Développement local - Les produits artisanaux ont enfin leur indication géographique !
Mauléon-Licharre est une petite commune de 3.500 habitants dans le Pays basque qui se présente comme la capitale de la Soule… et de l'espadrille ! Une particularité que le maire de la commune, Michel Etchebest, entend bien préserver grâce aux toutes nouvelles indications géographiques pour les produits manufacturés et les ressources naturelles. Celles-ci vont pouvoir être mises en œuvre grâce à la publication le 3 juin d'un décret d'application de la loi Hamon du 17 mars 2014 qui, en pleine affaire Laguiole, était venue étendre aux produits artisanaux les indications géographiques (IG) jusqu'ici réservées aux produits naturels, viticoles et agricoles, comme le pruneau d'Agen ou le Roquefort. La commune ne compte plus que six fabricants d'espadrilles. "La grande facilité est de faire fabriquer les semelles par exemple dans un pays à bas coût et de se contenter de faire de l'assemblage à Mauléon", explique l'édile. Ce que, justement, il veut éviter. Mais, pour l'heure, une seule des six entreprises a signé le cahier des charges. Une deuxième devrait lui emboîter le pas. "On souhaite les amener autour de la table mais pour le moment on n'a pas trouvé d'accord sur le bon curseur." Le maire de Mauléon en appelle aussi au bon sens des fabricants. "Le prix de revient d'une espadrille se situe entre 2,5 et 4,5 euros. Si tout est fabriqué à Mauléon cela n'augmente le prix de revient que d'un euro. Avec le label, les consommateurs pourront choisir d'eux-mêmes. Et cela devrait attirer les autres fabricants", espère-t-il.
"Pas de cahiers des charges au rabais"
Selon l'élu, les IG seront plus sérieuses que le "made in France" qui est trop facilement détourné. Le dispositif décrit par le décret se veut en effet verrouillé. Pour pouvoir déposer une demande d'indication géographique, les entreprises ou artisans doivent se regrouper au sein d'une association appelée "organisme de défense et de gestion". Cet OGD est chargé d'élaborer un cahier des charges qu'il doit ensuite faire homologuer par l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). A noter que pour les indications géographiques protégées classiques, c'est l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) qui remplit ce rôle. Après avoir vérifié le contenu du cahier des charges et l'avoir notifié à la Commission européenne, puis mené une enquête publique de deux mois et consulté les collectivités territoriales ou encore les groupements de professionnels et associations de consommateurs, l'Inpi prendra la décision de labelliser ou non le produit. "L'indication géographique, une fois homologuée par l'Inpi, sera facilement repérable grâce à son logo. Elle sera protégée des contrefaçons et renforcera le potentiel à l'export de nos productions", a indiqué la secrétaire d'Etat chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'ESS, Carole Delga, mercredi 3 juin, lors du lancement officiel de ces IG. "Nous ne pouvons pas accepter de cahier des charges au rabais", a-t-elle souligné.
Environ 200 IG attendues à terme
Pour l'occasion, une poignée de produits ont été exposés à Bercy : porcelaine de Limoges, parapluies d'Aurillac, vases d'Anduze, textile des Vosges, bijoux en grenat de Perpignan, fauteuils de Liffol-le-Grand, dentelle de Calais, béret basque... La plupart d'entre eux devraient prochainement recevoir le précieux sésame. "Nous avons commencé à travailler avec certains professionnels, de nombreux cahiers des charges sont déjà constitués", a indiqué Carole Delga. Une dizaine d'ODG ont été constitués ou sont sur le point de l'être. A terme, "environ 200 produits ou ressources naturelles pourraient correspondre aux indications géographiques", a-t-elle précisé. Ce qui, selon Bercy, contribuera à "préserver les patrimoines artisanaux et industriels locaux et à redynamiser les territoires, en incitant à la relocalisation".
Après avoir inventé les indications géographiques dans le domaine viticole au début du XXe siècle, la France fait une nouvelle fois figure de pionnière. Elle voudrait voir son label reconnu au niveau européen. "Nous avons commencé à travailler avec le Parlement européen et la Commission pour une réflexion menée à l'échelle de l'Europe", a déclaré la secrétaire d'Etat, alors que ce type de protections existe dans certains pays mais que de manière très ponctuelle, comme la dentelle de Madère par exemple.
Eviter les "arrangements entre amis"
L'IG présente au moins trois vertus. Tout d'abord, elle protège de l'utilisation abusive de l'origine géographique. Deuxièmement, elle permet de "re-segmenter l'offre sur le marché national", indique-t-on au secrétariat d'Etat. L'un des exemples se pose avec le savon de Marseille. Les fabricants traditionnels de ce savon (réalisé avec des huiles végétales, sans graisse animale et autres parfums ou colorants) sont aujourd'hui confrontés à une concurrence déloyale. Il ne s'agit pas de reprendre des parts de marché aux industriels mais "de faire savoir facilement aux consommateurs qu'ils ont de la qualité entre les mains", poursuit la même source. Troisièmement, l'IG permettra une reconnaissance à l'international, notamment sur les marchés émergents, avec un label officiel. "Ce sera, pour l'importateur, la garantie qu'on ne viendra jamais l'attaquer pour contrefaçon et qu'il peut s'adresser à une clientèle haut de gamme par exemple."
Pour Michel Etchebest, l'une des clés de réussite des IG tient au contrôle, afin de s'assurer que le produit est bien fabriqué sur place et dans le respect de la qualité. C'est à l'ODG de veiller au respect du cahier des charges, de faire la police en son sein en quelque sorte. La répression des fraudes assurera aussi son contrôle avec des sanctions alourdies par la loi (300.000 euros d'amendes et deux ans de prison). Mais pour Michel Etchebest, il est difficile d'éviter "les arrangements entre amis ou entre membres d'une même famille". Le maire propose que les collectivités puissent être représentées au sein de l'ODG. Ce qui n'est pas prévu explicitement dans le décret. Cependant, dans la pratique, rien ne s'y oppose. "Certains ODG ont parfois mis en place plusieurs collèges : l'un pour les professionnels, le deuxième pour les fournisseurs et un troisième pour les acteurs intéressés par la démarche dont peuvent faire partie les collectivités", indique-t-on à Bercy. Ce schéma à trois collèges a notamment été mis en place pour la coutellerie de Thiers.
Droit d'alerte des collectivités
Le dispositif prévu par la loi Hamon ne sera complet qu'après la publication d'ici la fin de la semaine d'un second décret d'application sur la procédure d'alerte des collectivités. Les collectivités pourront en effet s'opposer à une demande d'enregistrement d'une marque qui porterait atteinte à leur nom. Pour ce faire, elles devront enregistrer sur le site de l'Inpi le nom pour lequel elles souhaitent être alertées. En cas de dépôt de marque correspondant à ce nom, l'Inpi leur adressera une alerte dans un délai de cinq jours. "L'affaire de Laguiole ne se reproduira pas. Chaque collectivité territoriale restera maître de son nom", a assuré la secrétaire d'Etat.