Transports - Les trains à 200 km/h sur les grandes lignes classiques ne sont pas la solution miracle, selon une expertise de la Fnaut
En février dernier, le secrétaire d'Etat aux Transports, Alain Vidalies, lançait un appel d'offres pour le renouvellement des trains Corail par des trains modernes pouvant rouler à 200 km/h sur les lignes classiques dites structurantes. Une idée soutenue par une multitude d'acteurs (Cour des comptes, Commission Mobilité 21, Commission Duron sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire, France Nature Environnement, etc.) et de personnalités politiques de tous bords (Hervé Mariton, Jean-Louis Bianco, Gilles Savary, Noël Mamère, notamment). La pénurie d'argent public incitait en effet à trouver une alternative aux projets de ligne à grande vitesse à travers une offre intermédiaire entre les trains Intercités actuels et les TGV.
"Nous avons été étonnés que l'hypothèse de trains roulant à 200 km/h sur les grandes lignes classiques ait été émise comme la solution miracle, sans la moindre étude technique préalable démontrant sa faisabilité", relève Jean Sivardière, vice-président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut). Celle-ci a donc voulu en avoir le cœur net en commandant une étude à un expert du secteur ferroviaire, Gérard Mathieu, qui a passé au peigne fin 15.000 km de lignes principales, correspondant principalement au réseau des Intercités.
Les résultats de ce travail, présentés le 8 avril, montrent que ce relèvement de la vitesse ne peut pas être l'unique réponse à la crise actuelle du transport ferroviaire. Si le 200 km/h est déjà pratiqué sur un peu plus de 1.000 km, soit 34 sections de 30 km en moyenne, souligne l'étude, il serait théoriquement possible sur près de 2.000 km supplémentaires, soit 110 sections bien tracées et déjà parcourables à 160 km/h. Mais il s'agit de sections courtes (18 km en moyenne) et dispersées sur tout le réseau principal. Sur un même grand itinéraire, elles sont rares. En outre, les gains de temps, calculés en tenant compte des phases d'accélération et de freinage (variables avec la puissance de traction et le profil de la ligne), sont faibles (1 minute sur 15 km, 30 secondes sur 10 km).
Les relèvements de vitesse à 200 km/h se traduisent aussi par des coûts très élevés car les travaux à mener sont lourds et complexes - dénivellation des passages à niveau, ripage des voies, renforcements (voie, plateforme, alimentation électrique, signalisation), reprises des installations (entraxe, dévers, traversées de gares, caténaires, télécommunications), mise en place de protections phoniques. Ils doivent de surcroît être effectués dans des milieux contraints (zones urbanisées, gares, ouvrages d'art) et en maintenant la circulation des trains. A titre d'exemple, les seuls travaux sur les passages à niveau peuvent atteindre 30 à 40 millions d'euros en zone urbaine. De ce fait, les coûts à la minute gagnée sont plus élevés que ceux des LGV, note l'étude.
Plusieurs "utopies" volent en éclats
Compte-tenu de la position des lignes sur le réseau, des gains de temps potentiels, des coûts d'adaptation de l'infrastructure et du trafic existant ou potentiel, le relèvement à 200 km/h n'apparaît donc pertinent selon l'expertise de la Fnaut que sur 500 à 600 km supplémentaires, soit 3 à 4% du réseau grandes lignes. "Les sections parallèles à des LGV existantes ou en projet ne sont pas concernées, les sections courtes isolées (inférieures à 15 km) feraient gagner moins d'une minute, le relèvement n'est pas rentable sur les lignes à faible trafic potentiel (Toulouse-Foix), il réduit la capacité de manière inacceptable sur les lignes en voie de saturation (Dijon-Lyon)", précise l'étude. D'autres relèvements des vitesses sont possibles techniquement et pertinents économiquement sur environ 2.000 km, dont 1.200 km à 160 km/h (soit 8% du réseau) et 300 km à 140/150 km/h (soit 2% du réseau). Il s'agit de sections disséminées sur le réseau. La traversée de certaines gares peut aussi être accélérée. Selon l'étude, les gains de temps correspondants sont plus importants (2 fois plus en passant de 100 à 150 km/h que de 150 à 200) et les opérations moins coûteuses.
Des gains de temps peuvent aussi être obtenus en modifiant d'autres paramètres : les performances des matériels roulants - accélération, freinage - et l'accessibilité, la vitesse de franchissement des aiguillages d'entrée/sortie des gares, le nombre et la durée des arrêts, les marges de régularité, l'aide à la conduite des trains, etc.), poursuit l'étude.
Pour la Fnaut, cette expertise fait aussi voler en éclats plusieurs "utopies" dont celle qui consiste à dire que le train classique à 200 km/h est une alternative aux nouvelles LGV. "Les gains de temps possibles sur le réseau classique sont faibles (quelques minutes sur 100 km, 1 à 6 % de la durée du trajet) alors qu'une LGV divise par 2 le temps de parcours, souligne Jean Sivardière. Sur Bordeaux-Toulouse, on ne peut gagner que 9 minutes en améliorant les possibilités du tracé classique alors que la LGV permet de faire le trajet en 1 heure au lieu de 2." Autre "utopie" réfutée par l'étude : "Non seulement le train classique modernisé ne peut offrir une alternative aux nouvelles LGV, mais il ne permet pas d'obtenir une offre intermédiaire entre Intercités et TGV". Une conclusion qui subsiste "même si on réalise des investissements plus importants qu'une 'simple' adaptation des infrastructures classiques au 200 km/h sans modification des tracés". Ainsi, "si certaines courbes sont rectifiées, les coûts de reconstruction de la ligne se rapprochent de ceux d'une LGV mais les temps de parcours restent, en gros, deux fois plus longs que ceux du TGV". La technique pendulaire, très coûteuse, peut aussi être intéressante "sans être la solution miracle : en France, les dévers étant élevés, le gain de vitesse n‘est que de 10 % à 15 % sur les parties sinueuses".
"La modernisation du réseau doit reposer sur une double démarche"
Quant au "train à haut niveau de service" ou THNS proposé par EELV comme alternative à la construction de nouvelles LGV - train roulant à 200 km/h sur les lignes classiques qui le permettent et 250 km/h sur des lignes nouvelles – il n'apporterait pas de "gains de temps décisifs, au contraire", estime la Fnaut. Dans le cas du POCL (le doublement de l'actuelle LGV Paris-Lyon passant par le centre de la France), le panachage entre construction de longues sections de lignes nouvelles (sortie sud de Paris et Roanne-Lyon) et modernisation de sections de lignes classiques conduirait à faire le trajet Paris-Lyon en 3h30, contre 1h55 par la LGV existante. "Les gains de clientèle seraient insuffisants, d'autant que la productivité du THNS serait trop faible (…) pour permettre à l'exploitant de proposer des tarifs inférieurs à ceux du TGV, conclut l'enquête. Les investissements nécessaires, très coûteux (plus de 230 km de lignes nouvelles, aménagements de lignes classiques pour 200 km/h, matériel roulant), ne seraient donc pas finançables."
Pour la Fnaut, l'augmentation de la vitesse des Intercités est "possible et nécessaire" pour leur redonner un avantage compétitif par rapport à l'avion ou à la voiture mais à certaines conditions. "Le relèvement à 200 km/h est pertinent et souhaitable sur les lignes principales dites structurantes (Paris-Clermont, Paris-Limoges), comme cela a été fait sur Paris-Cherbourg. Les relèvements à des vitesses moindres (100 à 160 km/h) peuvent s'avérer plus efficaces et moins coûteux. Ils sont particulièrement intéressants sur les lignes desservant des villes moyennes situées à l'écart des LGV, radiales et transversales où les vitesses actuelles sont faibles (Lyon-Nantes, Nantes-Bordeaux…) et sur lesquelles des investissements coûteux sont difficilement envisageables car les trafics potentiels sont limités."
"La modernisation du réseau ferré doit reposer sur une double démarche : une remise à niveau du réseau classique, qui passe par la rénovation de l'offre Intercités nécessitant un effort supplémentaire d'au moins 1 milliard d'euros par an, et la poursuite de l'extension du réseau à grande vitesse", insiste la Fédération. "Les deux sont finançables simultanément si on met en place une fiscalité écologique digne de ce nom, estime le président de la Fnaut, Bruno Gazeau. 1 seul centime de TICPE supplémentaire rapporte 600 millions d'euros par an. C'est à l'Etat d'agir."