ARF - Les régions face à un "chamboulement complet"
Il reste à peine plus de trois semaines à Matignon et aux régions pour trouver une solution de substitution à l'idée de taxe d'équipement spéciale régionale dont il était question au début de l'été. Le 29 septembre, le Premier ministre ouvrira en effet à Reims le prochain congrès des régions, le dossier devra être réglé avant. Quelle que soit la solution trouvée, elle est censée figurer dans le projet de loi de finances pour 2017. "L'ensemble des régions en appellent au gouvernement", a déclaré le président de l'Association des régions de France (ARF) et président LR de la région Grand Est, Philippe Richert, lors de sa conférence de presse de rentrée, le 6 septembre. Une union de façade qui masque les vives divergences de ces dernières semaines.
On se souvient qu'à l'issue d'une réunion le 27 juin à Matignon, l'ARF s'était montrée favorable à la proposition du Premier ministre de créer une taxe spéciale d'équipement régionale d'un montant total devant rapporter quelque 600 millions d'euros pour 2017, afin de compenser le transfert aux régions des compétences des départements en matière économique. A commencer par les aides aux TPE. Sauf qu'entre-temps, plusieurs présidents de région ont tapé du poing sur la table pour dénoncer cette nouvelle imposition sur les ménages et les entreprises. C'est notamment le cas de Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France, qui s'est alors "retiré" des travaux de l'ARF pour protester. Le président de l'ARF a depuis lors fait volte-face. "Nous souhaitons une fiscalité qui existe", a-t-il déclaré mardi. "Mettez une part de taxe carbone et une part de CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ndlr)", a-t-il poursuivi. Il est aussi question d'augmenter la fraction régionale de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) dont le produit s'est envolé cette année.
L'autonomie financière... sans l'impopularité fiscale
S'agissant de Matignon, on voit mal comment le Premier ministre pourrait refuser une telle issue alors que d'elle repose une bonne partie de la réussite de la réforme territoriale, celle que les régions appelaient il y a peu la "mère des réformes" mais qui ressemble pour l'heure à un vaste chantier. "Si on n'a pas une écoute attentive, tout ce travail aura été un coup d'épée dans l'eau", a prévenu Philippe Richert. "Ce serait mettre notre économie régionale en cale-sèche", a abondé le président délégué de l'ARF, et président PS du Centre-Val de Loire, François Bonneau.
Selon les régions, les dépenses des départements pour le développement économique se chiffrent à 1,6 milliard d'euros, dont 800 millions d'euros au titre des aides directes aux entreprises. Mais aucun transfert de moyen n'a été prévu par la loi, le gouvernement n'ayant pas souhaité enfoncer des départements déjà englués par le coût du RSA. Lors des discussions menées au début de l'été, "l'Etat a reconnu que 600 millions d'euros pouvait correspondre à un objectif avisé", a indiqué Philippe Richert, rappelant au passage que la baisse des dotations de l'Etat aux régions se monte à 1,350 milliard d'euros sur trois ans. La région est aujourd'hui "la collectivité la plus fragile", a-t-il encore déploré. Selon l'ARF, l'épargne brute des régions (différence entre recettes de fonctionnement et dépenses de fonctionnement) a reculé de 7,8% en 2015, soit une baisse de 450 millions d'euros qui correspond exactement au montant de baisse annuelle des dotations qu'elles supportent. Or "elles n'ont aucune capacité d'y répondre (...) notre seule recette autonome provient des taxes sur la vente des cartes grises, soit seulement 10% du total de nos ressources", a expliqué Philippe Richert, relançant ainsi le débat sur l'autonomie financière des régions. Un paradoxe pour des régions qui refusent d'assumer dans le même temps le risque d'impopularité fiscale que la taxe proposée par le gouvernement aurait fait peser sur elles…
"Travail de titan"
La question fiscale n'est qu'une partie des multiples défis que rencontrent les régions, huit mois après la fusion de nombre d'entre elles et en pleine mise en œuvre de la réforme territoriale. "Je ne suis pas sûr que ceux qui ont voté la loi étaient conscients de tout ce que ça allait amener dans le territoire", a déclaré Philippe Richert, parlant de "loi mal fagotée". "C'est un boulot fou (...) Un travail de titan", a-t-il poursuivi. Le changement de périmètre des grandes régions induit un "chamboulement complet" avec l'harmonisation des niveaux d'intervention, dans le domaine économique ou encore les aides aux clubs sportifs… "Dans ma région, ce sont 700 critères d'aides aux entreprises qu'il faut revoir, a-t-il déclaré. Il faut inventer de nouvelles méthodes."
Les régions vont devoir boucler d'ici la fin de l'année leurs SRDEII (schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation). Il en va aussi de leurs nouvelles compétences en qualité d'autorités de gestion des fonds européens de développement rural ou d'autorités organisatrices de l'intégralité des transports avec la prise en charge des transports scolaires et urbains qui concernent des "millions de familles". Alors que la loi Notre a prévu deux dates de transfert - le 1er janvier 2017 pour les transports urbains et le 1er septembre 2017 pour les transports scolaires – l'ARF est favorable à une date unique, le 1er janvier, d'autant que, comme l'a fait remarquer Philippe Richert, "ce sont souvent les mêmes transports". Ce travail va impliquer une coopération étroite avec les départements (mais aussi les agglomérations qui pourront choisir la compétence déléguée) afin d'évaluer les coûts et les moyens du transfert, "sans qu'il y ait de rupture". "C'est beaucoup plus complexe que prévu", a prévenu Philippe Richert. Contrairement au développement économique, la loi a ici prévu une compensation avec un doublement de la part de CVAE dévolue aux régions au 1er janvier 2017 (les taux sont permutés et passent à 50% pour les régions et à 25% pour les départements). Mais il faudra affiner les montants en fonction des coûts réels. Concernant les TER, Philippe Richert s'est félicité de la "liberté tarifaire" accordée aux régions. Selon l'ARF, elle va leur permettre "de marketer leurs offres de mobilité et de s'adapter dans un contexte concurrentiel"…
Devant l'ampleur des travaux, le président de l'ARF veut surtout voir l'orientation prise. "Si on reste sur la même tendance, ce que nous sommes en train de vivre est une révolution…", s'est-il réjoui.
Michel Tendil
Délégation de compétences Emploi : six régions engagées
Les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur, Pays de la Loire, Nouvelle Aquitaine, Corse, Centre-Val de Loire et Bretagne se sont déclarées intéressées par la possibilité offerte par la loi Notre aux régions volontaires de disposer d'une délégation de compétences et de crédits de l'Etat pour coordonner l'action des acteurs du service public de l'emploi (hors Pôle emploi). Le 6 septembre, lors de la conférence de rentrée de l'Association des régions de France (ARF), Gérard Cherpion, député (LR), vice-président de la région Grand Est et président de la commission formation de l'ARF a précisé qu'un groupe de travail allait être constitué sur cette question au sein de l'ARF afin de permettre aux régions de disposer d'un cadre de discussion entre elles, de concertation et de négociation des moyens avec l'Etat. La plateforme Etat-régions signée le 30 mars 2016 prévoit la mobilisation d'une partie de la part Etat du Fonds social européen pour financer cette délégation de compétences.
Par ailleurs, Gérard Cherpion a salué "la mobilisation exceptionnelle" des régions (17 sur 18) dans le cadre du plan 500.000 formations supplémentaires pour les demandeurs d'emploi, six mois après son lancement. "A ce jour, 60% de l'objectif d'entrées en formation est atteint au niveau national et 97% dans le Grand Est", a précisé le député qui estime que l'objectif de 500.000 pourra être atteint d'ici à la fin de l'année, à condition que "ce plan ne se télescope pas avec l'autre objectif du gouvernement d'augmenter le nombre de Contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE), ce qui peut brouiller les messages adressés à Pôle emploi". Le succès du plan 500.000 s'explique, d'après Gérard Cherpion, par "la mobilisation des branches professionnelles qui ont su faire remonter leurs besoins" et par "l'élargissement de l'offre de formation aux filières industrielles, à la transition énergétique et à l'équipement en fibre optique notamment". Les régions déplorent cependant "la place excessive qui a été laissée par le gouvernement à la commande nationale de formation", estimant que cette commande aurait dû être "dérogatoire".
Autre réforme saluée par l'ARF : la transformation de l'Afpa en établissement public industriel et commercial (Epic) au 1er janvier 2017. Toutefois, les régions ont exprimé leur vigilance, lors de l'examen, hier, par le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop) du projet de décret portant sur le futur Epic. "Nous souhaitons éviter toute recentralisation de la politique de formation par l'Etat et une définition des missions de service public qui irait au-delà de la loi et mettrait à mal le rôle des régions notamment sur l'ingénierie de formation ou l'observation des métiers émergents", a expliqué Gérard Cherpion. Certains points doivent aussi être clarifiés sur la question du respect du droit de la concurrence. De nouvelles réunions techniques et politiques associant Myriam El Khomri sont programmées à partir de la semaine prochaine.
Enfin, l'ARF a rappelé que les régions piloteront à partir de janvier prochain le dispositif Nacre d'accompagnement et de conseil à la création/reprise d'entreprise par les demandeurs d'emploi. Elle précise que "la rentrée 2016 est consacrée à la négociation des moyens financiers et RH pour garantir la réussite de ce transfert de compétences".
Valérie Grasset-Morel