Les sénateurs appellent à reconquérir le foncier agricole ultramarin
Dans un rapport adopté le 28 juin 2023, Vivette Lopez, sénateur LR du Gard, et Thani Mohamed Soilihi, sénateur Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants de Mayotte tentent de trouver des solutions pour que le foncier agricole ultramarin permette d'atteindre la souveraineté alimentaire visée par le gouvernement. Ils avancent plusieurs propositions, dont l'augmentation des moyens financiers des Safer, la mise en place d'un mécanisme de retraite bonifiée pour les futurs retraités qui forment des jeunes exploitants, ou encore le recensement du foncier à potentiel agricole détenu par les acteurs publics.
Sanctuariser le foncier agricole, recenser le foncier à potentiel agricole pour l'installation de jeunes agriculteurs… sont parmi les propositions des sénateurs présentées dans le rapport d'information "Foncier agricole outre-mer, une reconquête nécessaire pour la souveraineté alimentaire", adopté le 28 juin 2023. Ce rapport, de Vivette Lopez, sénateur LR du Gard et Thani Mohamed Soilihi, sénateur Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants de Mayotte, est le fruit de quatre mois d'auditions et d'un déplacement en Martinique. "Si ce phénomène du recul du foncier agricole n'est pas propre aux outre-mer, il y revêt une acuité particulière", a détaillé Vivette Lopez lors de la présentation du rapport. D'après le dernier recensement agricole, entre 2010 et 2020, la surface agricole utile (SAU) a encore reculé dans les DROM, de 7,5% en moyenne, à l'exception de la Guyane qui progresse de 44% et de la Guadeloupe qui se maintient. La Réunion, la Martinique et Mayotte enregistrent pour leur part une baisse de la SAU de 10%, 12% et 13% respectivement, après un recul ininterrompu depuis des décennies. En conséquence, avec une diminution de 900 tonnes par an, la production agricole destinée au marché local a crû moins vite que la population.
A cela s'ajoute la baisse du nombre d'exploitants (un cinquième en dix ans pour la Martinique et la Réunion), une part de plus de 90% de petites et très petites exploitations, vulnérables aux aléas économiques et climatiques, une population d'exploitants particulièrement âgée (plus d'un tiers des exploitants antillais ont plus de 60 ans, contre 25% dans l'Hexagone, 42% à Mayotte). Mais malgré l’étroitesse du foncier agricole, les quantités de terres manquantes pour couvrir 100% des besoins en fruits et légumes n’apparaissent pas pharaoniques, estiment les sénateurs. Et la souveraineté alimentaire est un objectif atteignable à horizon 2030, avec une augmentation de la SAU de 10% environ.
"Passer d'une posture défensive à la reconquête des terres cultivables"
Les propositions des sénateurs s'organisent en quatre thèmes principaux dont le premier concerne la sauvegarde des terres agricoles déjà cultivées. L'idée serait de renforcer les moyens financiers des Safer outre-mer, en instituant en plus de l'avis conforme des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers une phase obligatoire de concertation "pour éviter les décisions couperets". Ces commissions se prononcent sur les permis de construire, les dossiers individuels et sur les documents d'urbanisme, notamment ceux présentés par les maires. "Elles font l'objet de beaucoup de critiques, à la fois sur leur composition et sur la portée de l'avis qu'elles délivrent", a indiqué Vivette Lopez. La phase de concertation permettrait d'organiser une présentation argumentée du projet et un dialogue approfondi avec les élus qui ont porté des projets pendant des mois et qui se voient parfois opposer une décision brutale.
Autre axe du rapport : la reconquête des terres agricoles exploitables. "Il est nécessaire aujourd'hui de passer d'une posture défensive à la reconquête des terres cultivables, principalement celles laissées en friche et celles qui ont changé de statut", a souligné la sénatrice auteure du rapport. Premier point : s'attaquer au phénomène des terres en friches à travers une taxe sur les propriétaires refusant leur remise en culture pour donner un signal fort et tenter de donner un coup d'arrêt à ce type de spéculation. Les sénateurs proposent aussi de réaliser un recensement du foncier à potentiel agricole détenu par des collectivités, l'Etat et des organismes publics pour favoriser l'installation de jeunes agriculteurs. Une concertation avec l'Office national des forêts (ONF) est aussi envisagée pour faciliter la remise en culture de terres anciennement cultivées, laissées en friche, et assimilées à des forêts ou à des espaces naturels.
"Le foncier est 'peu liquide'"
La transmission est le troisième axe du rapport. "Le foncier est 'peu liquide', a expliqué Thani Mohamed Soilihi, les causes sont bien identifiées : raréfaction des terres, désordre foncier et faiblesse des retraites. S'y ajoute aussi le fait que les porteurs de projets, les jeunes agriculteurs, ont des moyens financiers limités".
Le rapport prévoit la création d'une plateforme centralisée de publicité des projets d'acte de vente ou de partage et le rétablissement d'un mécanisme de préretraite pour les exploitants agricoles ultramarins. La préretraite serait couplée à une forme de tutorat des repreneurs lorsqu'il s'agit de jeunes agriculteurs en première installation. Le montant de la retraite serait bonifié en fonction de l'intensité du tutorat.
Enfin, dernier thème, l'aménagement dans une perspective d'agriculture durable. Il s'agirait d'accorder des dérogations de manière limitée et très contrôlée pour l'habitation des exploitants agricoles sur leurs terres et d'introduire une part d'aides surfaciques calculées sur la base des terres incultes remises en exploitation. Les sénateurs proposent aussi de flécher les crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) sur l'entretien des pistes agricoles.