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Chômage - Les plans sociaux : l'arbre qui cache la forêt des licenciements

Les plans sociaux n'expliquent que pour une faible part l'augmentation du taux de chômage qui atteint désormais les 10,4%. Au-delà des fins de CDD et des missions intérimaires, et de la hausse des liquidations, les ruptures conventionnelles poursuivent leur progresssion, avec une utilisation souvent détournée. Certains chercheurs mettent aussi en avant l'impact des restructurations publiques sur l'emploi en France.

Alors que le taux de chômage atteint désormais les 10,4%, avec une hausse de 0,3 point au premier trimestre 2013, selon les chiffres annoncés par l'Insee ce jeudi, l'attention se porte presque exclusivement sur les plans sociaux. Mais ces derniers n'expliquent que pour une faible part les résultats du chômage en France. D'ailleurs, selon les chiffres de la Dares (ministère du Travail), le nombre de plans de sauvegarde  de l'emploi (PSE) a diminué en 2012, avec 909 plans contre 950 en 2011. En revanche, les PSE qui concernent plus de 50 salariés progressent. Leur nombre a ainsi augmenté de 14% en 2012, soit 308 contre 270 en 2011.
"Le plus gros des PSE a été mis en oeuvre durant la crise, explique Thierry Million, responsable des études d'Altares, cabinet spécialisé dans le secteur de l'information des entreprises. En revanche, certaines entreprises n'ont pas opéré suffisamment de réduction d'effectifs et ont maintenant une capacité de production bien plus élevée que la demande. Pour autant, elles espèrent un redressement, peut-être pas en 2013 mais en 2014, et prendre la décision aujourd'hui de mettre en place un PSE, ce serait se priver d'une capacité de réaction en cas de reprise. A la fin du premier semestre 2013, les entreprises ne sont pas aussi inquiètes qu'il y a trois ans pour décider de lancer un PSE." D'autant que le coût des PSE est souvent rédhibitoire. "Cela coûte beaucoup aux entreprises, pour un retournement de conjoncture très incertain", précise Thierry Million. Du coup, ce sont surtout les grands groupes qui y ont recours. 
Aussi traumatisants soient-ils sur le territoire concerné, les PSE sont de surcroît dilués dans la masse des chiffres du chômage. "Ils ne représente que 5% des motifs d'entrée à Pôle emploi", assure Michel Abhervé, professeur associé à l'université de Paris Est Marne-la-Vallée. "L'essentiel des licenciements ou des inscriptions à Pôle emploi vient de fins de CDD, de fins de missions intérimaires", explique-t-il. Ainsi, après avoir reculé de 12,2% en 2012, l'emploi intérimaire est sur un rythme de baisse de 13,3% sur les quatre premiers mois de l'année 2013, d'après les données du baromètre Prisme Emploi. Et la dégradation est particulièrement forte dans le quart Nord-Est de la France.

Les ruptures conventionnelles : 16% des fins de CDI

Depuis plusieurs mois, l'attention se porte aussi sur une nouvelle forme de rupture de contrat : les ruptures conventionnelles, venues s'ajouter depuis 2008 à la démission et au licenciement comme rupture de CDI. Le succès ne s'est pas fait attendre. En 2012, elles ont atteint un record avec une moyenne de 28.400 homologations de l'administration par mois, soit un total de 320.000 ruptures : 11% de plus qu'en 2011. Les ruptures conventionnelles, qui reposent sur un accord amiable entre l'entreprise et son salarié, représentent aujourd'hui 16% des fins de CDI, avec un pic de 25% chez les salariés de 58 à 60 ans, selon une étude récente de la Dares. Ce qui a amené le minstère du Travail, mais aussi des chercheurs du Centre d'études de l'emploi (CEE), à s'interroger sur les détournements possibles de ce dispositif. De fait, certains employeurs l'utilisent pour se soustraire aux contraintes d'un PSE (priorité de réembauchage, limitation du recours au travail temporaire, justification sur les raisons des difficultés économiques...).
"Ce dispositif est utilisé comme un moyen de ne pas entrer dans une procédure de PSE, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait un système de suivi au sein des Direccte concernant le nombre et le caractère répétitif, au sein des entreprises, de ces ruptures conventionnelles", fait observer Michel Abhervé. Sans ce suivi, il est difficile de repérer les entreprises qui se servent de ruptures conventionnelles à répétition pour réduire jusqu'à 15% leurs effectifs sur plusieurs années. De plus, rares sont les retours des salariés concernant des ruptures conventionnelles délicates. "Il doit y avoir un moment de tension entre l'employeur et le salarié mais rares sont les salariés qui au final disent qu'on leur a forcé la main. Ils sont plutôt contents de ne plus travailler dans ce contexte de tension, et de voir le bout du processus arriver. De plus, ils ont été préparés à leur départ", souligne Michel Abhervé. Cependant, la Cour de cassation doit se prononcer prochainement sur plusieurs recours portant sur des ruptures conventionnelles ayant été conclues alors qu'il y avait un litige entre les employeurs poursuivis et leurs salariés. La jurisprudence pourrait alors freiner le phénomène...

Impact des restructurations publiques

D'autres tendances permettent d'expliquer la montée du chômage : les cas de redressement ou de liquidation judiciaire et le statut des autoentrepreneurs. Mais peu de données sont disponibles. "Les liquidations ont beaucoup augmenté chez les entreprises de taille intermédiaire (ETI) notamment, et les autoentrepreneurs font de la concurrence en particulier dans le domaine du bâtiment", explique ainsi Géraud de Montille, consultant chez France Industrie et Emploi (FIE), qui a publié le 23 mai une étude sur les créations et destructions d'emploi en 2012 (voir encadré ci-dessous). Mais la réforme prévue par le gouvernement, avec une limitation dans le temps pour les activités dites "tremplin" pourrait être à double tranchant. "Malgré des volontés parfaitement louables d'accompagner, de contrôler et de faire grandir", la ministre de l'Artisanat "va faire le plus grand plan social de l'histoire en renvoyant à Pôle emploi des gens qui s'auto-licencient et qui ont créé leur auto-boulot", a mis en garde le président de la Fédération des autoentrepreneur, jeudi, sur RTL, alors Sylvia Pinel devait recevoir ce jour l'ensemble des representants des autoentrepreneurs pour finaliser son projet.
Enfin, les restructurations publiques ont leur part dans l'effondrement de l'emploi. C'est en tout cas la thèse soutenue par FIE. "Au-delà des aspects cycliques que l'on peut observer, notamment en matière de PSE, l'impact des restructurations publiques pour les territoires est sous-estimé et sous-évalué", assure Géraud de Montille. Les fermetures de maternités, de tribunaux, et les restructurations dans le domaine de la Défense, font partie du lot. "Ces restructurations participent à l'effondrement de l'emploi", assure le responsable de FIE. Les suppressions de postes dans la Défense ont démarré en 2008, période durant laquelle Nicolas Sarkozy avait programmé la suppression de 54.000 postes dans l'armée sur la période 2008-2015. Le nouveau Livre blanc poursuit la baisse d'effectifs programmée tout en y ajoutant ces 24.000 postes sur les quatre années qui suivent…
Les perspectives pour 2013 ne sont pas très encourageantes. D'après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le taux de chômage devrait atteindre 11% et 11,2% fin 2014. La croissance économique en France restera négative en 2013, avant de redevenir légèrement positive (+0,8%) en 2014, estime l'organisation.

 Emilie Zapalski

Les destructions d'emplois en région

D'après l'étude de France Industrie et Emploi (FIE), publiée le 23 mai 2013, le nombre de projets destructeurs d'emploi (fermetures de site, restructurations, réorganisations d'offre, plans sociaux...) a augmenté de 76% en 2012, avec 1.482 projets, après un ralentissement en 2010 et 2011.
En conséquence, le nombre de destructions d'emplois progresse fortement (+ 189%) pour atteindre 99.689. Et les créations d'emploi (+ 30%, à 65.621) ne compensent pas les destructions. Aucune région n'est épargnée, "ce qui traduit notamment l'étendue de la crise au niveau national", affirme l'étude. De plus, par rapport à 2011, il y a une dégradation plus généralisée pour les régions situées à l'ouest (Bretagne, Haute et Basse-Normandie, Poitou-Charentes, Aquitaine…) et au sud du pays (Midi-Pyrénées). Deux tendances peuvent être observées : les régions les plus riches qui subissent le plus grand nombre de pertes d'emplois (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais), et les régions les plus industrialisées qui souffrent davantage de la crise (Nord-Pas-de-Calais, Franche-Comté, Lorraine, Champagne-Ardenne).
Les régions qui créent le plus d'emplois sont les suivantes : Ile-de-France, Pays-de-la-Loire, Nord-Pas-de-Calais, Basse-Normandie et Picardie.
Par ailleurs, l'étude montre que les régions les plus dynamiques sont celles structurées autour de grandes métropoles ou aires urbaines. Il s'agit ainsi du Grand Lyon, de Marseille, de Nantes-Saint-Nazaire, de Lille-Métropole et de Toulouse. En revanche, ce dynamisme ne profite pas systématiquement aux bassins d'emplois périphériques.
E.Z.