Les petites villes veulent capitaliser sur l’après-Covid

Réunis pour leurs 24es assises à Dinan, les 15 et 16 septembre, les maires de petites villes demandent au gouvernement de renouer avec une politique d’aménagement "beaucoup plus ambitieuse". Si l’urgence est à la crise énergétique et à la situation financière, avec le risque d’un "blackout territorial", il s’agit aussi de maintenir le cap du regain d’attractivité des petites villes observé depuis la crise sanitaire, notamment grâce à l'appui du programme Petites Villes de demain.

"Nous en avons rêvé, vous l’avez fait." Il y a un an, à l’aune du lancement du programme Petites villes de demain (PVD), le président de l’Association des petites villes de France (APVF) Christophe Bouillon ne cachait pas sa satisfaction. Le tout dans un contexte de regain d’intérêt des Français pour les petites communes ou les villes moyennes après les confinements successifs. L’ambiance n’est aujourd'hui plus tout à fait la même. Dans une résolution adoptée à la fin de leurs 24es assises, organisées à Dinan (Côtes-d’Armor), les 15 et 16 septembre, les maires de ces communes de 2.500 à 20.000 habitants "manifestent leur volonté de ne pas être oubliées dans les projets de réformes en préparation". Même si, comme Christophe Bouillon l’a souligné en ouverture de ces assises, la constitution d’un "pôle collectivités" au sein du gouvernement, autour de Christophe Béchu et Caroline Cayeux, anciens maires d’Angers et de Beauvais, est un signal positif. Mais "dans un contexte anxiogène marqué par la guerre en Ukraine, la crise climatique et les tensions inflationnistes, qui ont des répercussions importantes sur les budgets locaux et la gestion des collectivités", ils ont le sentiment que le gouvernement n’a pas pris la mesure de la gravité de la situation. Christophe Bouillon a même brandi le risque d’un "blackout territorial" (voir notre article du 15 septembre 2022), expression reprise dans la résolution finale.

Ajouter un volet "industrie" à Petites Villes de demain

Avec la flambée des prix, les capacités d’autofinancement des collectivités pourraient bien s’effondrer. Il s’agirait de ne pas louper le coche du regain d’attractivité observé depuis deux ans. "Des petites villes nommées désir ?", tel était l’intitulé de ces assises. Un point d’interrogation lourd de sens. Dans leur résolution, les élus appellent le gouvernement à "changer de braquet", en particulier pour le programme de revitalisation PVD dont certains élus ont regretté le manque de financements (3 milliards d’euros sur six ans pour 1.644 communes). Rappelant que 70% des emplois industriels se situent dans les villes de moins de 20.000 habitants, l’APVF demande d’ajouter un volet "industrie" au programme. Christophe Bouillon a ainsi appelé à des "correspondances" entre PVD et les 146 Territoires d’industrie. À l’heure du lancement du grand plan d’investissement France 2030, les maires craignent d’être mis sur la touche. Harold Huwart, maire de Nogent-le-Rotrou, vice-président de l’APVF, a indiqué que 42% des aides du PIA (programme d’investissements d’avenir) s’étaient concentrées sur cinq départements, dont Paris. "Il ne faut pas reproduire cela avec France 2030. (…) On est dans une situation où les métropoles captent l’essentiel. Il y a d’un côté les collectivités qui auront du foncier immédiatement disponible et, de l’autre, celles qui, liées par le ZAN (zéro artificialisation nette, ndlr) auront du mal à avoir du foncier disponible, rateront les appels à projets", a-t-il mis en garde. Un message entendu par Dominique Faure, secrétaire d’État à la Ruralité. "Je serai de ceux qui, au gouvernement, vont s’assurer que l’industrie s’installe au moins à hauteur de 30% dans nos territoires ruraux", a-t-elle assuré. Pour ce qui est de PVD, elle invité les maires à "candidater" car "il reste de l’argent" (sur PVD, ndlr). Caroline Cayeux a annoncé de son côté vouloir missionner l’APVF pour réfléchir dès à présent à la deuxième phase du programme, après 2026. Alors que les petites communes craignent une profonde inéquité territoriale dans l’application du ZAN et d’être entravées dans leur développement, la ministre a rappelé que le gouvernement était dans l’attente d’une étude d’urbanisme pour revoir sa copie et mieux préciser les notions de grands chantiers d’intérêt national ou régional. Le chantier du Canal Seine Nord mobilise 2.200 hectares de terres agricoles, il va de soi que cette surface sera "déduite du potentiel aménageable de nos communes", a-t-elle pris pour exemple.

Petits flux, gros effets

Ces assises ont aussi été l’occasion de prendre la mesure exacte de cet "exode urbain" qui a fait les choux gras des magazines. "Nous n’avons pas vu des colonnes d’urbains venus poser leurs valises, a ironisé Christophe Bouillon, mais il y a malgré tout un regain d’intérêt (pour les petites villes)." C’est en effet un "mythe", "au sens d’un exode massif et qui signe en quelque sorte la mort des métropoles", a abondé lors d’une table-ronde Hélène Milet, responsable du programme Territoires au Popsu (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines). "La majorité des changements se font entre Paris et Lille, Paris-Marseille, Paris-Nantes et les métropoles entre elles", a affirmé la chercheuse qui a travaillé à partir des changements d’adresse enregistrés par La Poste. Toutefois, "il s’est passé quelque chose". Hélène Milet a ainsi observé "des petits flux" vers trois types de territoires : d’abord les petites villes et les villes moyennes qui confirment leur attractivité d'après-crise, puis les communes de couronnes, en périphérie des centres urbains et, enfin, les territoires ruraux qui continuent leur dynamique de renaissance. "Le covid a accentué des flux qui existaient déjà", en a-t-elle conclu. Mais ces soubresauts ne sont pas à négliger. "Quand une petit ville ou un bourg centre gagne 10 ménages, ça peut tout changer, ce sont des petits flux mais avec de grands effets potentiels."

"Une quête de sens spatial et territorial"

Co-auteur avec Jérôme Fourquet de la France sous nos yeux (Seuil, 2021), le journaliste Jean-Laurent Cassely a lui aussi pu constater un "basculement" depuis le Covid. Au moins dans "l'imaginaire" des Français. À la "quête de sens professionnel" qu’il avait déjà dépeinte dans un précédent ouvrage qui sera réédité ce mois-ci ("La Révolte des premiers de la classe"), est venue s'ajouter une "quête de sens spatial et territorial". Après la "vogue métropolitaine" des années 2010 (époque de l’opposition métropoles / France périphérique dénoncée par Christophe Guilluy), il constate "un intérêt accru pour les villes de second rang". "Il y a un désir, c’est vraiment ce qui correspond à ce qu’on me raconte", a-t-il témoigné. Mais ce désir répond aussi à une "raison bassement matérielle", un "phénomène de déclassement immobilier" : "On arrive à la fin du potentiel de gentrification des grandes villes, les jeunes générations sont obligées d’aller chercher des marchés de report." Entretemps, la France a découvert le télétravail. Avant le Covid, "personne ne se servait du logiciel Zoom" aujourd’hui répandu partout… Ces Français "recherchent un ailleurs géographique et peut-être symbolique".

Pour que "ce désir ne se transforme pas en mirage", les élus en appellent à une politique d’aménagement et de cohésion du territoire "beaucoup plus ambitieuse", une politique qui "s’attaque fortement à l’habitat indigne" et à la désertification médicale. L’association "réitère très fortement sa demande d’un système de régulation de l’installation des jeunes médecins, via la mise en place d’un conventionnement sélectif temporaire". "Dans les cinq ans, la situation va se dégrader considérablement", a alerté l’ancien président de l’APVF, Martin Malvy.

Aspirant à de nouvelles relations avec l'État, à des mesures plus fortes sur le front énergétique et financier (avec la demande d'une indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l'inflation), les élus relèvent, dans leur résolution, l'absence, pour la première fois en quatre ans, du chef du gouvernement à leurs assises. En sachant qu'Élisabeth Borne était au même moment à Vichy pour clore le congrès de Régions de France (voir notre article de ce jour). "Ne nous oubliez pas, agissez avec nous pour éviter le blackout territorial", a pu lancer Christophe Bouillon, jouant la carte de la "co-construction".