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Aides d'Etat - Le statut des grandes entreprises publiques menacé par le droit de la concurrence

L'ancien statut de La Poste a fait jaillir une étincelle entre Paris et Bruxelles dont les conséquences s'étendent à d'autres secteurs. Un conflit aggravé par l'ambiguïté du gouvernement sur les avantages propres aux établissements publics à caractère industriel et commercial, comme la SNCF.

Encore un dossier piégé pour le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg. Le 3 avril, les juges de la Cour de justice européenne ont rendu un arrêt qui fera date, tant il aboutit à l'exact inverse de ce que la France escomptait.
En avril 2010, la France attaque la Commission européenne contre une décision visant La Poste du temps où elle était encore constituée en établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). Le gouvernement pense alors pouvoir sécuriser toutes les autres entreprises répondant à ce même statut d'Epic.

Implications de la garantie publique

Bien installés dans le paysage français, ces établissements fournissent des services aux populations dans une large palette de domaines (ferroviaire, transports urbains, déchets, eau…).
Mais la Cour a donné raison à la Commission, dont la victoire est sans bavures : la garantie publique illimitée dont bénéficierait ce type d'organisation serait source de distorsion de concurrence. Le recours français a donc été rejeté dans son intégralité. Les Epic sont-ils tous menacés ? Non. Ce sont les structures impliquées "dans le secteur concurrentiel qui sont en danger", remarque Sophie Nicinski, professeur de droit à Paris I, qui a travaillé comme experte auprès de la Commission européenne.
En clair, les établissements ayant une activité très locale ou ceux qui agissent en tant qu'administration (l'Ademe, l'ONF, le CEA…) ne sont pas en ligne de mire.
Ce sont surtout la SNCF ou la RATP qui sont en délicatesse. La Commission européenne les a dans le collimateur depuis 2010, année où elle a signifié officiellement au gouvernement français que le statut d'Epic associé à la SNCF créerait des distorsions de concurrence.
Une procédure toujours pendante. La garantie d'Etat implicite permettrait aux Epic (comme la SNCF ou La Poste sous son ancienne forme) d'être mieux classés par les agences de notation et de bénéficier, en conséquence, de prêts à taux avantageux.
La France réfute cette analyse, estimant que la garantie n'est pas automatique et que la Commission doit pouvoir démontrer les effets anticoncurrentiels avant de conclure à une distorsion.

L'ambiguïté aurait pu être levée par une loi

Paris aurait pu couper court au débat en inscrivant noir sur blanc dans une loi que le statut d'Epic ne confère pas nécessairement de secours public en cas de défaillance. "Mais le gouvernement a toujours refusé de le faire", constate Sophie Nicinski. Et pour cause, la France sortirait de l'ambiguïté à son détriment, en rendant le statut d'Epic moins attrayant.
Ce modèle comporte déjà des rigidités : contrairement aux entreprises classiques, ces établissements publics ne peuvent procéder à des échanges d'actions ou à une augmentation de capital auprès d'actionnaires extérieurs, par exemple. Si l'option d'une garantie publique tombe, l'intérêt des Epic s'érode considérablement. Ce serait avoir les inconvénients du statut, sans les avantages.
Lorsqu'elle passe en revue l'implication des aides d'Etat, la Commission ne s'attarde pas à analyser si les contraintes annulent les atouts propres au statut d'une structure : elle se contente de repérer s'il y a un soutien public ou non.
Peu à peu, l'Autorité française de la concurrence adopte aussi la même posture, en se montrant "plus sévère avec les filiales des grands groupes publics" tels que la SNCF ou EDF, constate la même experte.
Pour sortir de l'ornière juridique, l'option d'une transformation en société anonyme demeure. Mais cette volte-face serait le début d'une bronca incontrôlable des syndicats, qui y verraient une première étape avant la privatisation de la SNCF.
Pour les cheminots, rien de mieux que le statut d'Epic : il sanctuarise la SNCF en tant qu'entreprise d'Etat et exclut toute cession de capital. Ce qui n'est pas le cas des sociétés anonymes…