Les promoteurs d’un "plan Marshall pour la protection de l’enfance" en attente des annonces de la Première ministre
Les Conseil nationaux de la protection de l’enfance (CNPE), de l’adoption (CNA) et des politiques jeunesse (COJ), plusieurs départements, acteurs et réseaux de la protection de l’enfance, de la santé et de la justice sont en attente des annonces prochaines de la Première ministre. Ces acteurs portent collectivement une alerte sur l’avenir de la protection de l’enfance et un "plan Marshall" pour avancer. Ils demandent des moyens et un renforcement de toutes les coopérations utiles.
Annoncé par la Première ministre le 10 novembre dernier en clôture des Assises nationales des départements (voir notre article), un comité interministériel à l’enfance se tiendra le 20 novembre 2023. Dans cette perspective, le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), le Conseil national de l’adoption (CNA) et le Conseil d’orientation des politiques jeunesse (COJ) appellent à la mise en œuvre du "plan Marshall pour la protection de l’enfance" qu’ils ont élaboré (voir notre article du 24 octobre 2023), au "renforcement des coopérations État-départements et [à] la mobilisation de tous les acteurs de la société civile, associations, élus, réseaux de proximité".
"Une crise grave, inédite, multifactorielle"
Ces conseils tenaient, ce 16 novembre 2023, une conférence de presse avec l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), des élus de collectivités (départements de Seine-Saint-Denis, Nord, Vienne, Mayenne, Meurthe-et-Moselle, ville de Paris, métropole de Lyon), ainsi que des représentants de réseaux de la protection de l’enfance et de différents secteurs (justice, santé, travail social…). Le groupe des départements de gauche de Départements de France s’est aussi associé, par communiqué, à la démarche.
Ces acteurs se montrent "unis" pour confirmer que "la protection de l’enfance traverse une crise grave, inédite, multifactorielle", a présenté Anne Devreese, présidente du CNPE. Et cela, selon elle, "malgré les avancées considérables" qui ont été réalisées ces dernières années et "malgré un engagement des professionnels jamais remis en question". Depuis deux ans, "avec un effet d’accélération ces derniers mois", l’augmentation de l’activité en protection de l’avance provoque "une saturation des dispositifs", tant du côté de l’accueil que de l’accompagnement, décrit celle qui est également directrice générale adjointe (DGA) enfance famille santé au département du Nord.
Un taux moyen de postes vacants de 9%
Cette hausse d’activité intervient dans un contexte de baisse globale des recettes des départements et de très grandes difficultés de recrutement, qui sont qualifiées par une étude de l’Uniopss présentée ce jour. Réalisée auprès de 314 établissements et services du réseau Uniopss-Uriopss, l’enquête met en évidence des difficultés de recrutement généralisées dans le secteur de la protection de l’enfance – surtout pour les travailleurs sociaux, mais aussi pour les personnels d’encadrement – et un taux moyen de postes vacants de 9%. "Dans ce contexte, le recours à l’intérim concerne 40% des répondants et il est très coûteux pour les établissements et services", indique Daniel Goldberg, président de l’Uniopss.
Malgré des réflexions et actions portées par les associations pour trouver des solutions, 20% des établissements et services interrogés "ont été contraints de réduire leur capacité d’accompagnement en semaine ou les week-ends" et 5% ont dû se résoudre à "des fermetures totales de service en semaine ou les week-ends". 45% des structures répondantes déclarent également "accompagner des enfants et des jeunes dont les profils ne correspondent pas au projet d’établissement ou de service" – pour les trois quarts, des enfants et jeunes en situation de handicap.
Prise en charge des enfants en situation de handicap : des besoins importants
"Entre 10 et 20% des enfants" présentent cette "double vulnérabilité", en situation de handicap et avec une mesure de protection de l’enfance, selon Eve Robert, DGA Solidarités du département de Seine-Saint-Denis et représentant l’Association nationale des directeurs de l’action sociale et de santé (Andass). Le déficit de prises en charge d’enfants avec handicap laisse des familles sans solution et peut conduire à "l’épuisement parental" et, parfois, à des "maltraitances" et des "placements", décrit-elle. Ces placements contribuent à saturer le dispositif et crée des difficultés dans les prises en charge, les établissements d’accueil en protection de l’enfance n’étant souvent pas préparés à accueillir de manière "inclusive" des enfants ayant parfois de lourds handicaps.
Il y a eu des "progrès" dans le cadre des contrats État-départements, reconnaît Eve Robert, avec l’ouverture de places dédiées dans des établissements médico-sociaux. Mais il s’agit de "quelques dizaines de places par département alors que les besoins sont plutôt par centaines", estime-t-elle. "On a besoin de palettes plus étoffées et diversifiées pour la prise en charge du handicap, du plus léger au plus lourd", ajoute-t-elle.
Les acteurs de la protection de l’enfance et de la santé sont également en attente des arbitrages qui seront issus des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant. Avec une attente en particulier : le développement des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped).
Retards dans l’exécution des décisions de justice
Autre alerte portée par le COJ : le risque que, dans un contexte financier qui se tend, les jeunes majeurs redeviennent la "variable d’ajustement" des départements. Vice-président du COJ, Antoine Dulin appelle à "mettre fin à l’inéquité territoriale" en la matière et rappelle les propositions portées dans un rapport publié en juin dernier (voir notre article).
Enfin, les retards dans l’exécution des décisions de justice sont pointés comme une véritable faille actuelle du système, préjudiciable aux enfants mais aussi à la "crédibilité des institutions", d’après Laurent Gebler, représentant l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
"Nous sommes tous rassemblés et prêts à contribuer à la mobilisation générale" demandée par Élisabeth Borne le 10 novembre dernier, déclare Monique Limon, présidente du CNA.
"Nous sommes très en attente des annonces qui pourraient être faites la semaine prochaine, semaine des droits de l’enfant. Nous avons absolument besoin aujourd’hui de moyens et de ressources humaines" et, au-delà, de mobiliser les "leviers d’action" qui existent aujourd’hui, conclut Anne Devreese. "Les idées ne manquent pas", assure cette dernière, renvoyant notamment au livre blanc du travail social (voir notre article du 22 juin 2023) qui serait remis officiellement au gouvernement au début du mois de décembre.