Legaltech huissier, la digitalisation a commencé
L’émergence de la LegalTech ces dernières années a marqué un tournant majeur dans l’exercice de l’ensemble des professions juridiques : notaires, avocats, huissiers de justice… Ainsi, des plateformes d’intermédiation entre justiciables et professionnels du droit ont émergé, rapidement rejointes par des sites de commercialisation de services juridiques.
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S’agissant de la profession d’huissier de justice, elle va connaitre en cette année 2022 un grand changement. En effet, à la suite de l’ordonnance du 2 juin 2016 (prise en application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques), les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire feront place à partir du 1er juillet 2022 à une seule profession de l’exécution : celle de commissaire de justice .
Le recueil de la preuve est au centre de l’activité d’huissier de justice puisque ce dernier établit des constats qui ont valeur de preuve incontestable devant les tribunaux. Ces constats d’huissier permettent aux victimes d’obtenir réparation devant les tribunaux.
Comment les LegalTechs accompagnent-elles, aujourd’hui, les huissiers de justice et demain les – futurs commissaires de justice - dans le recueil de la preuve ?
Le recueil de la preuve : pierre angulaire de la profession d’huissier de justice
Un constat d’huissier de justice est un mode de preuve destiné à donner à des faits, une valeur juridique. Ce constat se matérialise par un procès-verbal dans lequel l’huissier va décrire factuellement tout ce qu’il a pu voir et entendre pendant son intervention. Il peut être accompagné de tout support que le professionnel juge nécessaire pour l’établissement de la preuve (photos, vidéos…).
En tant qu’officier ministériel, l’huissier de justice va donner à l’acte qu’il dresse, le constat, un caractère authentique. Le constat constitue donc le mode de preuve le plus solide puisque les constatations de l’huissier font foi jusqu’à preuve contraire, « sauf en matière pénales où elles ont valeur de simples renseignements » (ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, art. 1).
Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et des valeurs immatérielles, le recueil de la preuve a nécessité des adaptations légales et jurisprudentielles. En témoigne la loi du 29 octobre 2007 (transposant la directive communautaire du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle), qui a facilité l’administration de la preuve en matière de contrefaçon en permettant aux parties, sous certaines conditions, de faire pratiquer par un huissier de justice, une saisie des « matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les objets prétendus contrefaisants » (art. 521-4 du Code de la Propriété Intellectuelle). Dans le même temps, la Cour de Cassation est venue dès 2009, admettre la recevabilité de la preuve des documents issus d’Internet ou des sms notamment en matière de divorce (Civ. 1ère, 17 juin 2009).
Le constat d’huissier reste toutefois primordial afin de garantir la force probante de ces documents et les LegalTechs ont su s’approprier cet acte afin de proposer des services garantissant une sécurité juridique optimale.
Le recueil de la preuve : un enjeu de sécurité juridique…
Pour les huissiers de justice, la digitalisation s’est diffusée dans l’ensemble de la profession et notamment dans le recueil de la preuve au travers du constat d’huissier.
Cette digitalisation a commencé avec le recours à la signification par voie électronique de l’acte d’huissier de justice (par exemple une assignation à comparaître). Elle a continué avec le développement de plateformes facilitant la communication entre les différentes parties d’un procès (experts et particuliers). A titre d’exemple, la plateforme E-Palais permet la signification électronique des actes du Palais : les actes déposés auprès des huissiers audienciers sont ensuite signifiés aux avocats et au Ministère Public via cette plateforme. On peut citer également Legalsoft, LegalTech spécialisée dans le recouvrement des créances et qui met en relation les entreprises avec des huissiers de justice.
S’agissant du recueil de la preuve, les LegalTechs se sont également imposées avec la digitalisation du constat d’huissier.
En premier lieu, la LegalTech HuissiersOnline créée en 2019 facilite le constat d’huissier. Elle permet à chaque justiciable de trouver, en quelques clics et en toute transparence tarifaire, un huissier disponible pour réaliser un constat. En démocratisant ainsi l’accès à un constat d’huissier, le recueil de la preuve s’en trouve facilité et sa force probatoire renforcée. De plus, cette solution permet de redorer l’image parfois négative du métier d’huissier comme l’affirme Alexandre Lovato, fondateur de cette LegalTech : « Le diagnostic était sans appel : l’huissier souffre depuis des décennies d’une image négative. Pour modifier cette image et rendre accessibles nos interventions, la solution était évidemment numérique. C’est désormais possible grâce à un algorithme puissant capable de répondre à de réelles problématiques métiers et aux attentes du justiciable ».
Le diagnostic était sans appel : l’huissier souffre depuis des décennies d’une image négative. Pour modifier cette image et rendre accessibles nos interventions, la solution était évidemment numérique.
En second lieu, on peut également citer la LegalTech « Legal Storm », fondatrice de « Smart Preuve », « l’application mobile qui place l’huissier de justice dans votre poche pour enregistrer vos preuves et préserver vos droits en demandant un constat ou en certifiant vos photos ! ». Smart Preuve a pour objectif de permettre aux entreprises et particuliers de collecter et stocker des preuves certifiées ou constatées par un huissier de justice. Cette application permet de recourir à un huissier en amont pour constater les preuves et éviter ainsi que celui-ci ne soit sollicité qu’en dernier recours et dans l’urgence.
S’agissant du fonctionnement de l’application et concernant d’abord la constitution de preuve, l’application permet de déposer et d’archiver sur un serveur sécurisé des preuves réalisées avec des photos et vidéos prises via son smartphone. Celles-ci sont géolocalisées et horodatées automatiquement. L’huissier intervient ensuite pour vérifier que les photos sont exploitables et qu’elles respectent les conditions générales d’utilisation de l’application. Après validation par l’huissier, l’utilisateur reçoit un certificat de dépôt.
Concernant le constat d’huissier, après avoir choisi le motif de celui-ci (travaux, malfaçon etc.), l’utilisateur a le choix entre un contact immédiat avec un huissier ou la possibilité d’organiser un RDV ultérieur. Une fois la demande validée par une étude, un échange avec un huissier est possible. Les tarifs sont fixés par l’huissier en charge du constat et le paiement réalisé directement auprès de lui.
Enfin, si la crise a marqué un arrêt dans le développement de nouvelles LegalTechs, elle a également été source d’idées avec, par exemple, la plateforme legalpreuve.fr développée par la Chambre nationale des commissaires de justice (section huissier de justice). Cette solution permet aux entreprises d’avoir recours à un constat d’huissier attestant de leur mise en conformité avec les règles sanitaires édictées par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. La plateforme met à disposition des entreprises une base de données de l’ensemble des huissiers de justice de France. Une fois le constat réalisé, l’entreprise pourra afficher une signature visuelle telle que : « règles sanitaires covid 19 constatées par huissier de justice ». Cette LegalTech propose également un constat par drone pour répondre à des besoins spécifiques notamment dans des zones difficiles d’accès (hauteur, distance…). L’utilisation d’un drone étant très encadrée, l’huissier de justice offre toutes les garanties de conformité nécessaires et de sécurité juridique puisque le constat ainsi établi est juridiquement sécurisé selon un protocole validé par la Chambre nationale des huissiers de justice.
A travers cet exposé, on constate que le métier d’huissier de justice associé au recueil de la preuve a été une véritable source d’inspiration pour les LegalTechs qui ont su relever le défi tout en garantissant une sécurité juridique optimale.
… et technologique pour les LegalTechs
S’agissant du recueil de la preuve, si la sécurité juridique est essentielle, la sécurité technologique l’est également afin de garantir notamment que les preuves ne puissent être falsifiées.
Combiner sécurité juridique et technologique, c’est justement ce qu’offre la LegalTech Legide. Cette solution développée par la Chambre des huissiers de justice de Paris en partenariat avec IBM, recourt à la blockchain afin de garantir un niveau de protection accrue des créations et innovations. Concrètement, la plateforme permet de stocker et de délivrer des preuves d’intégrité et d’antériorité d’une œuvre ou d’une innovation. Cet outil s’adresse à tout type de créateur (entreprises, indépendants, cabinets d’avocats…), de supports et d’œuvres (collections de mode, partitions musicales, plans et croquis…) et garantit une protection contre les risques de contrefaçon (vol, plagiat, diffusion non-autorisée).
Cette solution est née du constat suivant : en France, les œuvres sont automatiquement protégées par le droit d’auteur et ce, dès leur création. Pour autant, il revient à leurs auteurs de prouver leur paternité et leur antériorité en cas de litige. Or, si des créateurs ont recours à des constats d’huissiers pour protéger leur création, cette pratique est loin d’être généralisée, d’où la nécessité d’une solution accessible qui facilite cette protection.
Legide propose ainsi deux types de preuves : une preuve technologique matérialisée par une attestation d’enregistrement blockchain qui garantit l’antériorité de la création et une preuve juridique délivrée par un constat d’huissier. « Legide, c’est [donc] l’alliance de la sécurité juridique et de la sécurité technologique, au profit des créateurs » comme le souligne Nicolas Dessard, huissier de justice et auditeur à la Cour de Cassation.
Dès lors, on constate avec des solutions comme Legide que l’enjeu des LegalTechs dépasse aujourd’hui la sécurité juridique et grâce à la technologie (blockchain, Intelligence artificielle), un pas supplémentaire est franchi pour faciliter le recueil de la preuve et surtout l’immuabilité de celle-ci.
Pour conclure, les LegalTechs françaises ont su compléter les avancées législatives et jurisprudentielles dans la digitalisation du recueil de la preuve notamment à travers la facilitation de l’accès à un constat d’huissier sécurisé juridiquement et technologiquement. Cette présentation (non exhaustive) de différentes solutions en la matière témoigne que les LegalTechs se sont bel et bien mises au service de la preuve.