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Inclusion numérique : "Il faudrait quatre fois plus que ce que prévoit le plan de relance"

La mission sénatoriale de la lutte contre l’illectronisme a publié son rapport le 17 septembre 2020. Elle en appelle à "une mobilisation des territoires" et préconise d’allouer à un fonds de lutte contre ce "fléau national" un milliard d'euros d'ici 2022 - soit quatre fois plus que les 250 millions que le gouvernement entend consacrer à la formation de 4 millions de Français dans les deux ans à venir. 

Il faudrait “proclamer l’inclusion numérique comme priorité nationale et service d’intérêt économique général en dotant d’un milliard d’euros d’ici 2022 un fonds de lutte contre l’exclusion numérique”, préconise la mission sénatoriale d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique et son rapporteur, Raymond Vall. Un milliard d’euros, c’est quatre fois plus que le montant alloué par le gouvernement dans le cadre du plan de relance présenté le 3 septembre (lire notre article du 4 septembre). “Les 250 millions seront probablement insuffisants pour atteindre le nouvel objectif de 4 millions de personnes formées d’ici 2022”, prévient-elle. Regrettant un manque d'ambition du gouvernement sur ce point, la mission rappelle que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique. "Près d’un Français sur deux est mal à l’aise avec cet outil”, écrit-elle. Elle alerte quant au fait que la dématérialisation généralisée des services publics, “à marche forcée pour 2022, laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches en ligne”.

"Logique de services publics 100% accessibles"

Ces constats, sans être alarmants - la France est dans la moyenne européenne -  ont conduit la mission à la rédaction de sa propositions n°5 , presque en forme de slogan : “Passer d’une logique de services publics 100% dématérialisés à une logique de services publics 100% accessibles”. À cet effet, “il faut conserver la faculté d’un accès physique et/ou d’un accueil téléphonique pour l’ensemble des démarches dématérialisées des services publics”, en déduit-elle.  Une recommandation formulée à maintes reprises par Jacques Toubon, alors Défenseur des Droits, notamment dans son rapport du 17 janvier 2019. 

Rappelant par ailleurs que “les bénéfices attendus d’une meilleure autonomie numérique sont chiffrés à 1,6 milliard par an”, la mission formule une série de 45 propositions parmi lesquelles plusieurs concernent les collectivités territoriales. Elle en appelle d’ailleurs “à une mobilisation des territoires pour la réussite de la politique publique d’inclusion numérique”.

“Pass numérique” par les collectivités

La mission cible particulièrement le “Pass numérique” qui doit couvrir l’ensemble du territoire d’ici 2022, et dont “la valeur doit être augmentée”. La mission regrette que “seulement 209.000 Pass numériques ont été à ce jour achetés”. Elle ajoute qu’“une plus grande transparence doit par ailleurs être faite dans la mise en oeuvre du Pass numérique par la publication trimestrielle ou semestrielle de statistiques relatives à son déploiement et son utilisation par les publics cibles”. Elle recommande dans le même temps que l’ensemble du territoire soit couvert par les "Hubs France Connectée" d’ici 2022 afin d’épauler les collectivités dans le déploiement du fameux Pass. Fonctionnant à l'échelle de plusieurs départements, ces "Hubs France Connectée" ont pour but d'associer acteurs publics, privés et associatifs, de les mettre en réseau et de créer de nouvelles offres de médiation numérique.

Un “référent inclusion numérique” à l’échelle intercommunale

Pour le pilotage, la mission estime que “l’inclusion numérique doit être une priorité de l’action publique locale”, décidée par les territoires. Concrètement, il faudrait mettre en place “une conférence des financeurs pour coordonner, dans chaque département, les interventions territoriales”.  Il faudrait également qu’un “référent inclusion numérique soit désigné à l’échelle intercommunale, pour garantir l’infusion des offres d’inclusion numérique dans l’ensemble des territoires, y compris ruraux”. Ce travail irait de pair avec une meilleure cartographie des zones d’exclusion numérique.

Vers plus de démocratie participative

Dans le domaine de l’éducation, la mission propose “d’exploiter l’expérience du confinement pour analyser plus finement par une étude chiffrée les usages numériques de nos concitoyens”. La période du confinement a révélé “les inégalités entre élèves et enseignants” et “contrairement à une idée reçue, les jeunes, ‘les millenials’, y compris les étudiants manquent de compétences numériques”, relèvent les sénateurs. Ils rêvent à la construction d'une "Éducation nationale 2.0" en rendant obligatoire la formation à l’utilisation des outils numériques pédagogiques pour l’ensemble des enseignants .

Enfin, sur le plan de la démocratie participative, le rapport souligne que "si le recours au vote par Internet demeure limité, les procédures participatives recourent plus fréquemment au numérique". Il cite notamment le référendum d’initiative partagée, ou le droit de pétition devant le Parlement. En sachant que la palette des outils numériques de la démocratie participative est beaucoup plus large (lire notre article du 21 septembre). Encore faut-il qu'elle soit accessible au citoyen.  

Mise en place depuis le 13 mai (lire notre article), la mission a auditionné plus de 90 personnes et avait déjà publié plusieurs recommandations, parmi lesquelles un appel à "une multiplication massive d’aidants numériques".  "Cette mission a été [lancée] avant la crise sanitaire, c'est un hasard du calendrier mais il faut reconnaître que cela a permis de bien illustrer l'urgence qu'il y a à traiter ce phénomène", a expliqué Jean-Marie Mizzon (centriste, Moselle), président de la mission, lors d'un point de presse, qualifiant l’illectronisme de “fléau national”.