Crise énergétique : quelles conséquences sur les budgets des territoires urbains ?

L'inflation pourrait amputer nettement les marges de manoeuvre de certaines collectivités situées dans les agglomérations de plus de 150.000 habitants, s'alarment les élus de France urbaine. Ils ont commenté, ce 14 septembre, la septième édition du "Portrait financier des territoires urbains", réalisée par la Banque postale. Désireux de préserver les investissements notamment en faveur de la transition écologique, les édiles ont prôné la mise en place d'un bouclier tarifaire dédié aux collectivités.

Alors qu'ils préparent leurs budgets pour 2023, les élus des territoires urbains (c'est-à-dire les intercommunalités de plus de 150.000 habitants et leurs communes, soit un ensemble géographique réunissant 46% de la population de France métropolitaine) s'inquiètent des conséquences de la hausse des coûts de l'énergie. Plusieurs grandes villes devraient accuser une hausse voisine de 100 euros par habitant, s'alarme France urbaine, l'association qui les représente. La facture pourrait donc être parfois plus lourde que celle générée par la première année de la crise liée au Covid-19. 

Cumulée à la hausse du point d'indice de la fonction publique au 1er juillet 2022 et à l'envolée des prix des produits alimentaires, l'explosion des coûts de l'énergie pourrait déjà être ressentie brutalement en 2022 dans les comptes de certaines communes situées dans les agglomérations urbaines. Sur les 2.875 communes qui composent ces territoires, 88 (soit 3%) pourraient voir leurs marges de manoeuvre budgétaires totalement absorbées cette année, du fait de ce cocktail explosif. Selon les experts de la Banque postale, qui présentaient à la presse, ce 14 septembre, la septième édition du "Portrait financier des territoires urbains", les communes concernées seraient donc caractérisées par "une épargne brute négative". 

980 autres communes (35%) pourraient subir une réduction significative de leur capacité d'autofinancement, comprise entre 20% et 100%. Pour un peu moins de 5% d'entre elles, l'inflexion dépasserait la barre des 50%. 

Économies d'énergie

Dans ces conditions, une minorité des communes qui composent les territoires urbains, seraient éligibles au filet de protection que la loi de finances rectificative pour 2022 a mis en place (pour cette année seulement), afin d'aider les collectivités les plus fragiles à faire face aux effets de l'inflation et de la hausse du point d'indice de la fonction publique. Du côté des intercommunalités, les entités éligibles seraient encore moins nombreuses, d'après les estimations.

"Des stratégies locales" sont donc "nécessaires" pour endiguer la hausse des charges courantes, a souligné le directeur des études de la Banque postale. Luc Alain Vervisch conseille de poursuivre la mise en place des politiques destinées à maîtriser les dépenses énergétiques, qui semblent porter leurs fruits. Dans les territoires urbains, ce type de dépenses a en effet progressé moins vite que les prix de l'énergie, entre 2017 et 2021.

Bon nombre de collectivités urbaines suivront sans doute cette voie. D'autant que beaucoup se sont refusées à augmenter cette année les taux de fiscalité. Sur les 1.015 communes comptant plus de 10.000 habitants et "des bases supérieures à 10 millions d'euros", seulement 10% ont ainsi relevé leur taux de foncier bâti - 3% le faisant au-delà de 10%. Les intercommunalités semblent de leur côté avoir moins souvent hésité à actionner le levier fiscal, selon cette étude complémentaire, qui a été réalisée - en partenariat avec le cabinet FSL - sur un panel restreint de groupements. 

Consolider l'épargne brute

Les élus urbains pourraient être finalement contraints d'ajuster à la baisse les investissements de leurs territoires. Mais une grande partie d'entre eux tendent à rejeter cette option, selon France urbaine. "Il n'est pas question de remettre en cause la masse globale des investissements", insiste Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la commission "finances" de l'association. Pour autant, il indique : "Nous revoyons nos PPI [plans de programmation des investissements, NDLR], nous effectuons des lissages, nous faisons quelques choix, des priorités." Une autre collectivité adhérente de France urbaine, dont l'identité n'a pas été dévoilée, n'envisage pas de "sacrifier l'investissement en matière de transition écologique" et compte donc augmenter le recours à l'endettement.

Les besoins de financement en matière de transition écologique se monte à quelque "12 milliards d'euros supplémentaires par an pendant plusieurs années", selon une étude de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) citée par France urbaine. Pour être au rendez-vous, les territoires urbains veulent pouvoir mobiliser leur capacité d'autofinancement et tentent donc de convaincre le gouvernement qu'il faut consolider celle-ci.

L'épargne brute des territoires urbains (communes et groupements) avait dévissé en 2020, du fait de la crise sanitaire. L'année suivante, elle a regagné du terrain pour égaler le montant atteint en 2019 (11,5 milliards d'euros). Toutefois, pénalisée par la reprise encore partielle des recettes tarifaires, l'épargne brute des communes est demeurée inférieure, en 2021, au niveau qui était le sien avant le déclenchement de la crise sanitaire (5,9 milliards, contre 6,1 milliards d'euros en 2019). 

Bouclier tarifaire

On notera que cette épargne a permis l'an dernier de financer le remboursement des emprunts et près d'un tiers des dépenses d'investissement des territoires urbains. Le reste de ces dépenses a été financé par l'emprunt (34%) et les recettes d'investissement (hors emprunts) à hauteur de 39%.

Le retour de marges de manoeuvre a été propice à une reprise l'an dernier de l'investissement des territoires urbains (18,3 milliards d'euros, soit + 5,6%). Mais, à relativiser - du fait de la hausse concomitante des prix du secteur du BTP - celle-ci a été insuffisante pour compenser la chute de l'investissement enregistrée l'année précédente.

Pour préserver l'investissement local dont ils disent faire leur priorité, les élus urbains réclament la mise en place d'un "dispositif s'apparentant à un bouclier tarifaire", permettant de protéger les "collectivités les plus impactées" sur le plan budgétaire par la crise énergétique, et cela "quand bien même leur solvabilité ne serait pas en danger". 

Le mécanisme serait évidemment coûteux pour le budget de l'État, mais en renonçant à supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), mesure à laquelle les élus urbains ont redit leur hostilité, le gouvernement pourrait trouver les moyens de le financer.

En complément, les élus urbains demandent que le fonds vert, dont la création a été annoncée fin août, soit ciblé sur les "besoins structurants", qu'il s'agisse de la "rénovation thermique des copropriétés" ou de l'achat de "bus à hydrogène", comme l'a expliqué François Rebsamen, maire de Dijon et, lui aussi, président de la commission "finances" de France urbaine. Les collectivités savent déjà comment "lutter contre les îlots de chaleur et replanter des arbres", a-t-il ajouté. "On a besoin de l'État sur de vrais plans stratégiques", a appuyé son collègue Arnaud Robinet.