Réforme territoriale - L'Institut de la décentralisation avance ses propositions pour "réussir la région"
Dans un court rapport, l'Institut de la gouvernance territoriale, ex-Institut de la décentralisation, prône un renforcement des pouvoirs, des compétences et des ressources des régions et la suppression simultanée des conseils départementaux sous leur forme actuelle. Autant d'orientations que le gouvernement s'apprête à proposer au Parlement.
Les propositions de ce rapport rédigé par Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS, sont simples et peu nombreuses. D'abord, doter les régions d'un pouvoir réglementaire lui permettant d'adapter aux réalités régionales les normes élaborées par l'Etat central. Ensuite, organiser en leur faveur de nouveaux transferts de compétences de l'Etat compensés financièrement. Enfin, instituer un véritable gouvernement régional reposant sur la séparation nette de l'assemblée et de l'exécutif (dotées de deux présidents distincts), comme c'est le cas déjà en Corse. Aujourd'hui, le président d'une région est aussi bien à la tête de l'exécutif que de l'assemblée. Or, "une telle confusion des rôles handicape tout à la fois l'émergence d'un véritable gouvernement responsable, mais également le développement d'un travail parlementaire continu, approfondi et médiatisé au niveau régional".
"Conseiller territorial inversé"
Le renforcement des régions passe par une "suppression des conseils départementaux", ou pour le moins par leur "agencification", est-il indiqué. En émettant le constat que les conseils régionaux et généraux "sont largement concurrentiels en matière de développement économique, d'aménagement du territoire, de tourisme, de politique environnementale". Comme échelons d'avenir, le rapport privilégie "le triptyque région/agglomération/pays". Cependant, la suppression des conseils généraux n'entraîne pas nécessairement la disparition des circonscriptions départementales. Ni l'exercice d'une forme de pouvoir politique à l'échelle départementale.
Dans la préface au rapport, Jean-Pierre Balligand, coprésident de l'Institut, évoque deux scénarios. Le premier fait du conseil départemental le "Sénat des présidents d'intercommunalité". "Ce scénario aurait sa pleine légitimité si la démocratisation des EPCI – par une élection au suffrage universel direct du chef de l'exécutif intercommunal – avait eu lieu", indique Jean-Pierre Balligand. Le deuxième scénario est celui du "conseiller territorial inversé". Les conseillers régionaux, élus au moyen d'un scrutin départemental (comme c'est déjà le cas aujourd'hui), pourraient également siéger, en assemblée départementale, tels des conseillers régionaux administrateurs de la circonscription départementale. Le conseil départemental exercerait des compétences déléguées par la région, notamment grâce à des ressources propres.
15 régions plutôt que 11 ou 12
Faut-il réduire le nombre des régions jusqu'à 11 ou 12, comme le président de la République l'envisageait en janvier ? Ce n'est pas l'option pour laquelle penche l'Institut de la gouvernance territoriale. "Les régions européennes qui comptent ne sont pas toujours les plus grandes, ni les plus peuplées mais celles qui disposent d'une capacité politique suffisante", indique-t-il. En rappelant que la carte issue des travaux de la commission Balladur en 2009 proposait un redécoupage régional en 15 régions. Cette carte était "clairement plus proche d'un hypothétique standard européen".
Vingt-huit ans après les premières élections régionales de 1986, la région demeure en France "un niveau secondaire de la représentation politique", constate le rapport. "L'espace régional n'a que peu de réalité partisane, sociale ou médiatique". De plus, "les élections régionales restent des élections intermédiaires de second ordre". Le maintien d'un mode de scrutin proportionnel de liste handicape les régions françaises dans la construction d'une légitimité politique similaire à la commune ou au département, diagnostique Romain Pasquier. Par ailleurs, le cadre départemental dans lequel sont organisées les élections régionales ne favorise pas non plus l'autonomisation de la scène politique régionale, dit-il en substance. Quant au poids budgétaire de la région, il reste faible avec un budget 10 à 12 fois inférieur à celui des régions britanniques ou espagnoles (à population comparable). Pourtant, la région est devenue "une institution politique qui compte", reconnaît le rapport. S'il est vrai que les présidents de région restent peu connus par les Français, "une élite régionale plus jeune, mieux dotée en capital culturel et largement féminisée a clairement émergé dans les régions françaises".
Thomas Beurey / Projets publics
Périmètres des EPCI : ne pas voir trop grand
Lors d'une conférence de presse, le 11 juin, les deux co-présidents de l'Institut de la gouvernance territoriale ont appelé à la vigilance sur la réforme territoriale. Vouloir supprimer les départements et réduire le nombre des régions est porteur de "contradictions", selon Jean-Pierre Balligand. Attention à ne pas créer des "monstres" éloignés des citoyens, avertit-il. L'ancien député cite l'exemple de la région Midi-Pyrénées appelée à fusionner avec le Languedoc-Roussillon et celui de la grande région regroupant le Centre, Poitou-Charentes et le Limousin. Il ne faut pas moins de 15 régions si l'on veut garder des politiques de proximité, fait remarquer Michel Piron, sur la même longueur d'ondes.
Elargir le périmètre des intercommunalités afin qu'elles regroupent au moins 20.000 habitants, comme l'envisage l'avant-projet de loi sur l'organisation territoriale, est porteur de risques pour les deux responsables de l'Institut. "En élargissant tous azimuts sans approfondir, on prend le risque de la dislocation", prévient Jean-Pierre Balligand en comparant ce qui attend les intercommunalités à l'élargissement européen des 20 dernières années. L'extension des périmètres peut être "un obstacle" à la mutualisation, indique de son côté Michel Piron. Pour qui il faudra nécessairement croiser le critère démographique" avec le critère géographique (ou de la densité).
La réforme territoriale devra permettre au citoyen de savoir qui fait quoi, a encore indiqué Michel Piron. Elle devra aussi s'accompagner d'une "cure d'amaigrissement de l'Etat". Il faut que l'Etat ne s'occupe que des affaires d'Etat, c'est-à-dire les "compétences régaliennes". Ce n'est qu'à cette condition que la réforme territoriale sera réussie, a insisté le député.
T.B.