Aménagement numérique - Les enjeux du très haut débit pour les métropoles françaises

"Faut-il y aller ou pas, comment agir et sinon comment ne rien faire ?", s'est interrogé Olivier Landel, délégué général de l'Association des communautés urbaines de France (Acuf) à propos du déploiement de la fibre. En 2010, en réponse aux très nombreuses questions des grandes agglomérations quant aux modalités et aux conséquences du déploiement des infrastructures à très haut débit (THD) sur leur territoire, l'Acuf a lancé un appel à consultation afin de restituer les divers avis sur le sujet. Résultat : 17 contributions d'experts des télécoms rassemblées dans un ouvrage dont la diffusion démarre, ces 13 et 14 octobre, à l'occasion des 38es journées des communautés urbaines à Toulouse. Au sommaire de ces 150 pages disponibles sur papier ou en PDF : la présentation du contexte du FTTx (fibre jusqu'au domicile, à l'immeuble, etc.) en France et dans le monde, les raisons et les méthodes pour déployer, le rôle pour les agglomérations et les enjeux d’avenir du THD. En avant-première, l'Acuf et l'association "Les Interconnectés" ont réuni, fin septembre, quelques-uns des contributeurs de l'ouvrage. Objectifs : aider les élus et les décideurs des collectivités à mesurer l'état d'équipement des territoires en THD, anticiper l'avancement des projets de déploiement de la fibre, analyser les nouveaux usages numériques et intégrer cette nouvelle perspective dans les schémas de développement métropolitain.

Eviter les mites et les taches de léopard du déploiement

Roland Mortagne, consultant de l'Idate, a rappelé les deux variables clés des coûts de déploiement, à savoir : la densité de population d'une part, et le nombre de logements dans les immeubles, d'autre part. Il a également souligné deux défis : l'importance de la fibre face à la saturation des réseaux mobiles et le manque d'appétence actuel des consommateurs français face à la fiabilité de l'ADSL (le ratio du nombre d'abonnés par rapport au nombre de foyers raccordables à la fibre est seulement de 6% contre 37% au Japon ou aux USA). Pour Patrick Vuitton, délégué général de l'Avicca, association de collectivités leader du domaine : "Le THD devient le standard. Les élus locaux sont interpellés à ce sujet par les geeks (ndlr : fan de TIC), quelques entreprises qui s'interrogent sur l'opportunité de délocaliser mais, à terme, ils le seront pas tous les habitants d'un territoire. Le problème c'est de s'interroger sur les annonces des opérateurs quand ils disent couvrir 90% de la population. Sur une agglomération, les écarts de coût à la prise vont de 1 à 10 en raisonnant par plaque. Résultat, les opérateurs vont fibrer certaines communes et pas d'autres, certains quartiers et pas d'autres (pavillonnaires, notamment), certains immeubles et pas d'autres (ceux de moins de 12 logements…). C'est un peu la fibre jusqu'au communiqué de presse !" Pour Nicolas Potier, du cabinet de consultants Tactis, "à l'horizon de 5 à 10 ans, toutes les communautés urbaines seront concernées, ce sera un problème politique majeur : les quartiers centraux seront desservis et au sein de ses zones, il y aura des fissures". Les collectivités devraient donc définir leurs objectifs et surveiller dans le détail les déploiements pour éviter d'avoir des zones mitées ou en tache de léopard. Les communautés urbaines ont en effet une réalité géographique : elles comptent toutes à la fois des zones 1 (denses), 2 (intermédiaires) et 3 (peu denses), au sens de la dénomination de l'Autorité de régulation (Arcep).

Dialogue musclé

Le minimum, pour les décideurs locaux, est donc d'engager la concertation avec les opérateurs pour savoir ce qu'ils vont faire et dans quels délais. Mais comment agir face à "un gigolo (ndlr : Free) et trois veuves de guerre (ndlr : les opérateurs Orange, SFR et Numéricable) qui vivent de leurs rentes de situation ?", selon l'expression imagée du consultant atypique Pascal Perez. "Il y a deux philosophies : soit rester dans l'attentisme en facilitant le passage des fourreaux, la montée en débit… soit être volontariste et définir un plan global en hiérarchisant les besoins : pour les entreprises, pour les logements sociaux, etc. Mais piloter un projet demande 4 à 5 années de préparation, alors mieux vaut partir avant 2015 !", a convaincu Nicolas Potier. Les communautés urbaines d'Arras ou de Nantes ont d'ailleurs témoigné de l'impact économique de leurs réseaux d'initiative publique (RIP). "Il faut un dialogue musclé avec les opérateurs et bien connaître son territoire. Il est vrai qu'il ne s'agit d'une compétence obligatoire ni pour la commune, ni pour le département, ni pour la région, d'où l'importance des schémas directeurs d'aménagement numérique des territoires (SDTAN), comme outils de compréhension, d'échanges et surtout comme clé du financement de l'Etat", a insisté Patrick Vuitton. Il se murmurait d'ailleurs que les SDTAN, aujourd'hui au nombre d'une vingtaine, pourraient devenir des documents obligatoires. "Il faut articuler le niveau territorial, avec le programme national THD dans un contexte économique international car les opérateurs télécoms ne sont pas des acteurs locaux", a conclu Olivier Landel pour l'Acuf.

Lors des prochaines journées de l'association, Céline Colucci, déléguée générale des "Interconnectés", devrait animer un atelier sur "La ville numérique : le déploiement du très haut débit", ce 14 octobre au matin. Pour que les 16 communautés urbaines membres de l'Acuf puissent décider, en toute connaissance de cause, s'il est urgent d'agir ou de ne rien faire !

 

Luc Derriano / EVS