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Villes de France - Les villes moyennes dans le tourbillon des réformes

Le congrès de Villes de France (ex-Fédération des villes moyennes), qui s'est tenu ces 1er et 2 octobre à Bourg-en-Bresse, a permis à Marylise Lebranchu de préciser certains points du projet de loi de finances, notamment la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Mais aussi aux élus de ces "villes et agglomérations de taille inframétropolitaine" d'exprimer leurs réserves sur une réforme qui risque de se traduire par un transfert de ressources de l'urbain vers le rural. Si l'on y ajoute la baisse des dotations et les reconfigurations intercommunales en cours, le sort de leurs villes-centres leur semble très incertain... Surtout lorsqu'il faut dans le même temps trouver sa place face à de nouvelles métropoles et à de futures grandes régions.

Les élus attendaient notamment de Marylise Lebranchu des "éclaircissements" sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) prévue par le projet de loi de finances pour 2016. Jean-François Debat, président délégué de Villes de France, l'avait expliqué dès l'ouverture du congrès de l'association, congrès qui se tenait ces 1er et 2 octobre dans sa ville, Bourg-en-Bresse. Selon lui, cette réforme fait la part belle aux petites communes rurales au détriment des villes – dont les villes "moyennes" et leurs agglomérations que représente Villes de France. "Nous ne voulons pas être la variable d'ajustement de cette réforme", déclarait-il, indiquant avoir demandé, comme les autres élus siégeant au Comité des finances locales, des simulations précises de la part de l'Etat. "Une dotation de base unique quelle que soit la taille de la commune, est-ce réellement juste ?" s'était de même interrogée Caroline Cayeux, maire de Beauvais et présidente de Villes de France, en accueillant la ministre chargée de la décentralisation. Les élus se posaient également certaines questions sur "le milliard", autrement dit le fonds d'aide à l'investissement local également inscrit au projet de loi de finances (PLF).

Dotation de centralité : le poids de la population

Marylise Lebranchu, venue ce 2 octobre clore le congrès de Bourg-en-Bresse, n'a pas esquivé ces questionnements, sans pour autant apporter de réponse vraiment nouvelle pour ceux qui avaient déjà pris connaissance du volet finances locales du PLF.
Dotation de base de 75 euros par habitant quelle que soit la taille de la commune, dotation de ruralité, dotation de centralité, poursuite du renforcement de la péréquation… Participant à l'une des tables-rondes de la matinée, Stanislas Bourron, directeur général adjoint des Collectivités locales, avait déjà préparé le terrain en exposant les grands points de la réforme proposée. Alors que plusieurs élus avaient pris la parole pour évoquer leur crainte d'un important "transfert de ressources" de l'urbain vers le rural et leur crainte d'une insuffisante prise en compte des charges et difficultés particulières pesant sur les villes-centres, le représentant de la DGCL avait évoqué "un système qui cherche à s'équilibrer". Certes, l'harmonisation du montant de la dotation de base est un geste en faveur des communes rurales, mais la dotation de centralité – comprise entre 15 et 45 euros par habitant et répartie entre communes et EPCI – sera "très favorable aux villes-centres" et notamment aux plus peuplées.
Marylise Lebranchu a elle aussi mis l'accent sur ce point forcément important pour les collectivités représentées par Villes de France. Pour cette dotation de centralité, "nous avons établi une règle qui, j'espère, va fonctionner", a-t-elle indiqué : si la répartition entre commune et EPCI se fera en fonction du coefficient d'intégration fiscale (CIF), l'autre élément déterminant sera le rapport de population entre ville-centre et agglomération. "Nous avons retenu un facteur 'puissance 5' pour ce critère", a précisé la ministre, "car nous avons constaté que plus le poids démographique de la ville-centre est important, plus ses charges de centralité sont élevées."
Quid des simulations réclamées par les élus ? "On est en train de les terminer", a-t-elle assuré. Ce devrait être chose faite d'ici une semaine.
"La réforme de la DGF ne consolera pas de la baisse des dotations mais rendra les choses plus justes", a considéré Marylise Lebranchu, rappelant avoir finalement renoncé, à regret mais parce que "personne n'en voulait", à une "dotation intercommunale". "Je pense que c'est une erreur", a-t-elle glissé.
La ministre a également évoqué le volet péréquation du PLF, avec des dotations resserrées sur un plus petit nombre de communes, que ce soit la dotation de solidarité urbaine (659 communes bénéficiaires au lieu de 742) ou la dotation de solidarité rurale. Elle a en outre relevé que dans le cadre du Fpic, qui sera maintenu l'an prochain à 220 millions (au lieu des 370 millions initialement prévus par la loi), le PLF pour 2016 introduit une nouveauté : "Nous avons veillé à ce que les communes pauvres contributrices soient plus largement exonérées." Ainsi, une partie des communes les plus défavorisées percevant la DSU (250 d'entre elles) ou la DSR (2.500 communes seront concernées) ne pourront plus être mises à contribution même lorsqu'elles font partie d'un EPCI contributeur.

1 milliard… pour ceux "qui en ont encore un peu sous le pied"

S'agissant du fonds de un milliard d'euros, la ministre a précisé qu'il s'agira d'"autorisations d'engagements ouvertes à partir du 1er janvier", gérées par les préfets, et que "les premiers versements interviendront en 2016". Ce qui semble signifier, en creux, que la majorité des versements seront pour plus tard…
Incitant les élus locaux à "aller chercher ces enveloppes", Marylise Lebranchu a précisé aux maires que la "tranche" de 300 millions consacrée "aux bourgs-centres, aux villes petites et moyennes", avait initialement été envisagée pour les villes de moins de 10.000 habitants. Mais que le gouvernement avait décidé de "monter le curseur" pour que les crédits bénéficient aux villes jusqu'à 50.000 habitants.
S'agissant de la tranche de 500 millions fléchée vers des "investissements d'avenir", elle a souligné que le gouvernement avait veillé à ajouter les champs de l'accessibilité, du numérique et des "services qui accompagnent l'accroissement de la population" sur un territoire.
Le représentant de la DGCL avait parlé de "subvention à l'investissement" au sujet de ce fonds de un milliard. Oui, mais… "le fonds ne servira en réalité qu'aux communes qui en ont encore un peu sous le pied", a par exemple objecté le sénateur Philippe Dallier, soulignant que le fonds ne viendra évidemment qu'en appui à des projets majoritairement financés par la collectivité.
Marylise Lebranchu a reconnu que l'investissement local "a baissé", a parlé d'"un moment difficile à passer" et a dit espérer que les baisses d'impôts sur le revenu ne se traduiront pas, au final, par un transfert sur les taux de fiscalité locale… Et n'a d'ailleurs pas exclu, "peut-être même cette année, de revaloriser les bases".
Crise de l'investissement, crise de l'autofinancement… Il en a naturellement beaucoup été question à Bourg-en-Bresse. Le constat est partagé de toutes parts, y compris du côté des partenaires publics ou privés invités à participer aux tables-rondes, dont la Caisse des Dépôts. En réponse aux voix qui tendent à affirmer que les besoins réels d'investissement local ne sont plus ce qu'ils ont été (on aurait par exemple déjà construit bien assez de médiathèques…), Serge Bayard, qui représentait la Banque postale, a chiffré le seul "maintien du patrimoine public local existant" à 37 milliards d'investissements par an et "la mise aux normes, notamment énergétique" à environ 20 milliards par an.

Quand tout arrive en même temps...

Les élus ont fait valoir les risques liés aux "effets cumulés" entre la réforme de la DGF et le "prélèvement redressement des comptes publics". Risques, aussi, de collision entre ces évolutions financières et la réforme territoriale, notamment son volet intercommunal. Difficile, par exemple, d'anticiper les effets de la réforme de la DGF au moment même où "on est en pleine transformation" des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), autrement dit, en plein élargissement des périmètres des agglomérations. Bref, tout se bouscule...
Tout comme les maires n'ont eu de cesse d'espérer que l'effort financier demandé aux collectivités soit "étalé", en matière d'intercommunalité, là aussi, "les choses auraient dû être lissées dans le temps", considèrent-ils. "Les extensions de périmètres doivent aujourd'hui se faire dans des délais très contraints", a ainsi regretté Caroline Cayeux.
Marylise Lebranchu voit au contraire dans la montée en puissance de l'intercommunalité l'une des réponses possibles à la diminution des ressources. Une réponse, aussi, à la fusion des régions, en permettant aux élus du bloc local de "mieux peser" au sein des grandes régions.
En pleine élaboration des futurs SDCI, la ministre "plaide pour que ça aille le plus loin possible et le plus vite possible". Selon elle, "le rôle de l'Etat est de proposer une carte ‘idéale'" et "le temps ne servira pas la carte intercommunale".
Interpellée par Caroline Cayeux sur les communes nouvelles, les élus de Villes de France souhaitant que "le dispositif actuel soit corrigé pour ne pas être réservé aux communes de moins de 10.000 habitants", Marylise Lebranchu sait qu'il y a débat sur ce point : "Le débat sera ouvert à l'Assemblée nationale lors du PLF, c'est évident." En jeu : une commune nouvelle de moins de 10.000 habitants créée avant le 1er janvier 2016 est exonérée de l’effort lié à la baisse des dotations. L'idée serait donc de prolonger et étendre le dispositif. "Je ne suis pas partisane d'un accroissement des seuils et des délais", a toutefois prévenu la ministre, mettant en garde contre toute tentation d'opportunisme et rappelant que cette garantie de DGF pour les communes nouvelles se traduit bien par un effort accru pour d'autres collectivités.

"Un relais entre les métropoles et le monde rural"

Si le volet intercommunal de la loi Notr est celui qui touche le plus directement les quelque 600 villes représentées par Villes de France, c'est en réalité l'ensemble de la réforme territoriale qui continue de poser question aux élus. Toutes ces villes que l'on a longtemps appelées les "villes moyennes" (de 20.000 à 100.000 habitants) et qui préfèrent aujourd'hui se définir comme le "tissu urbain non métropolitain" doivent trouver leur nouveau positionnement à la fois par rapport aux métropoles et aux futures grandes régions. Les échanges de la première journée de congrès en ont largement témoigné. Et Jean-François Debat de résumer les choses en ces termes : "Nous sommes un relais important de mise en oeuvre des politiques régionales, nous sommes un relais entre les métropoles et le monde rural."
Le maire de Bourg-en-Bresse étant aussi vice-président de la région Rhône-Alpes, sa posture est plutôt optimiste : "L'intérêt des régions sera forcément de s'appuyer sur les pôles urbains non métropolitains pour irriguer l'ensemble du territoire" et la fusion des régions actuelles ne sera pas nécessairement synonyme d'éloignement dans la mesure où, en tout cas pour Rhône-Alpes et Auvergne, "la majeure partie des politiques régionales est déjà territorialisée au niveau des bassins de vie".
Les futures régions font "peur" du fait des distances géographiques, mais aussi de toutes ces habitudes de coopération qu'il va falloir changer, a estimé André Billardon, maire du Creusot, qui préconise "la constitution de réseaux de villes thématiques" (par exemple centrés sur l'industrie, le tourisme…) afin d'"imposer la multicapillarité" à la région.
Le même type de stratégie semble se dessiner vis-à-vis des métropoles, que ce soit par la constitution de pôles métropolitains ou d'autres types de réseaux moins formels permettant de "fédérer l'interstitiel". Le géographe Daniel Behar a résumé les choses ainsi : "La loi Maptam, la loi Notr… Finalement, ces réformes relancent la petite fabrique des territoires. Les relations entre villes moyennes et métropoles sont en réalité plus horizontales que verticales. Il n'y a pas d'uniformité, les territoires doivent se saisir de la plasticité des outils existants…"
Créer des réseaux, identifier des thématiques fortes, mener des expérimentations, simplifier les coopérations… C'est aussi ce que souhaite promouvoir Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires de la Caisse des Dépôts, venu participer à la table-ronde sur le dialogue avec l'échelon régional. Marc Abadie a ainsi lancé une proposition concrète : celle d'expérimenter avec les élus de nouvelles façons d'appréhender le "problème global des centres-villes". Une illustration de la façon dont la Caisse des Dépôts entend "travailler sur toute une série de sujets à partir des préoccupations des élus" - qu'il s'agisse par exemple de fonds structurels, de transports ou d'économie mixte - et "faire du sur-mesure" avec chaque ville ou agglomération.

Claire Mallet, à Bourg-en-Bresse

Des élus malgré tout motivés !
Motivation, dévouement, espoir, enthousiasme… Contre toute attente, tels seraient les principaux "sentiments" des maires de villes moyennes dans l'accomplissement de leur mandat, à en croire les résultats d'un sondage révélé à l'occasion du congrès de Villes de France. Ce sondage sur "l'état d'esprit des élus", réalisé par TNS Sofres dans le cadre d'un partenariat entre Villes de France et Smacl Assurances, témoigne ainsi d'une posture "très positive et tournée vers l'avenir" et d'une forte implication. D'ailleurs, 98% des sondés se représenteraient, dont 84% sans hésiter. Et ce, même s'ils sont 40% à estimer qu'ils n'ont pas les moyens financiers de mettre en oeuvre leur programme…
On saura par ailleurs que les deux tiers des élus sont hostiles au redécoupage de la carte des régions, craignant principalement un éloignement accru des centres de décision. Ou bien encore que les maires reconnaissent ne pas exploiter la manne des fonds européens, qu'ils connaissent mal et qu'ils jugent trop complexes.