Après le rapport de la Cour des comptes, la filière des RIP plaide le malentendu et défend la fibre optique
Un peu avant la publication de son rapport annuel, la Cour des comptes avait rendu les conclusions de son travail de longue haleine sur le plan France Très Haut Débit. Les réseaux d'initiative publique portés par les collectivités n'ont pas reçu toutes les faveurs des magistrats de la rue Cambon, qui plaident pour une inflexion du mix technologique utilisé pour atteindre les objectifs de déploiement du très haut débit sur le territoire. Trop chère, la fibre optique ? Les réactions au rapport de la Cour des comptes sont quasi unanimes, de l'Arcep aux collectivités : ces conclusions sont à nuancer fortement. Les recommandations de la Cour n'ont sans doute pas pris en compte les développements les plus récents du déploiement du très haut débit ; en effet, depuis l'amorce de la rédaction du rapport, la donne a considérablement évolué sur le marché du très haut débit.
Cela faisait plus de deux ans que les magistrats de la Cour des comptes examinaient, un à un, les projets territoriaux de réseaux d'initiative publique. Au dernier jour de janvier 2017, ils ont publié leurs conclusions générales sur le plan France Très Haut Débit. Des conclusions qui pointent les difficultés de commercialisation des réseaux d'initiative publique, les retards de déploiement, mais aussi le parti pris du plan français : miser sur le tout-fibre (FttH) et considérer l'amélioration du réseau cuivre ou encore les technologies hertziennes comme des options alternatives à réserver aux zones les plus malaisées à couvrir. Au contraire, la Cour des comptes considère "qu'il y a peu d'éléments déterminants justifiant le passage de la montée en débit sur cuivre à la fibre jusqu'à l'abonné" ; et les magistrats de pointer que d'autres pays européens, comme le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont pu améliorer le débit moyen d'accès à internet plus rapidement en privilégiant la modernisation du réseau cuivre.
La montée en débit cuivre, une solution en débat
Du côté des porteurs des réseaux d'initiative publique, l'argument ne semble pas faire mouche ; d'autant plus que ni le gouvernement ni l'Arcep n'ont abondé dans le sens de la Cour des comptes. Le recours massif à la montée en débit du cuivre pose en premier la question de la concurrence ; alors qu'au Royaume-Uni, l'opérateur historique BT a confié son réseau cuivre à une filiale séparée baptisée Openreach, Orange France reste maître de la boucle locale. Si les collectivités consentent à intégrer une part de montée en débit cuivre dans leurs stratégies d'aménagement numérique du territoire, il s'agira d'une aide d'Etat au bénéfice d'Orange ; point rappelé par l'Arcep, et qui n'est pas sans importance pour le régulateur. Au contraire, les réseaux ouverts FttH tels que construits dans le cadre des RIP sont un nouvel acte fondateur pour instaurer une concurrence pleine et entière dans l'accès à internet.
Le FttH aurait également des caractéristiques bien plus avantageuses sur le plan technologique. Si la Cour des comptes rappelle que le haut débit est suffisant pour bien des usages de loisir, rien n'en dit autant pour l'avenir, avec le développement de la réalité virtuelle, du 4K et du stockage en ligne. "Le cuivre ne permet pas de débits symétriques, et c'est un handicap majeur pour les activités professionnelles", note Patrick Vuitton, délégué général de l'Avicca. "La Cour des comptes recommande de prioriser le déploiement de la fibre pour les entreprises ; mais c'est bien en déployant le FttH pour tout le monde, y compris le grand public, que l'on peut faire baisser les coûts de raccordement pour les PME", observe ce fin connaisseur des RIP.
Les RIP misent sur le mix technologique
Pour autant, les collectivités savent se montrer pragmatiques. Elles pratiquent la montée en débit cuivre là où elle permet de résorber les zones blanches ADSL et de délivrer des performances satisfaisantes en période de transition vers la fibre. Seulement, à mesure que le déploiement du FttH s'industrialise, certains délégataires de réseaux d'initiative publique préfèrent opter pour la fibre optique directement : preuve que celle-ci n'est pas forcément un gouffre financier. "La Mayenne a tourné le dos à la montée en débit", se félicite Etienne Dugas, président de la fédération des industriels des RIP (Firip). Le Maine-et-Loire devrait suivre ; le Nord-Pas-de-Calais s'interroge. En effet, améliorer le cuivre pourrait ensuite retarder la venue de la fibre optique.
Financement, commercialisation : les RIP progressent
Du côté de la viabilité financière, le constat de la Cour des comptes ne semble pas non plus avoir pris en compte les signaux positifs recueillis pour les RIP en 2016. Les magistrats relèvent que les plans d'affaires initiaux des réseaux sont rarement honorés ; cependant, les opérations les plus importantes ne font que commencer et de bonnes nouvelles se profilent. Les fonds d'investissement en infrastructure s'intéressent de plus en plus aux RIP français ; ils ont par exemple investi en Alsace et en Nord-Pas-de-Calais. La présence de fonds privés prouve que ces infrastructures sont sans doute destinées à générer une rentabilité réelle. Il est également de plus en plus probable que les grands opérateurs deviendront clients des RIP et commercialiseront leurs offres auprès du grand public. S'ils ont pour la plupart joué la montre et misé sur leurs offres ADSL, les opérateurs neutres, gestionnaires des RIP, finissent par trouver des compromis financiers acceptables : Free et Bouygues ont notamment annoncé leur arrivée sur les RIP à la fin de l'année 2016.
Les territoires espèrent un maintien du soutien de l'Etat
Enfin, si certains contestent les chiffres de la Cour sur l'augmentation du budget prévisionnel du plan France THD, les objectifs de couverture ayant entre-temps également évolué à la hausse, l'enveloppe financière accordée par l'Etat aux projets locaux demeure le sujet d'incertitude le plus réel. "Nous ne sommes pas inquiets sur la pérennité du plan France THD malgré les échéances électorales", observe Patrick Vuitton de l'Avicca. "En revanche, il est certain que l'enveloppe budgétaire actuelle ne pourra pas couvrir l'ensemble des RIP en cours. La finalisation du plan France THD devrait nécessiter 4 milliards d'euros de crédits supplémentaires de la part de l'Etat." Un arbitrage qui devrait concerner le prochain gouvernement. En somme, la Cour des comptes voyait juste en désignant le plan France THD comme une initiative coûteuse. Le débat porte plus sur l'utilité de tels investissements ; et sur ce point, la fibre optique semble faire de plus en plus consensus.