L'Association des maires de France déplore les "injonctions contradictoires" de l'Etat

Lors d'une conférence de presse de rentrée, le président de l'Association des maires de France (AMF), David Lisnard, et son premier vice-président délégué, André Laignel, se sont joints au concert des élus locaux qui fustigent plusieurs dispositions devant figurer dans le projet de loi de finances, dont la suppression de la CVAE. Ils se sont en outre étonnés des propos tenus la veille par Bruno Le Maire quant à un soutien différencié aux collectivités en fonction de leur "bonne gestion". Et estiment que le "bouclier tarifaire" devrait bénéficier à toutes les communes. Ils voient dans tout cela pas mal de contradictions... tout comme les maires sont selon eux quotidiennement confrontés à des incohérences "ubuesques".

Après France urbaine et Villes de France la veille, ce sont l'Association des maires de France et Intercommunalités de France que l'on a pu entendre ce 15 septembre à Paris, pendant que l'Association des petites villes de France ouvrait ses Assises à Dinan. Avec, pour toutes ces associations d'élus représentant le bloc local, une même mobilisation sur les dispositions finances locales du projet de loi de finances qui sera présenté dans une dizaine de jours… et, naturellement, une même inquiétude quant au contexte inflationniste du moment.

"Les collectivités ne sont concernées ni par la dette ni par le déficit"

Cette double actualité budgétaire n'a pas manqué d'occuper une large place lors de la conférence de presse de rentrée de l'Association des maires de France (AMF), que ce soit par la voix de son président, David Lisnard, ou celle de son premier vice-président délégué, André Laignel. L'enjeu étant tout bonnement pour les maires d'être encore en mesure d'"assurer la continuité du service public".

S'agissant du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, on le sait, l'AMF y voit au moins deux ou trois points de blocage majeurs. Tout d'abord, le refus du gouvernement d'indexer les dotations sur l'inflation. "Jusqu'au début des années 2000, la dotation globale de fonctionnement était automatiquement revalorisée sur la base de l'inflation et de la moitié de la croissance", avant que seule l'inflation soit prise en compte, rappelle David Lisnard. La "stabilité" aujourd'hui mise en avant par l'exécutif n'a donc rien d'un cadeau. Le sujet a d'ailleurs été abordé par l'AMF lorsque celle-ci a été reçue le 5 septembre à l'Elysée aux côtés de Régions de France et de Départements de France. "Nous avons échangé avec Emmanuel Macron sur cette nécessité d'une stabilité financière en euros constants", relate le maire de Cannes.

Dans le même temps, le projet de loi de programmation qui accompagnera cette année le PLF devrait prévoir une "contribution des collectivités au redressement des finances publiques" via une baisse de leurs dépenses de fonctionnement de 0,5%. Le principe même d'une "contribution" continue d'indigner l'AMF. "Dans la mesure où notre endettement est autofinancé et que nos budgets doivent être votés en équilibre, les collectivités ne sont concernées ni par la dette ni par le déficit", tranche André Laignel. En outre, comment imaginer un tel effort à l'heure où, inflation oblige, les collectivités sont moins que jamais "maîtres de l'évolution de leurs dépenses" ?

Et puis il y a la suppression de la CVAE. "Que cette suppression se fasse en une ou en deux fois, une mauvaise action reste une mauvaise action", redit le premier vice-président, en outre président du Comité des finances locales, mettant comme d'autres en avant le risque de "couper le lien entre les collectivités et le monde économique". "On nous dit 'réindustrialisez', or sans incitation à accueillir les entreprises, sans retour financier, quel intérêt ?", interroge-t-il. Alors "si vous ajoutez à cela le ZAN…". "La nécessité de relocaliser la production est une évidence pour décarboner et une évidence sociale. Mais pour cela, il faut du foncier", résume David Lisnard, pour qui "on ne peut pas le même jour nous nous dire de consommer moins de foncier et de faire venir des entreprises". Voilà selon lui l'une des innombrables "injonctions contradictoires" auxquelles les maires sont constamment confrontés.

Conditionner les aides aux collectivités à leur "bonne gestion" ?

Des contradictions – ou du moins des "problèmes d'ajustement" –, l'AMF en voit aussi dans les diverses déclarations gouvernementales qui se succèdent à bon rythme ces jours-ci. Ainsi, Elisabeth Borne a annoncé mercredi la prolongation en 2023 du bouclier tarifaire "pour tous les ménages, les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les plus petites communes". On rappellera que seules les communes bénéficiant des tarifs réglementés sont concernées par le bouclier. Et que seules les communes comptant moins de 10 agents et moins de 2 millions d'euros de recettes de fonctionnement bénéficient toujours de ces tarifs réglementés. Soit, selon l'AMF, un total de 30.000 communes. André Laignel commente : "Je me réjouis que la situation de ces 30.000 communes soit ainsi prise en compte. Sauf que ce sont précisément les 5.000 autres qui portent les services publics et tous les équipements générant d'importantes factures énergétiques. J'y vois donc une annonce à grand bruit et à bas coût. Nous demandons la même chose pour toutes les communes." Le gouvernement qui, par la voix des ministres Béchu, Cayeux et Attal, a rencontré une délégation de l'AMF mercredi, aurait d'ores et déjà dit non.

Toujours mercredi, il y a aussi eu les déclarations de Bruno Le Maire devant la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. "On ne peut pas traiter toutes les collectivités de la même façon : vous avez des collectivités qui s'en sortent bien, d'autres qui sont en grande difficulté", a considéré le ministre de l'Economie, poursuivant : "Vous avez aussi des collectivités bien gérées, et d'autres qui sont moins bien gérées. Quand je vois des collectivités qui ont embauché massivement et qui viennent ensuite demander à l'Etat, parce qu'elles ne peuvent pas faire face à des factures énergétiques, de payer à la place des collectivités, ça peut poser une difficulté. Il est bon, vis-à-vis du contribuable, de s'assurer du sens des responsabilités des collectivités locales. Dans ce cadre-là, nous sommes prêts à aider toutes celles qui font face à des difficultés majeures, qui ont bien géré et n'ont aucune raison de payer pour la crise énergétique actuelle". Conditionner les aides aux collectivités à leur "bonne gestion" ? David Lisnard juge cela "très inconvenant". Et, là encore, "très contradictoire" par rapport à la logique du "filet de sécurité" voté cet été dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative, qui privilégiait les collectivités n'ayant pas réussi à maintenir leur capacité d'autofinancement.

Le président de l'AMF rappelle en outre que bien au-delà de quelques possibles cas de "sureffectifs", l'augmentation de la masse salariale d'une commune est souvent tout simplement liée à une dynamique démographique (qui dit nouveaux habitants dit par exemple ouverture d'une nouvelle école, donc recrutement d'agents tels que les Atsem) ou encore à la nécessité de palier aux carences des services de l'Etat.

Un "livre noir des absurdités"

C'est également dans le quotidien des maires que David Lisnard perçoit de multiples "injonctions contradictoires ubuesques". "Tous les maires en témoignent", assure-t-il, faisant part d'une "envie de publier le livre noir de ces absurdités" – ou, plus sérieusement, "par des retours d'expériences, de les dénoncer et de proposer des améliorations, dans une démarche très volontariste de lutte contre la bureaucratie". "Tout est devenu plus compliqué. Du fait d'une suradministratisation, d'une surschématisation, mener à bien un projet demande beaucoup plus de temps, nécessite une ingénierie juridico-administrative…". Et pour lui, difficile par exemple de comprendre qu'un maire ne puisse "s'opposer à l'implantation d'éoliennes dès lors qu'un propriétaire s'est mis d'accord avec un opérateur" alors même qu'on refuse à ce même maire "l'installation de panneaux solaires sur un local poubelles".

De son souhait que "l'Etat nous laisse bosser et s'occupe du régalien", le président de l'AMF en a fait part à Emmanuel Macron le 5 septembre lors du rendez-vous pré-Conseil national de la refondation ("2h30 de discussions franches", hors micro). Le chef de l'Etat se serait engagé à avoir de tels échanges directs avec les trois associations de Territoires Unis "au moins deux fois par an". Dont "un rendez-vous prévu en janvier pour parler de décentralisation". Quelques "grands principes" ont déjà évoqués, dont celui de transferts de compétences dans les domaines de la santé et du social. "Le président de la République est allé assez loin dans la validation de cela", dit David Lisnard. Autre attente des élus : "un transfert de capacité réglementaire d'application des lois". Et un corolaire : "un nouvel acte de déconcentration" apte à répondre à "l'échec de la régionalisation et de l'agenciarisation de l'Etat".

Tout comme ils ont apprécié cette entrevue élyséenne, les deux dirigeants de l'AMF se félicitent que le gouvernement Borne, probablement poussé par le "contexte politique nouveau" lié à l'absence de majorité absolue à l'Assemblée, ait engagé des temps de consultation avec les associations d'élus locaux. "C'est un immense progrès", reconnaît André Laignel, tout en nuançant immédiatement les choses : "Il y a une évolution au niveau du discours concernant les collectivités. Mais il faut distinguer le ton et le fond qui, à l'image de ce projet de loi de finances, ne semble pas aller dans le sens d'une amélioration des relations Etat-collectivités". Encore une forme de contradiction en somme.

 

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