Adoption - L'homosexualité ne peut pas justifier un refus d'agrément
Dans un arrêt du 22 janvier, la Cour européenne des droits de l'homme condamne la France pour avoir refusé à une candidate homosexuelle l'agrément en vue d'une adoption. La Cour estime qu'en refusant cet agrément, la France a violé l'article 14 (interdiction de la discrimination) - combiné avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) - de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire remonte à 1998, lorsque E.B, une enseignante en école maternelle vivant en couple depuis plusieurs années avec une autre femme, dépose auprès du président du conseil général du Jura une demande d'agrément en vue d'adoption. Tout au long de la procédure, E.B ne dissimule pas aux services sociaux du département son orientation sexuelle. A l'issue de la procédure, le président du conseil général refuse l'agrément et renouvelle ce refus après un recours gracieux. Ces deux décisions sont motivées par le défaut de "repères identificatoires" - résultat de l'absence d'image et de référent paternel - et par l'ambiguïté de la situation de la compagne d'E.B par rapport à la procédure d'adoption. Dans un premier temps, le tribunal administratif annule les deux décisions du président du conseil général. Mais la cour administrative de Nancy annule à son tour ce jugement, en considérant que le refus d'agrément n'était pas fondé sur le choix de vie de la requérante et ne tombait donc pas sous le coup des articles 8 et 14 de la Convention européenne. Dans un arrêt du 5 juin 2002, le Conseil d'Etat confirme cette position, en se fondant sur le même motif.
Dans son arrêt du 22 janvier, la Cour européenne des droits de l'homme adopte une position différente. Examinant les deux arguments utilisés par le président du conseil général du Jura, elle valide celui concernant l'attitude de la compagne de la candidate. Dès lors que deux adultes sont présents au foyer, il est normal, dans l'intérêt de l'enfant, que les services sociaux prennent en compte l'attitude de chacun d'eux au regard du projet d'adoption. La Cour ne rejette pas non plus le principe d'un motif tiré de l'absence de référent paternel. Mais elle s'interroge sur son bien fondé en l'espèce, la demande étant présentée par un célibataire (qui peut tout à fait être agréé) et non par un couple. Dès lors, la Cour se demande si le recours à ce motif n'a pas servi de prétexte pour écarter la demande de la requérante en raison de son homosexualité. La Cour est d'autant plus suspicieuse que le gouvernement français n'a pas été en mesure de prouver que l'utilisation de ce motif ne conduisait pas à des discriminations en fonction des choix de vie. Sur ce point, la présence, dans les pièces relatives à l'instruction de la demande d'agrément, de considérations sur l'orientation sexuelle de la candidate - qui au demeurant ne cachait pas son homosexualité - ne peut que renforcer ce soupçon. Dans ces conditions, la Cour en conclut que le refus d'agrément a méconnu l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, combiné avec l'article 8, et constitue donc bien une discrimination.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence: Cour européenne des droits de l'homme, Grande Chambre, arrêt 43546/02 du 22 janvier 2008, E.B c/ France.