L'intérêt général, "l'affaire de tous ?" Le Rameau et le CGET animent la réflexion
Le Rameau et le Commissariat général à l'égalité des territoires ont réuni le 12 janvier trois cents personnes, en lien avec des organisations aussi diverses que le Medef, le Mouvement associatif, le Centre français des fonds et fondations et la Caisse des Dépôts. L'objectif : affirmer une vision collective de l'intérêt général fondée sur la co-construction des politiques publiques et doter les organisations publiques et privées d'outils pour aller plus loin dans ce sens.
Une semaine après le lancement par le gouvernement de la mission "Entreprise et intérêt général" (voir notre article du 9 janvier 2018), le Commissariat général à l'égalité des territoires et le Rameau ont accueilli le 12 janvier une rencontre au Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur l'intérêt général. La Caisse des Dépôts, le Mouvement associatif, le Centre français des fonds et fondations, le Pacte civique, les Entreprises pour la cité, le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) ou encore le Medef… En tout, vingt organisations (1) ont contribué à organiser cette réflexion collective qui prolongeait des travaux animés depuis trois ans par le Rameau.
"87% des maires pensent que les partenariats permettent d'innover pour réduire les fragilités"
Fruit des échanges entre des "personnalités issues de mondes différents (pouvoirs publics, entreprises, associations, universitaires…)", un rapport sur l'intérêt général a été publié début 2016, suivi d'un livre collectif intitulé "Bien commun – Vers la fin des arrogances !". Pour Charles-Benoît Heidsieck, président-fondateur du Rameau qui a coordonné ces travaux, il s'agit de construire collectivement une "vision systémique" de l'intérêt général, un "cadre commun" permettant à chacun de contribuer. Et d'agir en prenant conscience du court terme et du moyen terme, mais aussi du temps long.
"Nous sommes dans un moment de transformation de notre société", a-t-il expliqué à Localtis, sur la base des travaux de l'Observatoire des partenariats menés depuis dix ans avec la Caisse des Dépôts. "69% des citoyens, 86% des responsables associatifs, 81% des dirigeants d'entreprise et 87% des maires pensent que les partenariats permettent d'innover pour réduire les fragilités et faire émerger de nouveaux moteurs de croissance et d'emplois", apprend-on ainsi dans la dernière édition du programme d'études Phare sur les stratégies d'alliances.
Après l'Etat jacobin et l'Etat stratège, "l'Etat au milieu de la mêlée" ?
La journée du 12 janvier a permis d'illustrer cette volonté de renouveau de la part d'organisations différentes, avec la présence de quelque 300 personnes issues d'associations, de fondations, d'entreprises classiques, de collectivités et d'administrations centrales. L'occasion pour l'Etat d'assumer le positionnement qu'il affiche actuellement sur de nombreux sujets – celui de la co-construction – et d'expliquer ce choix. "On doit s'intéresser aux associations et aux entreprises pas seulement comme bénéficiaires de politiques publiques mais comme co-producteurs de politiques publiques", a considéré Emmanuel Dupont, responsable de l'animation scientifique et stratégique du CGET, interrogé par Localtis.
"Cela a été compliqué pour l'Etat de renoncer à incarner, à disposer du monopole de l'énonciation de l'intérêt général", a embrayé Hugo Bevort, directeur des stratégies territoriales du CGET, présent à la tribune. Selon lui, après l'Etat jacobin et l'"âge un peu maladroit" de "l'Etat stratège, où la gestion de la proximité était confiée aux collectivités locales" – une "oscillation (...) pas satisfaisante, parce qu'on peut être englué dans le local comme on peut être englué dans une vision générale désincarnée" –, le gouvernement revendiquerait aujourd'hui la vision "d'un Etat au milieu de la mêlée, d'un Etat animateur, d'un Etat garant [de la justice notamment, ndlr] et d'un Etat qui favorise ces partenariats d'action".
Faire grandir les initiatives privées pour inventer de nouvelles politiques : une question d'efficacité
Ancien délégué interministériel à l'économie sociale à l'origine de la première charte des engagements réciproques, celle de 2001, entre pouvoirs publics et associations, Hugues Sibille a témoigné du "chemin parcouru", au moins en ce qui concerne la posture de l'Etat. "On a progressé mais franchement il y a encore beaucoup à faire", a-t-il nuancé, faisant notamment allusion aux difficultés de mise en œuvre concrète de la charte (voir notre article du 13 avril 2017).
Signes pour Emmanuel Dupont que l'Etat cherche à aller plus loin : celui-ci favoriserait aujourd'hui "des procédures comme de l'incubation de politiques publiques, du prototypage, de l'expérimentation, des outils qui vont au-delà de la concertation". Cela moins pour une question de moyens que pour gagner en efficacité, en particulier sur "ces sujets nouveaux qu'on n'arrive pas à transformer en politiques publiques" et sur lesquels "l'invention des solutions est actuellement plus côté société civile que côté administration".
Le carrefour des innovations sociales (voir notre article du 28 juillet 2017), dont la plateforme sera prochainement lancée, est destiné à faciliter l'identification et l'essaimage des innovations – en lien avec l'accélérateur d'innovations sociales porté par le Haut-commissaire à l'économie sociale et solidaire.
Diffuser les meilleures pratiques de "co-construction territoriale"
Avec le CGET et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), le Rameau déploiera en outre à partir de mars un programme de formation et de capitalisation à destination des collectivités sur la "co-construction territoriale". Douze territoires seront accompagnés dans ce cadre pendant neuf mois, avec la diffusion mensuelle d'un "carnet de bord" auprès de la communauté de 6.000 membres du CNFPT, nous précise Charles-Benoît Heidsieck.
Plus largement, via une tribune et une note diffusées le 15 janvier (voir ci-dessous), le Rameau appelle chacun à "faire le pari de la confiance" et invite les organisations à "changer de méthode" et à s'appuyer sur "trois leviers pour agir" – "la vision partagée, l'action collective et la gestion régulatrice".
Articuler mobilisations privées et action publique, approche procédurale et approche visionnaire
Parmi les nombreux intervenants du colloque du 12 janvier, deux ont interpellé l'assemblée sur l'enjeu de cohérence. "Nous sommes de plus en plus nombreux, acteurs privés quels que soient les statuts, à intervenir dans des domaines de l'intérêt général", a souligné Delphine Lalu, présidente de la section des activités économiques du Cese au titre des fondations. Pour elle toutefois, "nous avons beaucoup de mal à articuler ces mobilisations privées avec l'action publique", en particulier au moment du diagnostic et de l'évaluation.
Jean-Baptiste de Foucauld, coordinateur du Pacte civique, a quant à lui interrogé la direction que pourrait emprunter une telle convergence d'actions. "Pour construire et faire vivre l'intérêt général, il faut être capable de transformer des oppositions en complémentarités et, par exemple, il faut articuler l'approche procédurale avec l'approche plus visionnaire, intuitive, analyse des défis, réponse aux défis." Le fondateur de l'association Solidarités nouvelles face au chômage plaide avec le Pacte civique pour la tenue d'un grand débat politique sur la fraternité. "Autrefois on disait 'ce sont les idées qui mènent le monde', aujourd'hui on a l'impression que c'est le monde qui mène les idées. Trouvons une complémentarité et faisons vivre la fraternité au service de l'intérêt général."
(1) Admical, Avise, Ansa, Caisse des Dépôts, Convergences, Cese, Centre Français des fonds & fondations (CFF), CGET, DJEPVA, Face Paris, Fonda, HCVA, Labo de l'ESS, Le Rameau, Les Entreprises pour la Cité, Medef, Mouvement associatif, Mouves, Orse, Pacte civique.