Les collectivités peuvent subventionner l'exploitation d'un cinéma, mais pas sa création
Le Conseil d'État considère qu'une commune ne peut accorder une subvention que pour le fonctionnement d'une salle de cinéma et non pour la création d'une salle. Et ce, même lorsqu'il s'agit d'une reconstruction ou une extension d'un cinéma existant.
Le cinéma est un secteur éminemment aidé en France. Cela vaut tout spécialement pour les aides au tournage, qui bénéficient de crédits d'impôts régulièrement révisés à la hausse. Mais cela vaut aussi pour nombre de collectivités – notamment les villes petites et moyennes –, qui subventionnent les salles de cinéma locales, afin de maintenir une offre culturelle et de loisirs sur leur territoire. Dans une décision du 10 mars 2021, signalée par le cabinet Landot, le Conseil d'État marque un coup d'arrêt, au moins partiel, à cette possibilité.
Une subvention municipale de 1,5 million d'euros pour créer un cinéma de 8 salles
L'origine de la décision remonte à la loi du 13 juillet 1992 relative à l'action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacles cinématographiques (dite "loi Sueur"), dont les dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles L.2251-4 (communes) et L.3232-4 (départements) du Code général des collectivités territoriales (CGCT). La loi Sueur autorise notamment, par dérogation au principe général d'interdiction des aides publiques directes aux entreprises, les collectivités territoriales à contribuer à apporter un soutien financier aux salles de cinéma.
Dans l'affaire jugée par le Conseil d'État, le conseil municipal de Mont-de-Marsan avait, par une délibération du 19 décembre 2014, approuvé le versement à la société Le Club d'une subvention de 1,5 million d'euros, afin de financer un projet de création d'un établissement de spectacle cinématographique de huit salles, et autorisé le maire à signer la convention correspondante. Dans le même temps, une décision du 23 décembre 2014 du président du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) avait accordé à la société Le Club une subvention de 400.000 euros aux mêmes fins.
Dans un arrêt du 29 décembre 2015, le tribunal administratif de Pau, saisi par un concurrent, avait annulé la décision du président du CNC, mais rejeté les autres demandes. Puis, le 12 juillet 2019, la cour d'appel administrative de Bordeaux avait validé l'octroi de la subvention de la CNC et rejeté à nouveau le recours contre la subvention de la ville de Mont-de-Marsan.
Qui dit exploitation dit subvention de fonctionnement, pas d'investissement
Dans sa décision du 10 mars, le Conseil d'État annule la décision du conseil municipal de Mont-de-Marsan du 19 décembre 2014 et la convention afférente. Il enjoint également la commune d'émettre un titre exécutoire à l'encontre de la société Le Club, aux fins de recouvrement du montant de la subvention versée.
Le Conseil d'État procède en effet à une lecture littérale des dispositions de l'article L.2251-4 du CGCT, "éclairées par les travaux parlementaires" ayant abouti à l'adoption de la loi Sueur. Or cet article indique que "la commune peut attribuer des subventions à des entreprises existantes ayant pour objet l'exploitation de salles de spectacle cinématographique dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ces subventions ne peuvent être attribuées qu'aux établissements qui, quel que soit le nombre de leurs salles, réalisent en moyenne hebdomadaire moins de 7.500 entrées ou qui font l'objet d'un classement art et essai". Le nombre maximal d'entrées hebdomadaires était initialement fixé à 2.500, mais la loi 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité l'a porté à 7.500.
Ces dispositions montrent clairement qu'une commune ne peut accorder une subvention qu'à une salle de cinéma en fonctionnement (et donc une subvention de fonctionnement et non d'investissement). Conséquence : "une telle subvention ne peut, en revanche, être attribuée pour permettre la création, par une entreprise existante ayant pour objet l'exploitation de salles de spectacle cinématographique, d'un nouvel établissement de spectacle cinématographique". Cela vaut même si la nouvelle salle correspond à une reconstruction ou une extension d'un cinéma existant, remplissant les conditions du CGCT pour être subventionnée. De ce fait, le tribunal administratif de Pau et la cour d'appel de Bordeaux ont commis une erreur de droit, justifiant l'annulation des jugements correspondants.
Références : Conseil d'État, 3e et 8e chambres réunies, décision n°434564 du 10 mars 2021, Société Le Royal Cinéma et M. R... (mentionnée aux tables du recueil Lebon). |