Accès aux soins - Les pharmaciens vont bien, mais les pharmacies ferment
Comme chaque année, le conseil national de l'Ordre des pharmaciens (Cnop) publie son étude sur la démographie de la profession. Un enjeu important, car la présence d'une pharmacie conditionne bien souvent la dynamique d'un village en zone rurale, au même titre que le bureau de poste, l'école ou les commerces de base. Sur ce point, cette nouvelle édition, qui porte sur les chiffres au 1er janvier 2016, présente un certain nombre de paradoxes.
Les fermetures d'officine se sont accélérées en 2015
L'étude du Cnop porte naturellement sur l'ensemble de l'activité des pharmaciens, qui est bien loin de se résumer aux seules pharmacies d'officine, mais englobe également les pharmaciens biologistes, ceux de l'industrie, des établissements de santé, de la distribution...
Le premier enseignement, vu du côté de l'aménagement du territoire, reste toutefois le recul du nombre de pharmacies d'officine. Celui-ci n'a rien d'une nouveauté, puisqu'il est à l'œuvre depuis 2010 (voir nos articles ci-contre du 8 juin 2011, du 14 juin 2012 ou du 5 décembre 2014). Depuis 2010, on recense ainsi 810 fermetures de pharmacies, pour aboutir à un total de 22.221 en 2015 (21.591 en métropole et 630 outre-mer).
L'inquiétant réside plutôt dans l'accélération du mouvement : avec 181 fermetures en 2015, le chiffre est en hausse de 47% par rapport à 2014. Pour marquer les esprits, le Cnop indique que ce chiffre correspond à une fermeture de pharmacie tous les deux jours. En termes de couverture, le Cnop se veut plutôt optimiste, en affirmant que "le maillage territorial de proximité reste toujours harmonieux, avec 3.943 officines dans les communes de moins de 2.000 habitants et 3.651 dans les communes de 2.000 à 5.000 habitants".
Les départements ruraux sont les plus touchés
Cette affirmation semble toutefois un peu optimiste au vu du rapport lui-même. Les dix départements les plus touchés en 2015 par les fermetures - en pourcentage du nombre d'officines présentes - sont en effet tous des territoires à dominante rurale : Corrèze (-3,6%), Orne (-3,0%), Haute-Marne (-2,9%), Puy-de-Dôme (-2,7%), Gers (-2,6%), Allier (-2,5%), Vienne (-2,5%), Sarthe (-2,1%), Charente (-2,1%) et Jura (-2,0%).
Si l'on raisonne par régions, Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et Auvergne-Rhône-Alpes concentrent près du quart des fermetures intervenues depuis 2010 (avec chacune 96 pharmacies fermées). Elles arrivent aussi en tête des fermetures 2015, juste après l'Ile-de-France. A l'inverse, la région Paca n'a perdu que 15 pharmacies depuis 2010 et la région Grand Est 32. Pour autant, le Cnop considère toutefois que "l'accélération en 2015 du nombre de fermetures ne crée toujours pas de désert pharmaceutique", la très grande majorité de la population restant située à moins de dix kilomètres d'une officine.
Pourquoi ce désintérêt pour l'officine ?
Le paradoxe est que la profession de pharmacien se porte sensiblement mieux que les pharmacies d'officine. Ainsi, le nombre de pharmaciens continue de progresser, même si c'est de façon modeste (+0,35% en 2015). La compensation des entrées et des sorties fait que l'âge moyen se maintient autour de 46,6 ans, les titulaires de pharmacies d'officine affichant toutefois une moyenne d'âge de 50 ans.
En revanche, le nombre de pharmaciens âgés de 66 ans et plus - autrement dit ayant nettement dépassé l'âge de la retraite - a plus que doublé en dix ans, pour atteindre 2.347 l'an dernier. De même, le Cnop estime qu'environ 21.000 pharmaciens aujourd'hui âgés de 56 ans et plus devraient partir en retraite dans les prochaines années (tous modes d'exercice confondus).
Dans ce contexte plutôt favorable, comment expliquer le recul du nombre d'officines et la perte d'attractivité de cet aspect de la profession ? Pour Isabelle Adenot, la présidente du Cnop, la réponse est simple : "On ne peut pas reprocher aux jeunes de se détourner d'une filière quand ils ne savent pas où va leur avenir ! Quelles bonnes pratiques ? Quelles nouvelles prestations ? Quelles modalités d'association ? Quelles règles d'implantation territoriale ? [...]".
Et la présidente de l'Ordre de préciser sa pensée en visant directement le ministère de la Santé : "Les retards de publications des textes qui concernent la filière officinale freinent les initiatives qui rendraient pourtant des services incontestables à la population française. Les pharmaciens d'officine ne peuvent plus attendre. Lasse de demander, j'ai décidé de faire délibérer le conseil national pour user des voies de recours si les choses n'avancent pas très rapidement".