Aménagement numérique - Les départements pour un grand réseau mutualisé
"Avec les recettes du passé, est-il possible de construire aujourd'hui les infrastructures porteuses de l'attractivité et de l'innovation pour les territoires de demain ?", s'interroge Jean-Pierre Quignaux, chargé de mission sur les questions numériques à l'Assemblée des départements de France (ADF). Dans une motion adoptée par son bureau le 9 décembre, l'ADF se prononce en faveur d'une "nouvelle politique d'aménagement numérique du territoire ambitieuse et solidaire".
"En subordonnant l'initiative et l'investissement publics aux perspectives de rentabilité espérée par les opérateurs privés dans les zones rentables, et en permettant de superposer plusieurs réseaux nouveaux sur un même territoire, [le plan très haut débit du gouvernement] va induire un gaspillage des capacités d'investissement publiques et privées. Ce plan remet de plus en cause les politiques de réseau d'initiative publique des collectivités territoriales en n'accordant qu'un soutien limité à leurs projets dès lors qu'ils intégreraient des zones rentables. La rentabilité future de ces réseaux est préemptée aux profits des opérateurs privés sur la seule base de leur déclaration d'intention et sans même prévoir à l'avenir de dispositif d'évaluation de l'effectivité des engagements et de sanctions du non-respect de ces déclarations", motivent en préambule les élus départementaux. "Il faut donc changer de paradigme économique", explique Jean-Pierre Quignaux à Localtis. La motion de l'ADF propose sept mesures à mettre en oeuvre d'urgence pour permettre aux territoires de maintenir et renforcer leur attractivité en matière d'infrastructures à haut et très haut débit fixe et mobile.
Mission parlementaire d'évaluation
Il s'agit d'abord de créer une mission parlementaire pour redéfinir le rôle de France télécom. Outre une évaluation sur l'utilisation des 800 millions d'euros annuels dont l'opérateur historique bénéficie pour le renouvellement de sa boucle locale de cuivre, il faudrait "déterminer, dans le cadre d'un débat public, les avantages, les inconvénients et la faisabilité de la séparation fonctionnelle des activités d'opérateur et de la propriété du réseau".
Il s'agit ensuite de mettre en oeuvre une politique d'investissement plus volontariste. Les élus demandent au moins un milliard d'euros par an sur les quinze prochaines années "en élargissant à l'ensemble de l'économie le principe d'une contribution de solidarité numérique" et pas seulement en taxant les abonnements internet et mobile, les téléviseurs et les consoles de jeux, comme le préconise le rapport du sénateur Hervé Maurey. Ils demandent, en outre, que la gouvernance du financement public des investissements soit pour partie décentralisée dans un nouveau cadre de coopération entre les collectivités et l'Etat. Ils attendent par ailleurs une meilleure définition des notions de haut et très haut débit (THD), en s'alignant sur les objectifs de l'agenda numérique européen et en réintroduisant la notion de diffusion par voie hertzienne et donc d'attribution du dividende numérique. Pour eux, il faut même "positionner en 2020 tous les territoires français comme leaders mondiaux pour l'accès mobile à l'internet grâce aux technologies 4G/LTE [réseau mobile de quatrième génération, ndlr]".
Déploiement universel et rapide des réseaux numériques
Il s'agit aussi d'insister sur la mutualisation des infrastructures. Pour Yves Krattinger, sénateur de la Haute-Saône et président de la commission aménagement du territoire et NTIC de l'ADF, "c'est la constitution de très grandes plaques territoriales et l'attribution de concessions de très longue durée qui a permis la construction des autoroutes". Pour le THD, il faut donc trouver un modèle d'infrastructure neutre, ouverte et mutualisée sur une échelle géographique qui garantisse la couverture du territoire, la possibilité d'un investissement public et privé dans la durée, ainsi que la concurrence sur les services. "La mutualisation tarifaire entre zones denses et peu denses doit être recherchée dans le cadre d'une modification du code réglementaire et des notions de service d'intérêt économique général", souligne de surcroît la motion. Il s'agit enfin "que la problématique d'un service universel haut débit soit portée au niveau national et européen".
"Cette prise de position est d'abord à vocation politique mais elle propose des solutions juridiques et relève de questions techniques. De ce point de vue, elle rejoint logiquement celle de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), qui était d'abord technique mais qui aboutit à des solutions juridiques et des motivations politiques", conclut le chargé de mission de l'ADF. Ajoutée à la voix de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et en écho aux débats du dernier Congrès des maires, un consensus politique semble se dessiner sur un aménagement numérique des territoires allant davantage dans le sens de l'intérêt général et plus uniquement dans celui du seul intérêt économique. Le gouvernement pourra-t-il rester sourd aux propositions des élus locaux de tous bords sur un sujet stratégique porteur de croissance et de compétitivité ?