Action économique - Les départements s'investissent dans l'économie sociale
"Les départements sont un peu comme Monsieur Jourdain... Ils ont longtemps fait de l'économie sociale sans le savoir !" Comme le rappelle Henri Arevalo, le vice-président du Réseau des territoires pour l'économie solidaire (RTES), les conseils généraux sont des partenaires de longue date des associations, ou des acteurs de l'insertion par l'activité économique. Forts de leurs compétences en action sociale et sanitaire, notamment, les départements attribuent ainsi un financement à 22% des associations françaises, comme a pu l'établir la chercheuse Viviane Tchernonog. Mais si leur engagement pour le secteur était jusqu'ici "implicite", Henri Arevalo sent aujourd'hui "un mouvement des départements en direction de l'économie sociale et solidaire (ESS)". Certes, "ils font d'abord la jonction par la question de l'insertion sociale. Mais tout notre travail est de les amener à avoir une vision plus large de l'ESS". Car ce secteur ne se limite pas aux associations d'aide à domicile, ou aux entreprises d'insertion : "Il est aussi, et avant tout, un projet de développement économique."
Epiceries solidaires
Désormais, six départements font ainsi partie des soixante-quatorze adhérents du RTES – d'abord la Dordogne, et depuis trois ans l'Oise, Paris, le Val-de-Marne, la Meurthe-et-Moselle et les Deux-Sèvres. "Un effet boule de neige", se réjouit Henri Arevalo. Bien sûr, leurs partenariats avec l'ESS peuvent encore servir directement leurs politiques sociales. Ainsi la Dordogne a-t-elle initié un réseau d'épiceries solidaires, organisées en société coopérative d'intérêt collectif (Scic). Ouverts à partir de 2010, les trois magasins actuels offrent des rabais pour les personnes recommandées par les services sociaux, s'approvisionnent auprès de jardins d'insertion, et embauchent des bénéficiaires de minima sociaux... Mais les politiques menées auprès de l'ESS peuvent aussi relever de l'action économique. L'Oise, par exemple, a présenté en novembre dernier un "schéma de développement à 5 ans de l'économie solidaire", qui vise, entre autres, un soutien aux coopératives d'activité et d'emploi, ou encore à l'agriculture raisonnée et bio... L'engagement peut enfin relever de l'aménagement du territoire : "Par leurs commandes publiques, les départements peuvent chercher à favoriser le développement d'une économie relocalisée", détaille Anne-Laure Federici, déléguée générale du RTES. Et les coopératives ou les associations, précisément, ne sont pas délocalisables...
Ces trois approches, naturellement, peuvent se compléter. La Meurthe-et-Moselle s'est ainsi dotée, après les dernières cantonales, d'un nouveau vice-président chargé tout à la fois de "l'insertion, de l'économie et de l'économie solidaire" ; et son titulaire, André Corzani, estime que "l'avenir du développement économique est à établir en lien étroit avec le développement territorial". Cette démarche, globale, ne manque évidemment pas d'ambition : "Nous avons décidé de passer à la vitesse supérieure, explique le vice-président, car l'ESS contient en germe l'affirmation d'un autre possible."
Des budgets de plus en plus contraints
Au-delà du RTES, du reste, bien d'autres départements s'investissent en faveur de cette économie qui "place l'humain avant le profit". Les Pyrénées-Orientales, par exemple, ont participé à la création d'un "pôle de développement de l'ESS", qui se propose de soutenir les projets des créateurs, repreneurs et responsables des entreprises solidaires locales. Quant à la Seine-et-Marne, elle est notamment devenue partenaire de la Chaire d'ESS de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, créée en 2010. Même les Hauts-de-Seine, fief des buildings de la Défense, se sont engagés en 2010 sur un effort budgétaire de 6 millions d'euros sur trois ans en faveur de l'ESS, ainsi que sur un objectif de clauses sociales dans 10% des marchés publics du département... Dorénavant, le conseil général dispose même d'un "conseil départemental de l'ESS", et d'un vice-président en charge de l'ESS – en la personne de Jean Sarkozy.
A l'instar des communes et des régions, les départements montrent donc, à leur tour, un intérêt de plus en plus vif pour l'économie solidaire. Il reste que "les conseils généraux ont des budgets de plus en plus contraints", comme le rappelle, à l'Assemblée des départements de France, le chargé de mission du pôle social Augustin Rossi. Dès lors, des politiques de soutien à l'ESS y sont "plus difficiles à mettre en place". Du Nord aux Bouches-du-Rhône, les élus, pour autant, semblent plus déterminés que jamais.