Ecoles d'architecture - L'enseignement et la recherche en architecture poursuit sa conquête de l'espace urbain
Comment construire quand la ville semble ne plus avoir de limites ? Comment habiter quand la ressource se fait rare ? Comment hâter le temps trop lent de la décision publique pour bâtir plus vite plus de logements de meilleur qualité et à moindre coût ?
Ces problématiques sont autant de sujets de recherche en architecture soufflés par le rapport remis lundi 8 avril à Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, par Vincent Feltesse, président de la concertation lancée cet été sur le sujet (voir notre encadré ci-dessous), par ailleurs député de Gironde (et à ce titre rapporteur du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche), président de la communauté urbaine de Bordeaux, président de l'agence d'urbanisme A'Urba, président de la Fédération nationale des agences d'urbanisme…
Sujets de recherche déjà largement investis par… des sociologues (François Ascher hier, Alain Bourdin aujourd'hui…), des géographes (Jean-Claude Driant, Xavier Desjardins…), des économistes (Laurent Davezies), des statisticiens (Jean-Pierre Orfeuil), des chercheurs en sciences sociales (Eric Charmes)… tous se revendiquant "urbanistes".
Au-delà de l'objet architectural
Le rapport Feltesse invite à réviser l'enseignement et la recherche de l'architecture en France au regard des enjeux généraux qui "contribuent à façonner notre cadre de vie" au-delà de l'objet architectural. Il s'agit désormais de s'attaquer à tous les "modes d'occupation de l'espace qui ont dominé le XXe siècle" et qui sont "aujourd'hui en crise".
Et de citer : l'urbanisation "et son cortège de conséquences plus ou moins heureuses" telles que la métropolisation, la périurbanisation et l'étalement urbain, l'urbanisme commercial "débridé", la crise du logement ; le réchauffement climatique et la raréfaction des sources d'énergie fossiles "qui appellent des modes de construction et d'habitation plus sobres, plus durables et plus respectueux de l'environnement" ; "la complexité et la financiarisation croissantes de la fabrique de la ville face auxquelles les collectivités, que la décentralisation a placé en première ligne, restent trop souvent démunies et impuissantes" ; l'évolution des modes de vie qui "nécessite de réévaluer notre approche de l'habitat à l'aune des mutations du modèle familial, de l'avènement de la mobilité, de la révolution numérique, du vieillissement de la population".
Les écoles d'architecture sous la cotutelle ?
Pour "faire valoir la double nature scientifique et culturelle des écoles", le rapport Feltesse plaide pour placer les écoles d'architecture sous la cotutelle du ministère de la Culture (auquel elles sont soumises aujourd'hui) et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Mais au-delà de cette double tutelle, d'autres ministères sont directement concernés par l'enseignement et la recherche produits par les écoles d'architecture. D’où l'idée d'un "programme national interministériel de formation et de recherche en architecture" qui comprendrait "les thèmes à investir d'urgence" comme les économies d'énergie et la mobilisation des ressources locales (en lien avec le ministère de l'Ecologie), la baisse du coût de production de logements et l'enjeu de la réhabilitation (en lien avec le ministère de l'Egalité des territoires et du logement), "la qualité d'habiter en milieu de dense"…
Ce programme national se traduirait dans un "plan quadriennal stratégique national" validé en CIADT (Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire), puis décliné pour chaque école dans un document cadre signé avec les ministères et les partenaires concernés. Lesquels partenaires "apporteraient en contrepartie des moyens financiers nouveaux".
Les collectivités, "partenaires incontournables"
Justement, le rapport Feltesse dit aussi que "les collectivités sont à présent des partenaires incontournables pour les écoles d'architecture". Il suggère d'en renforcer les liens, notamment en favorisant les stages d'étudiants au sein des collectivités ou de leurs opérateurs, ou encore en développant des contrats de recherche sur des projets "qui fassent écho aux caractéristiques territoriales". Cela se traduirait dans des contrats pluriannuels, à l'image des conventions passées avec la Région et les trois écoles d'architecture de Rhône-Alpes qui définissent "un programme régional commun portant sur la formation, la recherche, la diffusion culturelle, la réussite des étudiants et le suivi des diplômés".
En tant que "pôles locaux de compétences architecturales", les écoles auraient également un rôle à jouer dans l'acculturation et la sensibilisation à la qualité paysagère et urbaine des élus, des maîtres d'ouvrage et des citoyens (rôle "qu'elles partagent avec les agences d'urbanisme et les CAUE", précise le rapport). Un enjeu pour les métropoles, ainsi que pour les zones périurbaines et rurales, "où les communes et les petites intercommunalités manquent souvent d'expertise et de l'ingénierie nécessaires pour assumer efficacement leurs compétences en matière d'urbanisme".
Valérie Liquet
Une lettre ouverte, une concertation, un rapport et…
Lancée en août 2012 par Aurélie Filippetti lors de la Biennale de Venise, la concertation nationale sur l'enseignement supérieur et la recherche en architecture a donné lieu à un rapport remis lundi 8 avril à la ministre de la Culture, par Vincent Feltesse. Le député de Gironde, président de la communauté urbaine de Bordeaux, qui a encore bien d'autres cordes à son arc (voir notre article ci-dessus) était en effet le président de cette concertation mise en place après que le Collège des directeurs des écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) a adressé une lettre ouverte aux parlementaires et aux élus des collectivités territoriales, "pour attirer leur attention sur la baisse du nombre d'architectes par habitant en France et leur signifier que l'Etat, dans un contexte de crise du logement et de l'aménagement urbain, n'investissait pas suffisamment à leurs yeux dans la formation des architectes et la recherche en architecture". Plus de mille personnes ont ainsi participé aux cinq journées organisées en région et aux trois réunions du comité national d'orientation présidé par Vincent Feltesse.
Le rapport part du constat d'un retard prononcé de la France en termes de densité de l'offre d'architectes. Alors que la moyenne de l'Union européenne est de 87 architectes pour 100.000 habitants, la France ne dépasse pas 45 architectes. Conformément à sa mission, le comité national d'orientation a centré sa réflexion sur l'enseignement et la recherche, mais le problème est que ces deux domaines sont très loin d'être les seules causes des difficultés actuelles de l'architecture en France.
Le rapport propose cinq grandes orientations :
- une inscription "claire et définitive des école d'architecture dans la sphère de l'enseignement supérieur et de la recherche" ;
- la reconnaissance de l'enjeu interministériel de l'enseignement et de la recherche architecturale ;
- l'ouverture internationale et l'ancrage territorial des écoles par le développement des partenariats :
- l'adaptation de l'offre et des outils pédagogiques aux nouvelles conditions d'exercice des métiers de l'architecture ;
- l'accroissement des moyens matériels et humains des écoles.
Lors de la remise du document, Aurélie Filippetti a dit vouloir "s'appuyer sur les conclusions du rapport pour définir les nouvelles orientations réglementaires, statutaires et budgétaires dans les champs de l'enseignement et de la recherche en architecture".
V.L. et Jean-Noël Escudié / PCA