Entreprise et intérêt général - Bientôt des "entreprises à mission" en France ?

Les ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, de l’Economie et du Travail ont lancé le 5 janvier la mission "Entreprise et intérêt général". Les dirigeants de Vigeo Eiris et de Michelin rendront en mars prochain des propositions destinées à permettre à une entreprise - a priori volontaire - d'affirmer dans ses statuts sa responsabilité sociale et environnementale. La formule de l'"entreprise à mission" est présentée comme une troisième voie entre l'entreprise lucrative traditionnelle et l'entreprise de l'économie sociale et solidaire.

Dans le cadre du Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), le gouvernement a confié le 5 janvier une mission de "réflexion sur la relation entre entreprise et intérêt général" à Nicole Notat, présidente de Vigeo Eiris et à Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin. "Pour essentiel qu’il soit, le retour sur investissement des actionnaires n’épuise pas la raison d’être de l’entreprise", ont considéré dans un communiqué les quatre ministres en charge du dossier - Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail.

"Permettre aux entreprises qui le souhaiteraient de se donner un objet social élargi"

"Il est aujourd’hui demandé à l’entreprise d’assumer une responsabilité à l’égard de ses parties prenantes, aux intérêts parfois contradictoires, mais aussi à l’égard de la société dans son ensemble", indique encore le communiqué. En présence des dirigeants des organisations syndicales et patronales, les ministres ont évoqué de possibles manières de promouvoir cette "nouvelle vision de l’entreprise". "Nous devons mobiliser tout l’arsenal juridique dont nous disposons pour permettre aux entreprises qui le souhaiteraient de se donner un objet social élargi, étoffé, plus étendu, et accompagner ce projet ambitieux d’une entreprise plus soucieuse de l’intérêt général et des attentes de nos concitoyens", a ainsi déclaré Nicole Belloubet. "Les dispositions sur l’objet social de l’entreprise ont vocation à figurer dans la loi Pacte d’avril prochain", a renchéri Bruno Le Maire.
Le diagnostic et les propositions de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard sont attendus pour le 1er mars. Ils devront permettre de préciser "la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement, notamment juridique, pourraient être adaptés et ainsi, permettre de renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes".

Devenir entreprise à mission pour adopter des objectifs extra-financiers opposables, en dehors du champ de l'ESS

Les ministres devront surtout trouver entre eux un point d'équilibre. "L’entreprise ne saurait se résumer à la recherche du profit, sans considération pour les femmes et les hommes qui y travaillent, et sans regard sur les désordres environnementaux", pour Nicolas Hulot. Ce dernier a plaidé le 11 décembre dernier pour une modification du code civil qui impliquerait toutes les entreprises - devant le Medef qui s'y oppose.
"Il y a des entreprises qui voudraient (…) dire 'je reconnais que j’ai une finalité économique, sociale et environnementale'. Aujourd’hui, sauf dans l’économie sociale et solidaire, elles ne peuvent pas le faire", a quant à elle indiqué Muriel Pénicaud sur Europe 1 le 7 janvier. La ministre du Travail a cité deux véhicules susceptibles de voir le jour prochainement en France : les entreprises à mission et des "fondations actionnaires". Les premières permettraient de donner un cadre juridique aux entreprises qui souhaiteraient se doter d'un objet social valorisant "une valeur ajoutée, économique, sociale et environnementale" - sans pour autant adopter les statuts de l'économie sociale et solidaire.
"L’entreprise à mission dépasse l’approche discrétionnaire des politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE) en endossant une forme d’opposabilité de ses engagements en matière d’impacts extra-financiers", analyse le cabinet Prophil, auteur d'une étude sur le sujet. Adoptées dans une trentaine d'Etats américains et au Royaume-Uni, ces entreprises constitueraient pour ce cabinet une "troisième voie", "entre l’économie sociale et solidaire (très encadrée et contraignante) et l’économie traditionnelle". "Ces sociétés intègrent dans leur objet social des contributions à l’intérêt général, en plus de la recherche du profit. Il peut s’agir aussi bien d’engagements de recherche, de respect de l’environnement dans ses sources d’approvisionnement ou encore de revitalisation d’une région", précise-t-il.

Quel impact pour l'ESS ?

Les ministres du Travail et de l'Economie semblent ainsi donner leur préférence à l'ouverture de possibilités nouvelles pour les entreprises, plutôt qu'au changement global porté par le ministre de la Transition écologique et solidaire (voir notre article du 26 octobre 2017 "ESS - Nicolas Hulot veut faire en sorte que 'l'exception' devienne 'la norme'"). Attention à "ne pas fermer les portes après les avoir ouvertes", a réagi le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger le 8 janvier, selon l'AFP.
L'éventuelle promotion d'une "troisième voie" pourrait avoir un impact sur l'avenir de l'ESS. A moins que les deux feuilles de route - celle de Nicolas Hulot sur le développement de l'ESS et celle de cette nouvelle mission - ne se rejoignent. Cela permettrait d'anticiper des recoupements entre le futur statut d'entreprise à mission et l'agrément d'entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus). Ou encore de réfléchir à la façon d'éviter une concurrence accrue entre le secteur lucratif et l'ESS, notamment vis-à-vis de la commande publique et en particulier si le nouveau statut est assorti d'incitations.

 

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