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Développement des territoires - Les élus ruraux inquiets à l'approche des élections

La visite de Cécile Duflot dans les terres du président de l'AMRF, Vanik Berberian, vendredi 6 décembre, a permis de "donner de l'espoir" mais n'a pas éclairé le contenu du "pacte rural" du gouvernement. Comme la mission Nouvelles Ruralités de l'ADF, Vanik Berberian constate une montée des exaspérations en milieu rural, qui pourrait se traduire dans les urnes lors des futures élections.

Une visite qui n'apporte rien sur le fond mais qui "crée de l'espoir". Voilà le sentiment du président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et maire de Gargilesse (Indre), Vanik Berberian, suite à la visite dans ses terres de Cécile Duflot, vendredi 6 décembre. Une visite de courtoisie qui se voulait avant tout pédagogique. Après l'annonce d'un pacte pour la Bretagne doté de deux milliards d'euros, la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement est venue détailler les mesures du "pacte rural" annoncé par le Premier ministre lors du Congrès des maires, le 19 novembre : des pistes pour la mutualisation des services, à travers le financement de 1.000 maisons de services au public, et des actions en faveur de la revitalisation des centres bourgs. Une enveloppe annuelle de 30 millions d'euros leur sera dédiée. L'idée d'un pacte rural présenté au lendemain de vifs échanges sur la ruralité au Sénat a manifestement été inspirée du "pacte pour la ruralité" québécois présenté lors de ce même Congrès des maires.
"Nous ne faisons pas de procès d'intention a priori. C'est un bon début, mais il faut que ces mesures se concrétisent très rapidement", s'impatiente cependant le maire de Gargilesse qui a rappelé à la ministre que la priorité des priorités du monde rural est le déploiement du numérique. "Les activités vont là où il y a du très haut débit […]. Il faut arrêter de voir les territoires ruraux comme des maires qui pleurnichent, ce sont des espaces de développement, on ne peut pas continuer à organiser l'aménagement du territoire en concentrant les activités sur les pôles urbains", plaide-t-il. Vanik Berberian préfère parler d'"équilibre des territoires" plutôt que d'"égalité des territoires", terme qui, d'ailleurs, avait été inventé par les maires de banlieue.

Un "printemps des territoires" ?

La politique gouvernementale en faveur des territoires ruraux met du temps à se dessiner, alors que la crise bretonne a révélé la fragilité du monde rural face aux métropoles dans la mondialisation. Ce que le géographe Christophe Guilluy s'échine à démontrer depuis plusieurs années maintenant. Au-delà de ce pacte rural dont les contours restent flous, la politique d'égalité des territoires se traduira par un volet essentiellement consacré à l'ingénierie territoriale et à l'accès aux services publics dans projet de loi "de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi, et de promotion de l'égalité des territoires" attendu au Sénat au mois de janvier. Le texte vient renforcer la place du département dans ces domaines. Mais ces dernières semaines, plusieurs voix se sont élevées pour demander une véritable loi de programmation : le Cese, le sénateur socialiste de la Lozère Alain Bertrand et, à présent, la mission Nouvelles Ruralités de l'Assemblée des départements de France (ADF). Cette mission avait été installée à l'initiative des présidents des départements de l'Allier, de la Creuse, du Cher et de la Nièvre. Aujourd'hui, 31 départements l'ont rejointe. Dans son rapport adopté mardi dernier par le bureau de l'ADF, la mission préconise aussi, parmi 25 propositions, la création d'un ministère de la Ruralité au même titre qu'il existe un ministère de la Ville. Cette proposition avait déjà été formulée l'an dernier par un collectif d'associations d'élus et représentatives du monde rural. Elle aurait au moins le mérite de clarifier les portefeuilles ministériels. Car selon nos sources, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, s'apprêterait à lancer son propre programme : un "printemps des territoires" qui s'intéresserait à quatre ou cinq grands thèmes, l'agriculture, mais aussi la formation ou le très haut débit…

"Montée du vote extrême"

Comme le président de l'AMRF, la mission de l'ADF défend plus généralement un nouveau développement pour la ruralité et de ne plus la regarder comme un "espace résiduel" condamné au vide et au désert. Ce qui passerait par une autre relation avec les métropoles, une "fertilisation croisée", c'est-à-dire la recherche d'un nouvel équilibre avec le renforcement des petites et moyennes villes. On retrouve aussi dans ce rapport les deux axes du pacte rural : l'accès aux services et la revitalisation des centres-bourgs, avec la restauration du bâti ancien… La mission propose de rendre prescriptifs les futurs schémas départementaux d'accès aux services publics et, d'ici là, d'imposer un moratoire de trois ans sur l'emploi public dans les territoires. En matière économique, la mission encourage les circuits courts, l'économie sociale et solidaire, les pépinières de jeunes agriculteurs, le déploiement du numérique… Elle se préoccupe aussi de l'étalement urbain et de l'ingénierie territoriale ; elle propose à ce titre la création d'agences d'urbanisme de la ruralité. Enfin, comme le président de l'AMRF, l'ADF plaide pour un allègement des normes en milieu rural.
Plusieurs de ces propositions pourraient être défendues par voie d'amendements lors de l'examen du deuxième volet de la réforme de la décentralisation qui sera débattu à partir du mois de janvier au Sénat.
Vanik Berberian fait siennes nombre de ces préconisations mais dit ne "plus se contenter de paroles". Le président de l'AMRF se souvient des rivalités stériles gauche-droite entre le "bouclier rural" et le "plan Marshal de la ruralité" sous le précédent quinquennat. "Ce sont deux concepts assez cousins qui se sont opposés sans qu'on n'en voie jamais rien sortir", ironise-t-il. Selon lui, le "coup de grâce" pour les territoires ruraux a été la réforme des rythmes scolaires. "Même si c'est une nécessité, la manière dont le ministre de l'Education s'y est pris est une erreur, c'était plus que maladroit", juge-t-il. Pour Vanik Berberian, "il y a urgence". "Les maires ruraux sont un thermomètre. Les territoires ruraux doivent être mieux considérés. On voit des phénomènes de lassitudes. Certains ont envie de donner un coup de pied dans la fourmilière", pronostique-t-il à l'approche des élections municipales et, surtout, européennes.
Le maire de Gargilesse est là encore en phase avec la mission sur les Nouvelles Ruralités pour qui "la République a parfois oublié le rural". Inquiète de "la montée du vote extrême" dans le "périurbain" et au sein des campagnes, l'ADF veut faire des nouvelles ruralités des "laboratoires de la démocratie locale" en agissant contre l'isolement et le sentiment de relégation des populations, en favorisant la démocratie participative… Mais pour Vanik Berberian, "il est sans doute déjà trop tard". "On attend que les promesses se concrétisent très rapidement, sinon on va s'en mordre les doigts."