Etats généraux des RIP - Les acteurs du très haut débit plaident pour le statu quo
Malgré les imperfections du plan France Très Haut Débit et la récente charge de la Cour des comptes sur le coût et la gouvernance des réseaux d'initiative publique (RIP), les opérateurs, les industriels, l'Arcep et l'Agence du numérique semblent se contenter du montage en place. Aux Etats généraux des RIP, le 9 mars dernier à Deauville, si chacun a fait valoir ses intérêts et ses revendications, tous se sont entendus sur la pertinence des RIP gérés localement - mais aussi de la zone d'initiative privée, parfois pointée du doigt du côté des collectivités. Les enjeux de formation aux métiers de la fibre optique, cruciaux pour tous les déploiements, concernent tout particulièrement la zone d'initiative publique dont le rythme de déploiement devrait connaître une hausse exponentielle.
Zones Amii, zones RIP : une partition critiquée, pas modifiée
Un "gentleman agreement", une "répartition solide quoique critiquable" : c'est en ces termes que Antoine Darodes, directeur de l'Agence du Numérique, décrit le partage de la zone peu dense définie par l'Arcep pour le déploiement du très haut débit, entre initiative privée et initiative publique. Une répartition parfois critiquée, notamment du côté des élus et des opérateurs qui travaillent sur la mise en place des réseaux d'initiative publique. Dans le cadre de son observatoire, la fédération des industriels des RIP (Firip) a attaqué le dynamisme de déploiement de la zone privée (ou zone Amii). Mais ses approximations méthodologiques lui ont valu une mise au point ferme de la part tant d'Antoine Darodes, que d'Orange, principal acteur des déploiements privés. Dans ce contexte, la proposition de Covage de réaliser un audit des déploiements en zone Amii ne devrait pas rencontrer d'écho majeur. L'opérateur neutre, qui s'est invité en zone d'initiative privée dans la métropole européenne de Lille, et à l'occasion de la vente du réseau de fibre optique des Hauts de Seine, a bien envie de s'imposer comme le troisième acteur des déploiements optiques ; une ambition qui n'est pas forcément vue d'un bon œil par les garants de la stabilité du programme France THD. La filière a intérêt à faire bloc, alors que l'élection présidentielle pourrait s'avérer plus mouvementée que prévu sur le front de l'aménagement numérique. Emmanuel Macron avait déclaré le 25 février dernier en Haute-Vienne qu'au sein des zones rurales, "l'Etat reprendrait la main" pour déployer le THD ; une position proche de celle de la Cour des comptes, mais bien éloignée des partis pris actuels des RIP.
Les grands opérateurs, pour leur part, expriment des critiques plus feutrées envers les réseaux des collectivités. SFR met en garde contre ce qu'il appelle la "financiarisation des RIP" : une tendance croissante à diminuer le taux de subvention nécessaire aux DSP des RIP, qui pourrait autant venir d'une concurrence livrée entre les opérateurs neutres, que d'une réelle attractivité financière des investissements dans le très haut débit pour les fonds d'infrastructure. Le déclin puis le rachat de Tutor, l'arrivée brusque de TDF sur le marché des RIP en proposant des conditions tarifaires très avantageuses, questionne sur la bonne santé financière du secteur à moyen terme.
Malgré ces quelques frictions, les principaux acteurs sont optimistes : la Firip enregistre une hausse de 35% du nombre d'emplois dans sa filière de 2015 à 2016, tout en émettant une légère réserve sur les marges. Orange, qui investit à plein dans les déploiements en zone Amii, n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. Du côté de SFR, on promet un retour tonitruant dans le déploiement du FttH, après une période consacrée à la rénovation du réseau câblé hérité de Numéricâble. La zone Amii est aussi dans le viseur de SFR, qui veut doubler Orange là où les deux grands opérateurs ne sont pas déjà liés par des accords de déploiement.
La concurrence, grand chantier de 2017
Chacun pense donc avoir des atouts à faire valoir et, du moins officiellement, vante les bienfaits de la concurrence. Sur les RIP, les collectivités attendent beaucoup des opérateurs alternatifs pour améliorer la commercialisation des réseaux, parfois encore très balbutiante : Kiwi, Wibox, mais aussi et surtout Vitis, le nouvel arrivant, lancé par la Caisse des Dépôts, Océinde et Netgem. Un opérateur qui multiplie les partenariats avec les opérateurs neutres et s'attache à proposer des contenus médias de qualité. Orange, opérateur dominant, voit ces initiatives d'un bon oeil : "Avec le débit proposé par le FttH, ces petits opérateurs peuvent trouver leur clientèle", observe Cyril Luneau, directeur des collectivités locales chez l'opérateur historique. "La venue de ces nouveaux acteurs est positive. Nous regarderons leurs résultats avec attention, et le succès de ces offres sera forcément un bon signal pour commercialiser nous-mêmes nos offres sur les RIP", précise-t-il. Partant, selon les mots de Guillaume Mellier, directeur de l'internet fixe à l'Arcep, "il faut faire jouer l'effet domino : si un gros opérateur bascule, tous iront". Du côté de Free et Bouygues, absents à Deauville, autant que de SFR et Orange, compétiteurs pour exploiter des RIP, on promet que la commercialisation n'est qu'une question de temps. Cependant, aucune annonce concrète n'est venue confirmer ces propos depuis plusieurs mois. Les accords annoncés par Bouygues et Free auprès d'Axione, exploitant de nombreux RIP, n'ont pas pour l'heure été précisés.
En zone Amii, la concurrence semble aussi revenir à l'ordre du jour. Après une période d'écroulement qui lui aura coûté de nombreuses critiques de la part des collectivités, SFR souhaite repartir à l'attaque. "Si nous nous contentons des communes qui nous sont allouées en zone Amii, nous aurons fini les déploiements en 2018 ; c'est une situation absurde quand on voit les besoins énormes des territoires à échéance 2022", clame Lionel Recorbet, PDG de SFR Collectivités. Sur les communes où SFR et Orange avaient tous deux manifesté une intention d'investir, seuls 20% des prises avaient en effet été alloués au carré rouge. Comme Orange fait la sourde oreille aux velléités de SFR de renégocier cet accord, la filiale d'Altice a décidé d'attaquer par les flancs, en tentant de fibrer des communes pour lesquelles elle n'avait pas manifesté d'intérêt initialement. Une stratégie qui pourrait reconfigurer les priorités de déploiement d'Orange, qui ira sans doute contrer SFR sur les zones où ce dernier se sera aventuré...
Enfin, la perspective d'un changement de régulation sur le marché entreprises est maintenant entré dans tous les esprits, y compris de SFR et Orange, qui concentrent pour l'heure à eux deux 90% des parts de marché. Les petits opérateurs, à la manière de Coriolis ou encore d'Adista, prolifèrent sur les RIP ; un sujet de fierté pour les acteurs des réseaux publics, qui se targuent de stimuler la concurrence. Cependant, la pénétration réelle de ces offres est souvent faible et les opérateurs mal identifiés. Certains appellent les opérateurs indépendants à se regrouper autour d'une marque commune, pour gagner en visibilité. Du côté d'Orange, on vante la fiabilité des offres entreprise proposées, mais on a pris acte de la volonté du régulateur de changer la donne. Chacun sait qu'un duopole garantit rarement une bonne adaptabilité des offres aux besoins des clients finaux.
La formation, goulot d'étranglement du déploiement de la fibre
Abordé plusieurs fois lors des états généraux des RIP, les enjeux de formation aux métiers de la filière fibre optique sont dans toutes les têtes, des industriels aux régulateurs, en passant par les opérateurs. La Firip, très engagée sur ce terrain, appelle l'Etat à déléguer le plus possible à des partenariats entre conseils régionaux et acteurs industriels le soin de structurer l'offre de formation. L'inquiétude est particulièrement forte sur les RIP où l'allure de déploiement devrait très fortement augmenter dans ces prochaines années, alors que les investissements d'Orange ont d'ores et déjà atteint leur rythme de croisière. Plusieurs acteurs parlent de "mur de projet" pour définir le défi auquel le secteur va se confronter : le fonds national pour la société numérique, qui finance le plan France THD, a signifié que le lancement des projets devrait intervenir avant fin 2018. Une échéance qui va rapidement figer les parts de marché des acteurs, mais aussi générer un pic d'activité difficile à soutenir.
Un accord sur les compétences et la formation
La ministre Myriam El Khomri a signé ce 16 mars un "engagement de développement de l’emploi et des compétences" (Edec) pour la filière de la fibre. Réunissant l’Etat, des entreprises de la filière, les partenaires sociaux et les Opca, cet Edec vise à adapter l’offre de formation aux besoins du secteur, en articulation avec le plan France Très Haut Débit. "Ce plan impactera fabricants de câbles optiques, équipementiers, bureaux d’études, entreprises de génie civil, opérateurs, installateurs et techniciens", précise le ministère, sachant que la progression des emplois d’ici 2022 est estimée à 20.000 postes nouveaux. Sans compter les besoins de formation liés aux évolutions des emplois existants.
C.M.