Compétitivité de la "ferme France" : le Sénat sort les gros sabots

Le Sénat a adopté le 23 mai 2023, en première lecture, la proposition de loi transpartisane "pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France" portée par près de 174 sénateurs. Au programme, des mesures choc pour favoriser la compétitivité de l'agriculture, comme la possibilité pour le ministre de l'Agriculture de suspendre des décisions de l'Anses ou encore le report à 2025 des objectifs de produits bio et locaux de la restauration collective…

Alors que le gouvernement planche sur un projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, les sénateurs ont adopté le 23 mai 2023 une proposition de loi transpartisane "pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France" portée par près de 174 sénateurs. Le texte comporte des mesures très controversées. Il a même été considéré comme "une véritable lettre au père Noël de la FNSEA-Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles" par Alain Bazot, président de l'UFC-Que choisir. Le texte est le fruit des recommandations législatives de la mission d’information sur la compétitivité de la ferme France, adoptées par la commission des affaires économiques du Sénat en septembre 2022 (voir notre article du 4 octobre 2022). "Le rapport que j'ai écrit en 2022 avec mes collègues Pierre Louault et Serge Mérillou n'est que la démonstration, à une échelle plus fine, sur la base de cinq produits emblématiques, de l'érosion continue de nos parts de marché, notamment au sein de l'Union européenne, ainsi que de la baisse tendancielle de notre taux d'auto-approvisionnement", a déclaré lors du débat en séance publique Laurent Duplomb (LR, Haute-Loire), en présentant le texte. Et de répondre au président de l'UFC-Que choisir qui "ferait mieux de rester dans le cadre de ses prérogatives en s'occupant du pouvoir d'achat des Français et, tout particulièrement, des 16% de nos concitoyens qui, aujourd'hui, à cause de l'inflation et du 'tout montée en gamme', déclarent ne plus manger à leur faim".

Pour les auteurs de la proposition de loi, la compétitivité a été "la grande oubliée des politiques agricoles des vingt dernières années, accumulant charges, normes et interdictions en chaque occasion, oubliant bien souvent la situation vécue par nos agriculteurs".

Ils constatent le décrochage de la ferme France, avec une réduction des surfaces agricoles et du nombre d'agriculteurs, un plafonnement des rendements et l'érosion des parts de marchés à l'international alors que la France n'a jamais autant importé de denrées.

"Ce texte est une première pierre à la future loi d'orientation et d'avenir agricoles qui est attendue et nécessaire alors que l'essentiel de l'agriculture repose encore aujourd'hui sur les grandes lois d'orientations des années 60, a déclaré Daniel Gremillet, sénateur LR des Vosges et cosignataire de la proposition de loi, le monde a changé, il y a des attentes nouvelles, il est essentiel d'y répondre et de redonner un cap". De son côté, Stéphane Demilly a alerté. "Si nous voulons que la maison agricole France reste debout dans les tempêtes climatiques, sanitaires, environnementales, économiques et administratives, nous devons la soutenir avec force", a ainsi signalé le sénateur centriste de la Somme.

Un ministre capable de suspendre les décisions de l'Anses

Dès le premier article, la proposition de loi intègre la souveraineté alimentaire à la liste des intérêts fondamentaux de la nation, au même titre que son indépendance ou son intégrité.

Elle propose qu'un plan quinquennal de compétitivité durable et d'adaptation des filières agricoles et agroalimentaires soit élaboré par le ministre de l'Agriculture en concertation avec les filières. Le texte propose aussi la création d'un haut-commissaire à la compétitivité durable des filières agricoles et agroalimentaires françaises, qui serait l'interlocuteur des filières pour centraliser les difficultés qu'elles rencontrent et qui participerait à la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de compétitivité. Il prévoit un fonds spécial de soutien à la compétitivité des filières agricoles en difficulté et propose de créer un "livret Agri", livret d'épargne réglementée, pour faciliter l'accès à l'emprunt des agriculteurs et l'accès au foncier agricole des plus jeunes.

Le texte contient des mesures qui font polémique, comme la possibilité pour le ministre de l'Agriculture de suspendre une décision technique prise par le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Exemple avec les décisions concernant la phosphine, finalement autorisée pour l'exportation ou avec le S-métolachlore, dont le retrait a été acté. Le ministre pourrait ainsi suspendre la décision "au cas où il n'existerait pas de solutions alternatives efficientes et où cette décision engendrerait une distorsion de concurrence au sein du marché intérieur". Le ministre de l'Agriculture ne souhaitait pas l'adoption d'un tel principe. "J'émets un avis favorable sur les amendements de suppression car cet article ne règle pas les questions que nous nous posons sur l'Anses", a ainsi indiqué Marc Fesneau durant la discussion.

Le texte crée aussi un principe de non-surtransposition des textes européens sauf motif d'intérêt général suffisant.

Repousser à 2025 les objectifs de la restauration collective

Autre mesure choc : expérimenter pendant cinq ans une dérogation à l'interdiction de pulvériser des produits phytosanitaires par drone sur certaines surfaces agricoles comme les terrains en pente ou dans le cadre d'une agriculture de précision. Le texte initial prévoyait de pérenniser la dérogation.

La proposition de loi recommande aussi de repousser à 2025 les objectifs dans le domaine de la restauration collective (20% d'approvisionnements issus de l'agriculture biologique et 50% d'approvisionnements en produits durables et de qualité"), sous prétexte qu'ils n'ont pas été atteints à temps, soit au 1er janvier 2022. Les sénateurs insistent sur la nécessité d'accompagner les collectivités territoriales pour aller dans ce sens, la fixation d'un objectif n'étant pas suffisant. Les déclarations de Marc Fesneau n'allaient pas dans la même direction. "Ce n'est pas parce que nous n'avons pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés, que nous devons reprendre rendez-vous dans trois ans", a déclaré le ministre. Les sénateurs ont par ailleurs décidé de la création d'un conseil national de la restauration collective "composé de représentants des secteurs agricole et agroalimentaire, de représentants des collectivités territoriales, de représentants des ministères concernés, de représentants des associations de consommateurs et de protection de l’environnement". Ce conseil se verrait consulté pour les politiques concernant la restauration collective.

Concernant l'usage de l'eau, la proposition de loi consacre le caractère d'intérêt général majeur des ouvrages de prélèvement et de stockage de l'eau agricole. Une généralisation de ces "mégabassines" qui n'était pas souhaitée par le gouvernement, qui souhaite toutefois ouvrir un débat sur le sujet "de manière plus sereine et moins caricaturale que ce qu'on entend", a précisé Marc Fesneau.

Le texte remet par ailleurs à l'ordre du jour les clauses miroirs, dont la mise en place patine. Un principe inscrit dans la loi Egalim de 2018, qui permet, selon les sénateurs, de protéger l'agriculture de la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas les exigences auxquelles la France s'astreint. Un rapport du gouvernement sur leur mise en œuvre est prévu, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi. Le texte contient enfin des mesures pour maîtriser les charges et impôts des agriculteurs.

Il a été transmis à l'Assemblée nationale pour un examen en première lecture.

 

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