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Réforme territoriale - Le département supprimé... et remplacé par quoi ?

Après sa série de consultations des partis politiques sur la réforme territoriale, François Hollande a ajouté trois autres rendez-vous à son agenda : l'ARF, l'ADF et l'AMF. Malgré les déclarations des uns et des autres - dont Marylise Lebranchu et André Vallini -, le chantier envisagé, plutôt que de s'éclaircir, en est plutôt à révéler toute sa complexité. Le département pourra difficilement être rayé d'un trait. Et tout porte à penser que même son assemblée d'élus devra être remplacée par autre chose. Par une "assemblée des présidents d'intercommunalité" ? Et pourquoi pas "réanimer les pays" ? Ou alors par des sections départementales des futures grandes régions ? La boîte à idées est ouverte !

Le président de la République a achevé vendredi 16 mai, dans la soirée, ses trois jours de consultations des 14 partis politiques représentés au Parlement, consultations censées lui permettre de mieux cerner la réforme territoriale qu'il lui sera possible de conduire avec un minimum de consensus. Marylise Lebranchu avait résumé en ces termes, le 15 mai sur France Info, l'esprit de ce cycle d'entrevues à l'Elysée : "Le président de la République a choisi de rencontrer toutes les familles politiques pour leur dire 'Je veux supprimer les départements, tous, je veux trouver une solution pour les départements ruraux parce que j'entends que les services publics ont besoin d'un soutien organisé, cohérent et solidaire ; je vous propose de travailler à cela, je vous demande de me dire si vous en êtes d'accord : agrandir les régions, supprimer les départements'". Puis en début de semaine, l'agenda présidentiel s'est vu enrichi de trois nouveaux rendez-vous, à la demande insistante des élus locaux concernés : avec le président de l'Association des régions de France (ARF) mardi, avec celui de l'Assemblée des départements de France (ADF) puis de l'Association des maires de France (AMF) le lendemain.

Les départements supprimés dès début 2016 ?

Claudy Lebreton, président de l'ADF, a indiqué à l'issue de son entretien à l'Elysée que François Hollande s'exprimerait sur la réforme "dans une dizaine de jours, après toutes les consultations des partis politiques et des trois associations d'élus". Et que "là, il pourra dire très clairement quelle est l'architecture du projet". Car pour le moment, "on reste dans une forme de flou artistique", constate Claudy Lebreton. L'entourage du chef de l'Etat confirme en effet que pour l'heure, "rien n'est confirmé ni même décidé".
François Hollande se serait en revanche montré déterminé sur l'objectif de la réforme - à savoir, comme l'a résumé Claudy Lebreton, "la carte divisée par deux des régions prochainement, les intercommunalités plus importantes et la suppression du conseil général". "Là-dessus, sa volonté est claire, il pense que le fait de lancer une grande réforme de clarification du millefeuille serait quelque chose de porteur pour lui donc il n'a pas l'intention de faire marche arrière", commente un observateur. "La messe est dite. Il sait où il veut aller. Mais ne sait pas encore comment", ajoute le président de l'ADF.
Autre confirmation : la suppression des départements devrait intervenir "beaucoup plus tôt que ce qui avait été annoncé, à l'horizon 2021" par Manuel Valls lors de sa déclaration de politique générale. "On pressent que ça peut être aux alentours de 2016-2017", voire dès le 1er janvier 2016, précise Claudy Lebreton, qui était accompagné de deux autres présidents de départements, Bruno Sido (président du groupe des présidents de droite et du centre) et Patrick Kanner.

Un projet de loi voté à l'automne

Cela impliquerait un calendrier sacrément serré. On peut en effet esquisser le scénario suivant : si les élections initialement prévues en mars 2015 étaient reportées à l'automne 2015, comme l'a récemment laissé entendre l'exécutif, cela signifierait que le projet de loi portant réforme de l'organisation territoriale devrait être définitivement adopté dès l'automne prochain… et donc être présenté en Conseil des ministres dès le mois de juin.
Ceci, en sachant que la réforme devrait se faire en deux projets de loi. Marylise Lebranchu l'a confirmé mercredi à l'Assemblée. "Deux textes seront donc présentés : l’un sur les compétences, l’autre sur la réorganisation territoriale", a déclaré la ministre en charge de la décentralisation. Elle porterait, avec son secrétaire d'Etat André Vallini, celui sur les compétences, tandis que l'autre texte serait défendu par leur collègue de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Jusqu'à la semaine dernière, il se disait que les deux textes pourraient être débattus en parallèle : pendant que l'un passerait au Sénat, l'autre serait examiné à l'Assemblée. Mais finalement, le projet électoral (territoires, modes et calendriers des élections… "Un texte qui serait court", prévoit Claudy Lebreton) pourrait finalement passer en priorité.
Quant au projet de loi sur les compétences, on resterait a priori sur la base du texte déjà transmis au Conseil d'Etat. Marylise Lebranchu l'a évoqué le 6 mai devant les sénateurs : reconnaissant qu'"il est surprenant de trouver dans le texte des éléments relatifs aux responsabilités des départements, alors que leur disparition a été annoncée", elle a indiqué que le texte pourra faire l'objet d'une "lettre rectificative concernant les départements". Ceci afin d'inscrire le fait que "les compétences mentionnées dans le projet de loi relèvent 'du département ou d'une entité territoriale devant être déterminée'", laissant ainsi "ouverte la porte du transfert de ces compétences".

Pour une collectivité intermédiaire

En tout cas, le but du jeu serait pour François Hollande de parvenir à une réforme n'exigeant pas de toucher à la Constitution… ce qui pourrait signifier une savante alchimie : supprimer les actuels conseils généraux tout en maintenant à cette échelle, sous une forme ou sous une autre, une entité gérée par des élus… André Vallini l'a dit le 6 mai devant la délégation sénatoriale aux collectivités : "L'article 72 de la Constitution permet de supprimer une collectivité territoriale, en en créant une nouvelle en lieu et place d'une collectivité existante". Cela aurait en outre l'avantage d'apparaître comme un pas en direction des opposants à la suppression des départements (mais risquerait a contrario de faire dire à d'autres que l'on débouche in fine sur une pseudo-réforme !). Cela permettrait, enfin – et peut-être surtout – d'apporter une réponse à un point que pratiquement tout le monde, y compris parmi ceux qui soutiennent avec plus ou moins d'enthousiasme le nouveau projet présidentiel, fait aujourd'hui valoir : que peut-on imaginer en faveur des territoires ruraux, où les départements jouent-ils indéniablement une fonction spécifique ?
Au-delà du casse-tête juridique donc, Claudy Lebreton considère que la question est maintenant de savoir "s'il y a encore une possibilité de discussion pour la collectivité intermédiaire entre la commune et les régions". Et là-dessus, François Hollande aurait "laissé la discussion possible", notamment en ce qui concerne "les territoires ruraux et semi-ruraux où l'on sait très bien que le département est déterminant", rapporte le président de l'ADF. Le chef de l'Etat "sait qu'il faut une collectivité intermédiaire entre la commune et la grande région, mais il estimait que l'intercommunalité, dont il entend accroître le périmètre et renforcer le poids, pourrait jouer ce rôle". Sauf que la taille d'une communauté de communes notamment, et le nombre de communes qui la composent, n'est peut-être pas extensible à l'infini.

Intercommunautaire... ou infrarégional ?

D'aucuns songent du coup à l'inter-intercommunalité… "Si on prend les intercommunalités des départements ruraux, si on organise la péréquation financière comme on doit le faire et si on crée par exemple – je dis bien par exemple, car ce n'est pas une décision prise – une assemblée des présidents d'intercommunalité pour décider de la répartition d'ingénierie ou bien des allocations personnes âgées et j'en passe… alors nous trouverons des solutions", a par exemple déclaré Marylise Lebranchu le 15 mai. Autrement dit, on assisterait à l'avènement de conseils intercommunautaires fédérant les intercommunalités au niveau départemental. Peut-être un peu dans le même esprit, Alain Rousset, président de l'ARF, a évoqué il y a quelques jours sur BFM l'idée de "réanimer les Pays" pour fédérer les intercommunalités à l'échelle d'un bassin de vie.
Mais il y a aussi une autre variante possible, bien que sensible car ayant un certain air de famille avec le conseiller territorial de Nicolas Sarkozy abrogé avec l'arrivée de François Hollande à l'Elysée : une sorte de "conseiller territorial à l'envers", tel que le qualifie un spécialiste. Autrement dit, prévoir que les conseillers régionaux siègent également dans des assemblées à l'échelle départementale. En poussant cette logique jusqu'au bout, on pourrait finalement imaginer une "collectivité unique", la grande région, organisée en "sections départementales" dotées de "conférences départementales". Pour pouvoir se réaliser sans toucher à la Constitution, ce scénario impliquerait le vote d'une délibération dans les mêmes termes par les actuelles assemblées départementales et régionales appelées à fusionner. Certains présidents de département sont prêts à étudier cette forme de "compromis". Et François Hollande pourrait y voir une porte de sortie intéressante.

Et le social ?

Cette formule de sections départementales aurait un intérêt : faciliter la territorialisation des politiques qui seraient désormais dévolues aux grandes régions et assurer une certaine continuité dans les services aujourd'hui assurés par les départements, notamment dans le champ de l'action sociale.
Or la grande question de fond est bien de savoir "qui assurera les compétences actuelles des départements". Les suppositions émises par les uns et les autres restent inchangées : routes et collèges aux régions, champ du social éclaté entre l'Etat (ou les CAF), la région et l'interco… Car une partie des intercommunalités rurales ne sont pas armées pour prendre en charge toute l'action sociale décentralisée, reconnaît-on à la tête de l'Etat. Et si l'on recentralisait le social, "ce seraient les 6 milliards d'euros actuellement payés par les départements que l'Etat prendrait de plein fouet", note Claudy Lebreton.
André Vallini s'est exprimé sur cette question du social : "Les compétences sociales constituent un véritable problème et seront très compliquées à transférer. Nous pouvons cependant envisager que les intercommunalités passent des conventions pour gérer d'anciens foyers départementaux. Quant au RSA, j'entends de nombreuses voix avancer que son transfert en direction des caisses d'allocations familiales peut être envisagé. Pour l'APA et la PCH, la région pourrait gérer les schémas de gérontologie de façon cohérente et les intercommunalités pourraient les décliner en versant ces prestations." Qui a parlé de simplification ?

 

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