Les communs au service de la souveraineté numérique
La création de "communs numériques" est souvent évoquée comme une réponse à la toute puissance des Gafam. Si leur développement ne repose pas nécessairement sur la puissance publique, l’appui de l’Etat et des collectivités apparaît aujourd’hui indispensable pour consolider leur rôle dans la construction d’une souveraineté numérique.
Pour débattre du "numérique d'intérêt général" les organisateurs de "numériques en commun(s)" qui s'est tenu le 17 novembre 2020 avaient invité Valérie Peugeot dont les travaux de recherche ont largement contribué à populariser le concept de biens communs. Une notion venue du monde anglosaxon définie comme une ressource partagée "n’appartenant à personne" gérée par une communauté qui s’applique aussi aux ressources matérielles qu’immatérielles. "Les jardins partagés, les tiers lieux, les organismes fonciers solidaires, les semences, les logiciels libres ou encore les communautés en ligne sont autant de formes de communs. Toutes contribuent à créer un récit au moins aussi important que le nombre de communs", souligne-t-elle. Ces communs peuvent être le fruit d’initiatives privées comme la plupart des logiciels libres ou portés par la puissance publique comme l’open data. Les communs ne riment cependant pas toujours avec l’intérêt général. Les kit d’armes téléchargeables ou l’usage des logiciels libres pour bâtir des sites internet extrémistes ou complotistes en sont une illustration. C’est pourquoi les communs ont besoin de la puissance publique pour "orienter, faciliter, inciter ou encore les protéger".
Les infrastructures télécoms comme modèle
Les infrastructures télécoms seraient du reste la parfaite illustration de ces enjeux. "Les réseaux de télécommunications, construits à l’origine par la puissance publique sont des communs. C’est parce qu’ils ont été mis à la disposition de tous sans discrimination que les usages ont pu se développer" souligne le président de l’Arcep Sébastien Soriano. Et de constater aujourd’hui que le commun que représentait initialement internet est désormais menacé de "réappropriation" par les géants du numérique ou certains Etats. Le combat de l’autorité de la régulation pour "la neutralité du Net" s’inscrit ainsi directement dans la lutte contre le verrouillage des infrastructures numériques car "le marché ne se développe pas spontanément comme un commun". Le régulateur voudrait aujourd’hui que cette même logique s’applique aux services numériques et notamment aux grandes plateformes internet. Une régulation qui pourrait aussi bien concerner la lutte contre les "fake news" que l’exigence d’un numérique plus vert et moins énergivore. "La gestion sous forme de communs implique notamment que l’Etat et le régulateur n’agissent pas seuls. Il faut que les citoyens soient partie prenante de cette régulation" insiste Sébastien Soriano.
L’autonomie par brique
Henri Verdier, ambassadeur pour les affaires numériques, estime pour sa part que l’Etat doit viser une "autonomie stratégique non rivale", autrement dit n’ayant pas pour objectif de dominer le monde comme les Gafam américains ou les Batx chinois. Un Etat qui doit pouvoir "innover sans permission" abonde Sébastien Soriano qui fait là allusion à la "validation" préalable des applications mobiles par Google et Apple avant leur publication sur les stores. Pour gagner en autonomie, éviter sa "colonisation numérique", l’Etat doit ainsi construire des briques de services reposant sur des standards ouverts. Henri Verdier l’illustre par le service France connect qu’il a lancé dans le cadre du projet d’Etat plateforme alors qu’il était Dinsic. Inspiré directement de Facebook connect dans son ergonomie – se connecter à un service tiers en utilisant une identité pivot - France Connect s’en différencie par une technologie maitrisée de bout en bout par l’Etat, une régulation des usages et un impératif de respect de la vie privée. Un succès que l’Etat souhaite aujourd’hui étendre à d’autres services comme le paiement en ligne ou encore les outils de télétravail.
Des collectivités ambassadrices des communs
L’adoption des outils libres ou "souverains" par le plus grand nombre, surtout lorsqu’ils sont en concurrence frontale avec des outils des Big tech, reste cependant un véritable défi. Pour Valérie Peugeot, les médiateurs numériques peuvent avoir un rôle "en promouvant les logiciels libres et ceux qui ne captent pas de données personnelles" et plus généralement, en sensibilisant largement aux méfaits du "capitalisme de surveillance" et de "l’économie de l’attention". Les collectivités territoriales sont également invitées à donner l’exemple en déployant les outils libres et ouverts comme OpenStreetMap. Quant aux services des Gafam, ils ne sont pas nécessairement à rejeter en bloc : les communautés d’enseignants qui se sont montées sur Facebook ou WhatsApp ces derniers mois montrent qu’ils peuvent aussi servir à produire des communs. L’événement NEC n’était-il pas d’ailleurs diffusé sur YouTube ?