte contre les locations touristiques abusives. Dans un communiqué du 5 avril, la mairie de Paris affirme cependant qu'elle "se félicite de cette décision qui a validé les modalités de contrôle appliquées par la ville".

Le communiqué explique notamment que, "considérant ces pratiques [intrusion dans le logement] comme une atteinte aux libertés publiques, la ville ne les a jamais employées". Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi cette question a été soulevée par la TGI de Paris, puis reprise par la Cour de cassation, dans le litige qui opposait les requérants à la ville.

Cette dernière se félicite en revanche de voir validées "les modalités de contrôle de meublés touristiques appliquées par ses agents : recevoir des documents des propriétaires et des locataires qui établissaient les conditions du logement et visiter lesdits logements en présence de leur occupants, sur présentation de l'ordre de mission".

À noter : le déploiement juridique autour de la question des meublés touristiques est loin d'être terminée. En novembre dernier, la Cour de cassation a en effet saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la question de savoir si les restrictions apportées par la France à ces locations touristiques ne sont pas contraire au principe de primauté du droit de l'Union européenne, en ce qu'elle n'a pas établi que cette restriction à la libre prestation de service était justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et que l'objectif poursuivi ne pouvait pas être réalisé par une mesure moins contraignante, comme l'exige l'article 9 de la directive européenne Services de 2016 (voir notre article ci-dessous du 6 décembre 2018).

Références : Conseil constitutionnel, décision n°2019-772 QPC du 5 avril 2019, M. Sing Kwon C. et Mme Xaingwen C. (Journal officiel du 6 avril 2019).

 

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